René Descartes - Les principes de la philosophie

"Les Principes de la Philosophie" édité à Paris en 1724 chez André Morin - (issu de ma collection)

Je ne m’étendrai pas ici sur la vie et l’influence de Descartes, déjà évoquées dans les biographies. Les Principes de la philosophie, publiés en 1644, furent initialement écrits en latin. Cette «Nouvelle édition, revûë & corrigée » que je présente a été imprimée 74 ans après la disparition du philosophe. C’est une réédition intégrale de la première traduction française de l’ouvrage, dont René Descartes avait pris connaissance avant sa mort et qu’il avait approuvée en ces termes, repris dans la préface de cet exemplaire, sous l’intitulé « Lettre de l’auteur à celui qui a traduit le livre » je cite: «… La version que vous avez pris la peine de faire de mes principes, est si nette et si accomplie, qu’elle me fait espérer qu’ils seront lus par plus de personnes en Français qu’en latin, et qu’il seront mieux entendus

Descartes écrit encore dans cette préface particulièrement riche: «Les bêtes brutes qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir; mais les hommes dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la Sagesse qui en est la vraie nourriture…Il y a eu de tout temps de grands hommes qui ont taché de trouver un cinquième degré pour parvenir à la sagesse, incomparablement plus haut et plus affuté que les quatre autres: c’est de chercher les premières causes et les vrais principes dont on puisse déduire les raisons de tout ce qu’on est capable de savoir…»

Les quatre degrés de la sagesse auquel il fait référence sont, en premier lieu, toutes les notions qui sont assez claires pour être accessibles «sans méditation » et qu’on pourrait qualifier d’évidences. En second lieu, tout ce que l’expérience des sens permet de connaître, autrement dit, les perceptions. En troisième, tout ce que nous apprenons en conversant avec les autres et enfin, la lecture des livres écrits par des personnes capables de donner de bonnes explications. Dans ce livre paru après son Discours de la méthode, Descartes déclare se passer des lumières de la foi pour établir ses principes: «Et il me semble que toute la sagesse qu’on a coutume d’avoir n’est acquise que par ces quatre moyens; car je ne mets point ici en rang la révélation divine…».

Il évoque également les Grecs anciens, sans faire preuve d’une quelconque complaisance. Il écrit : «Platon et Aristote, entre lesquels il n’y eu autre différence, sinon que le premier suivant les traces de son maitre Socrate, a ingénument confessé qu’il n’avait rien pu trouver de certain et s’est contenté d’écrire les choses qui lui ont semblé être vraisemblables, imaginant à cet effet quelques principes par lesquels il tachait de rendre raison des autres choses; au lieu qu’Aristote a eu moins de franchise, et bien qu’il eut été vingt ans son disciple, et n’eut point d’autres principes que les siens, il a entièrement changé la façon de les débiter, et les a proposé comme vrais et assurés, quoiqu’il n’y ait aucune apparence qu’il les eut jamais estimés tels.»

"Les principes de la philosophie" se présente en quatre parties renfermant un certain nombre de principes: « Des principes de la connaissance humaine » (soixante seize). « Des principes des choses matérielles » (soixante-quatre). «Du monde visible» (cent-cinquante-sept) et «De la Terre» (deux cent sept); soit un total de quatre cent quatre principes énoncés, desquels il ressort, entre autre, que pour Descartes science et philosophie sont indissociables, en ce sens que la métaphysique est la base de toute les sciences. On peut encore lire dans la préface des Principes: « Toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale… Or ce n’est pas des racines ni du tronc des arbres qu’on cueille les fruits , mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu’on ne peut apprendre que les dernières. Mais bien que je les ignore presque toutes… »

En 1649, la reine Christine de Suède invite Descartes à sa cour de Stockholm. Ce dernier lui donne régulièrement des leçons de philosophie. Ci-dessus, huile sur toile de Pierre-Louis Dumesnil « le jeune » (1698-1781). Musée du château de Versailles.

