Pierre Bayle - Pensées diverses.

Pierre Bayle par Louis Ferdinand Elle dit "le père" (1612-1689)

Pierre Bayle (1647-1706) est né à Carla le Comte (Carla-Bayle depuis 1879), forteresse huguenote  située dans le comté de Foix (actuel département de l’Ariège). Bayle n’est pas astronome. Son domaine de prédilection est la philosophie et son œuvre lui vaudra le surnom de « Père du siècle des lumières ». Fils de Jean Bayle, pasteur du village et de Jeanne de Bruguière, fille d’une famille noble mais sans fortune, il est le second des trois garçons de la famille. Son père se charge personnellement de l’éducation de ses enfants et leur apprend très tôt le latin et le grec. Dès son jeune âge, Pierre est en contact avec les livres.

C’est ainsi qu’il découvre Montaigne et Plutarque qui resteront ses auteurs préférés. Sa santé fragile, mais aussi la modestie de ses parents, retardent son entrée au collège protestant de Puylaurens dans le Tarn où Jacob, son frère ainé, venait de finir ses études de théologie. Pierre apprenait en autodidacte; il jugea rapidement le niveau de son collège trop bas pour lui. Il entre alors au collège des jésuites de Toulouse en 1669 pour y étudier la philosophie. Son entrée chez les compagnons de Jésus le conduisit à abjurer sa religion pour se convertir au catholicisme. Il se sépare alors quelque peu de sa famille et reçoit l’aide de l’évêque de Rieux-Volvestre qui lui attribue une pension. Cependant, au bout d’une année, il éprouve le besoin de revenir à la foi protestante. Suite à ses revirements, il est considéré comme hérétique et contraint de fuir le pays. Il trouve refuge en Suisse. A Genève il survit en servant de précepteur à des enfants de familles fortunées, tout en continuant ses propres études en philosophie. C’est à cette époque qu’il approfondit sa connaissance du cartésianisme. Il dévore tous les ouvrages qui lui tombent sous la main, au point d’écrire à son frère: « Le dernier livre que je vois, est celui que je préfère à tous les autres. D’où que cela procède, il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresses, que moi de livres ». (Citation d’après Nicole Cholewka du CNRS). 

On notera à ce propos que Pierre Bayle n’eut aucune compagne connue et qu’il refusa même un mariage pécuniairement avantageux avec une jeune et belle demoiselle, tant ses études accaparaient son temps et son énergie. Durant son séjour helvétique, il s’est intéressé aux diverses expériences scientifiques de son temps, que ce soit dans le domaine de la biologie ou celui de la physique. Il a vingt sept ans lorsqu'il rentre en France sous un faux nom (Béle) et qu’il s’installe à Rouen, puis après un passage à Paris, rejoint Sedan où il vient d’obtenir, par concours, une chaire de philosophie au sein de l’académie réformée. Il enseigne pendant six ans, tout en regrettant de ne pouvoir mentionner René Descartes dans ses cours, dont le contenu doit se limiter aux programmes traditionnels. L’académie de Sedan sera contrainte de fermer en 1681.

Les protestants subissaient de plus en plus de maltraitances de la part du pouvoir, des enfants étaient enlevés à leurs parents pour être baptisés, des soldats s’installaient à demeure chez les habitants et se permettaient tous les excès, viols, pillages. Les conversions forcées se multipliaient. Louis XIV envisageait déjà de révoquer l’édit de Nantes signé en 1598 par son grand-père Henri IV. Bayle est contraint de fuir la France,  une fois encore. Il gagne Rotterdam dans les Provinces unies (Hollande), ville où il demeurera jusqu’à sa mort. Peu de temps après il y est nommé professeur de philosophie et d’histoire au sein de l’École Illustre  (établissement d’enseignement supérieur qui ne remplit pas toutes les conditions pour être reconnu comme une académie) et il reçoit une pension annuelle de cinq cents florins. En Mars 1682, il publie Lettre sur la comète qui deviendra Pensées diverses sur la comète, lors des rééditions qui suivirent.