Descartes aborde son ouvrage en traitant de l’origine des préjugés. Il évoque le recours au doute comme nécessaire à toute recherche de la vérité. On constatera au long des paragraphes qui suivent que, quoiqu’il n’en juge pas le recours indispensable, il intègre à son propos, et à de multiples reprises sa propre foi en Dieu: «… Il est certain que nous ne prendrons jamais le faux pour le vrai, tant que nous ne jugerons que de ce que nous apercevons clairement et distinctement, parce que Dieu n’étant point trompeur, la faculté de connaître qu’il nous a donnée ne saurait faillir, ni même la faculté de vouloir, lorsque nous ne l’entendons point au-delà de ce que nous connaissons. »

Descartes montre les mécanismes qui peuvent nous conduire à prendre pour vrai certains fruits de notre imagination. Il conclut: « si nous désirons vaquer sérieusement à l’étude de la philosophie, et à la recherche de toutes les vérités que nous sommes capables de connaître: nous nous délivrerons en premier lieu de nos préjugés, et feront état de rejeter toutes les opinions que nous avons autrefois reçues en notre créance, jusqu’à ce que nous les ayons derechef examinées. Nous ferons ensuite une revue sur les notions qui sont en nous et ne recevrons pour vraies que celles qui se présenteront clairement et distinctement à notre entendement… ».
Remarque: Cette  dernière citation est à rapprocher de celle avec laquelle John Herschel introduit son " Traité d'astronomie" (voir article concernant cet ouvrage)

Descartes nous montre ici en quoi la position d’un objet peut être relative et il évoque la nécessité de pouvoir la définir. La longueur, la largeur et la profondeur dont il parle ici, ne sont autres que les coordonnées nommées x, y et z  au sein d’un repère « cartésien » qu’il a lui-même conçu afin de pouvoir approfondir ses recherches sur des bases clairement définies. Ces coordonnées permettent de situer un point sur une ligne droite, une surface plane ou dans un volume, à partir du moment où ces figures sont, elles-aussi, définies dans un même repère de ce type. De nos jours elles sont universellement utilisées.

Descartes rejette l’indivisibilité de la matière. Dieu intervient encore dans son énoncé à propos du vide, dont il rejette catégoriquement l’idée; il écrira plus loin: «Pour ce qui est du vide, au sens que les philosophes prennent ce mot, à savoir pour un espace, où il n’y a point de substance, il est évident qu’il n’y a point d’espace en l’univers qui soit tel, pour ce que l’extension de l’espace ou du lieu intérieur n’est point différente de l’extension du corps. Et comme de cela seul qu’un corps est étendu en longueur, largeur et profondeur, nous avons raison de conclure qu’il est une substance, à cause que nous concevons qu’il n’est pas possible que ce qui n’est rien ait de l’extension: nous devons conclure le même de l’espace qu’on suppose vide; à savoir que puisqu’il y a en lui de l’extension, il y a nécessairement aussi de la substance. »

Descartes souligne le caractère relatif du mouvement et aborde également la distinction qu’il y a lieu d’établir entre l’objet mû et l’action qui le meut, qu’il définit comme une force participant à son mouvement. On notera qu’à la suite de cet extrait, il affirma: « Dieu par sa toute puissance a créé la matière avec le mouvement et le repos, et qui conserve maintenant en l’univers par son concours ordinaire, autant de mouvement et de repos qu’il y en a mis en le créant. » ce qui confirme ainsi sa vision quand au caractère immuable de l’ensemble des forces en présence dans l’Univers.

Descartes débute la partie intitulée Du monde visible, par l’évocation de Dieu à qui il subordonne toute chose et qu’il considère comme la seule entité parfaite. Notons simplement à ce sujet qu’il avait travaillé à l’établissement des preuves de l’existence de Dieu, dans le Discours de la méthode , ainsi que dans Méditations métaphysiques. Par exemple, il partait du principe que Dieu était parfait, et à ce titre, ne concevait pas qu’il puisse lui manquer l’existence. Il en déduisait donc que Dieu existe. Ou encore, considérant que l’existence de tout homme n’est pas le fait de l’homme lui-même, sinon il se serait créé parfait et ainsi, il serait Dieu. Il en déduisait que comme cet homme n’est pas Dieu, son existence ne peut donc qu’être attribué à Dieu, être parfait.

Descartes décrit l’Univers composé d’une même matière et revient sur l’immuabilité des mouvements des corps célestes, initialement impulsés par Dieu lors de la création du Monde. Parlant de Dieu, il déclare: «C’est par la seule expérience et non par la force du raisonnement qu’on peut savoir laquelle de toutes ces façons il a choisie… ». Il justifiait cette démarche en ces termes, dans la préface de son ouvrage: «C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n'est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu'on trouve par la philosophie; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n'ont que leur corps à conserver, s'occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir… Or, ce souverain bien considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n'est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes.»

Ces deux gravures figurent parmi les quatre planches insérées à la fin du livre, sous forme de feuillets dépliables. Elles servent d’illustration à certains des principes énoncés. Parmi ces principes, il y en a qui ne m’ont pas paru très clair en dépit des gravures qui s’y rattachaient. En particulier ceux qui se proposaient de donner des explications sur le fonctionnement des tourbillons, supposés être les phénomènes physiques permettant de justifier les mouvement des astres. Il me semble pourtant, si je fais référence à l’approche cartésienne, ne pas avoir été victime de quelque préjugé, lorsque je me suis heurté à mon incapacité à la comprendre. Pour montrer a quel point une partie des commentaires de cet ouvrage peut paraitre confuse, je propose, à la page suivante, d’agrandir une des figures présentes sur la planche « 2 » de cet ouvrage, en vis-à-vis de laquelle je reproduis une portion du texte qui s’y réfère. Initialement clair, le texte devient progressivement de plus en plus obscur pour finir par n’être qu’admissible à défaut d’être compréhensible; ce qui parait aujourd’hui assez surprenant, venant de la part d’un philosophe dont la « méthode » reste parmi les grandes productions de la pensée humaine. 

Descartes tente ici d’expliquer pourquoi les étoiles ont des luminosités différentes; il écrit: « Il me semble aussi que cette variété incompréhensible qui parait en la situation des étoiles fixes, montre assez que les tourbillons qui tournent autour d’elles, ne sont pas égaux en grandeur. Et je tiens qu’il est manifeste par la lumière qu’elles nous envoient, que chaque étoile est au centre d’un tourbillon, et ne peut être ailleurs: car si on admet cette supposition, il est aisé de connaitre comment leur lumière parvient jusqu’à nos yeux par des espaces immenses, ainsi qu’il paraitra évidemment, partie de ce qui a déjà été dit, et partie de ce qui suit, et il n’est pas possible sans elle, d’en rendre aucune raison qui vaille. Mais d’autant que nous n’apercevons rien dans les étoiles fixes par l’entremise de nos sens, que leur lumière et la situation où nous les voyons, nous ne devons supposer que ce qui est absolument nécessaire pour rendre raison de ces deux effets; et pour qu’on ne saurait connaître la nature de la lumière, si on ne suppose que chaque tourbillon tourne autour d’une étoile avec toute la matière qu’il contient, et qu’on ne peut aussi rendre raison de la situation où elles nous paraissent, si on ne suppose que ces tourbillons sont différents en grandeur, je crois qu’il est également nécessaire que ces suppositions soient admises… » il s’en explique: « Si nous supposons par exemple, que le premier ciel AYBM, au centre duquel est le Soleil, tourne sur ses pôles dont l’un marqué A est l’austral, et B le septentrional, et que les quatre tourbillons KOLC, qui sont autour de leurs essieux (axes) TT, YY, ZZ, MM, et qu’il touche les deux marqués O et C, vers leurs pôles, les deux autres K et L, vers les endroits qui en sont fort éloignés: il est évident par ce qui a déjà été dit, que toute la matière dont il est composé, faisant effort pour s’éloigner de l’essieu AB, tend plus fort vers les endroits marqués Y et M, que vers ceux qui sont marqués A et B, et pour qu’elle rencontre vers Y et M, les pôles des tourbillons O et C qui ont peu de force pour lui résister…». Jusque là, le texte reste compréhensible, si on tient compte de l’hypothèse de départ. Ensuite, la description de Descartes devient rapidement bien moins évidente.