Dans cet ouvrage, Bayle se base sur la peur qu’inspira le passage de la comète de 1680 (qui n’était autre que la comète de Halley) pour s’insurger contre son caractère irrationnel. Il en profite pour combattre les superstitions, allant même jusqu’à conclure que l’athéisme est préférable à l’idolâtrie. De ce fait, il montre du doigt les excès de la religion catholique. Il publie de nombreux ouvrages critiques sur le fanatisme religieux et les abus qu’il engendre. Vers 1690, ses idées politiques et religieuses l’opposent à une partie de ses coreligionnaires ou anciens amis, comme Jurieu avec lequel il entre en conflit au point de perdre sa chaire en 1693. Il pose alors les fondements de ce qui deviendra son œuvre majeure Dictionnaire historique et critique, dans lequel il se propose de rétablir des vérités historiques. Il y travaille assiduement durant trois ans, avant une première publication en décembre 1696. Dès sa sortie, le Dictionnaire connait un énorme succès. Il sera réimprimé jusqu’au XIXème siècle et traduit en allemand et en anglais. Cet ouvrage qui prône la tolérance et la liberté de conscience influencera les penseurs de la génération qui suivra.

Edition en quatre tomes des "Pensées diverses écrites à un Docteur de Sorbonne" - Publiée à Rotterdam en 1721 par les héritiers de Reiner Léers - (issus de ma collection)

Malgré de multiples démarches et des recherches assidues, je n’ai pu acquérir que deux tomes de l’édition de 1705 qui en compte trois. En revanche j’ai pu me procurer, non sans peine, l’édition de 1721 complète de ses quatre volumes (ci-dessus).

A de multiples reprises, Voltaire nomme Bayle dans son œuvre, parlant de lui comme d’un « père spirituel ». J’ai trouvé dans une notice qui accompagne le Dictionnaire Historique et Critique (éd. 1740), un commentaire de Mr Pierre des Maizeaux sur les circonstances qui ont poussé Bayle à rédiger Pensées diverses. En voici un extrait: « Il parut au mois de décembre de l’année 1680, une des plus grande comète qu’on ait vues. Le peuple c’est-à-dire presque tout le monde, en était saisi de frayeur et d’étonnement. On n’était pas encore revenu de cet ancien préjugé que les comètes sont les présages de quelque événement funeste. Mr Bayle, comme il nous l’apprend lui-même; se trouvait incessamment exposé aux questions de plusieurs personnes alarmées de ce prétendu mauvais présage. Il les rassurait autant qu’il lui était possible, mais il gagnait peu par les raisonnements philosophiques; on lui répondait toujours que Dieu montre ces grands Phénomènes, afin de donner le temps aux pêcheurs de prévenir par leur pénitence les maux qui leur pendent sur la tête. Il crut donc qu’il serait  très inutile de raisonner davantage, à moins qu’il n’employa un argument qui fit voir que les attributs de Dieu ne permettent pas qu’il destine les comètes à un tel effet… ».

Sans prétendre ici résumer la pensée de Bayle, il me semble intéressant d’en souligner quelques grandes lignes, dans le sens où ses idées défendent une nouvelle manière d’aborder les sujets. En effet, Bayle considère par exemple que le doute critique est une condition indispensable à tout progrès des consciences. Il se définit comme un «chercheur de vérité impénitent » et défend la primauté de l’expérience sur le sentiment. Il ouvre de nouvelle voies de progrès en proposant de passer de la superstition à la raison, promouvant ainsi, avant l’heure, l’esprit scientifique qui rayonnera au siècle suivant. Bayle écrit: « Un sentiment ne peut devenir probable par la multitude de ceux qui le suivent qu’autant qu’il a paru vrai à plusieurs, indépendamment de toute prévention et par la seule force d’un examen judicieux accompagné d’exactitude et d’une grande intelligence des choses; et comme on a fort bien dit qu’un témoin qui a vu est plus croyable que dix qui parlent pour ouï dire, on peut aussi assurer qu’un habile homme qui ne débite que ce qu’il a extrêmement médité et qu’il a trouvé à l’épreuve de tous ses doutes, donne plus de poids à son sentiment que cent mille esprits vulgaires qui se suivent comme des moutons, et se reposent de tout sur la bonne foi d’autrui ». Selon le pasteur Claude Jean-Lenoir: « Aujourd’hui,  Bayle est toujours un perturbateur car ses écrits appellent à la libération des consciences ». Lorsque Bayle considérait «La superstition plus injurieuse que l’athéisme », envisageait-il déjà les maux qui aujourd’hui nous menacent, à travers une démission de la pensée et du «doute critique » qu’il défend, face aux astrologues et autres gourous dont les activités deviennent si florissantes qu’elles envahissent jusqu’à nos médias et plus, grave encore, rallient parfois certains scientifiques et intellectuels à leur cause, lorsque ces derniers négligeant la voie de la raison, envisagent celle de l’irrationnel. Malgré de multiples démarches et des recherches assidues, je n’ai pu acquérir que deux tomes de l’édition de 1705 qui en compte trois. En revanche j’ai pu me procurer, non sans peine, l’édition de 1721 complète de ses quatre volumes.

J’ai cru bon d’insérer cet ouvrage dans ma présentation car certains passages me semblent particulièrement significatifs quand à l’approche novatrice qui se dessinait concernant l’observation et l’étude scientifique. L’auteur y oppose sa vision, qu’un scientifique contemporain pourrait quasiment reprendre à son compte, à diverses croyances générées par le passage d’une comète mais aussi, implicitement, à toute espèce de croyance susceptible de s’exercer dans un cadre général. On remarque que Bayle procède de manière méthodique dans la construction de son argumentation, ce qui ne manque pas de rappeler la démarche cartésienne. Les formulations sont parfois apagogiques (raisonnement par l’absurde) car, comme on peut en convenir sur le plan épistémologique, les connaissances de son temps ne lui laissaient guère d’autre alternative, même si elles présentaient le risque d’en devenir moins convaincantes.

Après avoir mentionné la cosmologie des Grecs anciens, Bayle évoque ici celle de Descartes qui, en 1705, était encore considérée comme une hypothèse plausible de modélisation scientifique en ce qui concerne les mouvements célestes. Ce n’est en effet qu’une quarantaine d’années plus tard que Clairaut, Maupertuis et la marquise Émilie du Châtelet parviendront à faire admettre le bien fondé de la mécanique newtonienne. Je reviendrai sur cette question à la fin de ce tome, à propos notamment des Mélanges de philosophie de Voltaire. Bayle passe ensuite en revue une série d’évènements et souligne leur caractère aléatoire, ainsi que la variété de leurs causes possibles, pour mieux montrer qu’ils sont sans aucune relation avec le passage des comètes

L’auteur évoque l’idée d’une cause générale qui ressemble à celle que la philosophie scolastique appelait cause première ou cause efficace (qui n’était autre que Dieu). Considérant en parallèle l’existence de causes secondes (« causes occasionnelles »  pour les scolastiques), il montre en quoi elles sont dissociées entre elles. Selon lui, cette absence de liens, que je qualifierai d’« horizontaux », n’exclut pas leur subordination à la cause générale, dans une dépendance que je nommerai cette fois « verticale ». Tout en admettant certaines convergences avec le père Nicolas Malebranche, pour qui chaque aspect du monde (y compris l’âme) émanait de Dieu, Bayle réitère l’idée que les causes secondes n’entrent pas dans le champ ainsi défini par Malebranche, pour qui les causes occasionnelles, comme par exemple les mouvements des corps ou les pensées des esprits, sont une manifestation, sous deux aspects différents, d’une même volonté divine.

Lorsque Bayle s’appuie ainsi sur des observations physiques et des faits matériels, il fait appel à la raison dont il disait: « La raison est le tribunal suprême et qui juge en dernier ressort et sans appel de tout ce qui nous est proposé. » Ce qui ne l’empêche pas d’admettre l’existence d’un être suprême, qui, un peu à la manière d’un arbitre, limiterait ses interventions en ne s’assurant que du bon fonctionnement de l’Univers, à l’exclusion des affaires humaines et, de ce fait, en ne positionnant pas l’homme au centre de sa création; ce qui marque encore l’opposition de Bayle à la vision de Malebranche selon qui Dieu n’est pas indifférent et intervient pour préserver un ordre moral en orientant la conduite de ses créatures vers le bien et la perfection.