Il poursuit: «… et qu’elle (la matière du premier ciel AYBM) rencontre vers A et B, les tourbillons K et L, aux endroits les plus éloignés de leurs pôles et qui ont plus de force pour avancer de L et K vers S que les parties qui sont vers les pôles du ciel S n’en ont pour avancer vers L et K, il est évident aussi que celle qui est aux endroits K et L, doit s’avancer vers S, et que celle qui est à l’endroit S, doit s’avancer et prendre son cours vers O et C ». On peut encore parvenir à comprendre cette dernière description comme étant celle d’une sorte d’écrasement du « fluide » qui compose les sphères, et qui se comporte un peu à la manière d’un ballon que l’on comprimerait. Mais Descartes nous enlise alors dans des notions bien moins évidentes (Même si on prend soin d’intégrer au préalable, que selon lui, le Soleil et les étoiles forment le 1er élément, les cieux le 2ème, la Terre et les planètes le 3ème): « Cela se devrait entendre de la matière du second élément, aussi bien que de celle du premier, si quelque cause particulière n’empêchaient ses petites parties de s’avancer jusques là. Mais pour ce que l’agitation du premier élément est plus grande que celle du second, et qu’il est toujours très aisé à ce premier de passer par les petits recoins que les parties du second qui sont rondes, laissent nécessairement autour d’elles, quand même on supposerait que toute la matière, tant du premier que du second élément qui est comprise dans le tourbillon L commencerait en même temps de se mouvoir d’L vers S, il faudrait néanmoins que celle du premier parvint au centre S, plutôt que celle du second: et cette matière du premier étant ainsi parvenue dans l’espace S, pousse d’une telle impétuosité les parties du S, non seulement vers l’écliptique eg, ou MY mais aussi vers les pôles fd, ou AB, comme j’expliquerai tout maintenant, qu’elle empêche que les petites boules qui viennent du tourbillon L n’avancent vers S que jusques à un certain espace qui est ici marqué par la lettre B, le même se doit entendre du tourbillon K, et de tous les autres.» A ce stade, Descartes ne convainc pas plus qu’il ne démontre, en ce sens que ses suppositions prennent le pas sur d’éventuels faits vérifiables.

Descartes aborde les causes susceptibles de justifier de la position de notre planète au sein du système solaire. Dans ce chapitre, il traite par la suite d’un grand nombre de questions de physique. Par exemple de l’air qui selon lui, «n’est autre chose qu’un amas de parties du troisième élément, qui sont si déliées et tellement détachées les unes des autres, qu’elle obéissent à tous les mouvements de la matière du ciel qui est parmi elle: ce qui est cause qu’il est rare liquide et transparent, et que les petites parties dont il est composé, peuvent être de toute sorte de figure ». Ou de l’eau: « J’ai déjà montré comment elle est composée de deux sortes de parties toutes longues et unies, dont les unes sont molles et pliantes, et les autres sont raides et inflexibles, en sorte que lorsqu’elles sont séparées, celles-ci composent le sel et les premiers composent l’eau douce… »

Descartes mentionne les quatre actions ou forces qui, selon lui, ont contribué à la naissance des astres: l’agitation des particules de matière, la pesanteur, la lumière et la chaleur. A une époque ou la thermodynamique n’existait pas encore, Descartes avait déjà posé l’existence d’interactions entre tous les éléments et les forces présentes dans la nature. Même s’il les a réduites à des «tourbillons » tombés de nos jours dans l’oubli. Il ne concevait pas qu’il put exister des forces qui puissent s’exercer entre les objets, sans aucun contact physique, ainsi il ne pouvait concevoir qu’il existe des endroits de l’Univers qui puissent être remplis de vide. Son œuvre philosophique ne doit pas pour autant être déconsidérée, comme ce fut parfois le cas de la part de ses opposants qui concentrèrent leurs efforts à démolir certaines de ses « théories », en passant un peu trop sous silence, le bien fondé de sa «méthode ».

Descartes traite de la foudre, des étoiles «qui tombent » et mentionne la phosphorescence. De nombreux autres phénomènes sont également abordés dans cette quatrième partie comme par exemple, l’activité sismique, la nature des fluides, les propriétés de la lumière, les propriétés chimiques de différents matériaux, le magnétisme, etc.… Mon propos ne sera pas, bien sûr, de tous les passer en revue. Je souhaite simplement, qu’au regard des quelques extraits de textes que j’ai présentés, avoir levé le voile sur la manière qu’avait Descartes d’envisager certains aspects du Monde. Loin de moi l’idée d’appréhender chez ce philosophe, à travers ces passage, autre chose que quelques traits de sa pensée, sans prétendre aucunement la cerner en quoi que ce soit dans sa globalité.