Bayle s’opposait au christianisme en concevant une sorte de « religion naturelle », qui serait révélée par la conscience de chaque homme en mesure de réfléchir et qui n’aurait aucunement besoin de miracles, de textes dogmatiques ou d’inquisition, pour exister, sans exclure non plus qu’un athée puisse être vertueux et faire preuve de morale. Dans cet extrait, il évoque la relativité de la croyance en fonction des peuples et il va même jusqu’à décrire une espèce d’interchangeabilité des créatures divines, suivant différentes circonstances. On reconnait ici le doute permanent qui anime la pensée de Bayle et qu’il érige en tant que méthodologie venant structurer sa recherche de la vérité.

En guise d’introduction au dernier chapitre des Pensées diverses, Bayle conclut de la sorte: « J’arrête ici, Monsieur, m’admirant moi-même, quand je jette les yeux sur la longueur démesurée de cet écrit; mais plus encore, quand je songe à l’étrange bigarrure qui y règne… ». Ce chapitre qu’il intitule « Abrégé de tout l’ouvrage » suffit à synthétiser les grandes lignes de la pensée du philosophe au sujet de l’événement (le passage d’une comète) et des sentiments qu’il éveille (croyances et superstitions). C’est pourquoi je le restitue ici dans son intégralité.

Bayle fait appel au rationalisme, car aucun élément de connaissance sur la physique des comètes ne pouvait alors lui permettre d’énoncer un quelconque « théorème » attestant la véracité de ses affirmations. C’est donc une logique raisonnée qui se substitue ici, par défaut, à une véritable démonstration, comme on pourrait y avoir recours dans le domaine des mathématiques ou de la géométrie. Bayle parvient cependant, selon Hubert Bost* à: « désenchanter le monde pour garder à la raison son potentiel de critique lucide ».

*Hubert Bost : directeur d’étude et doyen de la section des Sciences Religieuses  de l’EPHE de Paris, à la Sorbonne.

A la suite de la publication des premières Pensées diverses, Bayle fut conduit à adjoindre une continuation, qui lui permit de répondre à un libelle de Pierre Jurieu. Souvenons-nous qu’à partir de 1675, Bayle occupait la chaire de philosophie de l’académie reformée de Sedan, dont il devait en grande partie l’obtention à son ami Pierre Jurieu qui y enseignait déjà la théologie et l’hébreu et qui avait activement défendu sa candidature. Lorsqu’en 1681, Louis XIV chassa les calvinistes de Sedan, Jurieu gagna Rouen pour y exercer son ministère (il était pasteur). Il rédigea alors un libelle intitulé Politique du clergé de France qui le contraint à l’exil. Il gagna Rotterdam où il retrouva Bayle qui, comme lui, était professeur à l’École illustre. De profondes divergences naquirent entre les deux hommes qui en étaient arrivés à s’affronter publiquement. Ainsi Jurieu parvint à priver Bayle de sa chaire en le dénonçant et en l’accusant d’irréligion et de complicité avec le Roi de France. C’est dans ce contexte sulfureux que Bayle précisait certains points de ses Pensées, tout en répondant aux accusations de son farouche opposant qui ne pouvait qu’être devenu jaloux de sa notoriété.

J’ai pris le parti de ne pas morceler la restitution de ces quelques paragraphes des Continuations et d’en reproduire consécutivement plusieurs pages. Ces dernières me semblent en effet parfaitement illustrer la manière dont Bayle démonta les allégations de Jurieu, tout en s’appuyant sur un contenu qui, bien que philosophique, reste suffisamment proche de notre sujet.  Avant de s’en prendre aux prédictions astrologiques, Bayle précise qu’il ne faut pas « compter les voix » mais les « peser », signifiant ainsi clairement que le nombre d’adhérents à une idée ou à une doctrine, n’atteste en rien du bien fondé de cette dernière. On remarquera la fermeté du ton qui nous laisse parallèlement envisager l’âpreté des joutes intellectuelles entre les différents opposants et partisans que ne manquaient compter nos deux éminents protagonistes.

Bayle n’est plus dans le doute critique, mais bien ici dans la négation frontale de ce qu’il considère comme une duperie. En cela, il s’oppose à son contradicteur pour qui le « consentement général des peuples »  portait chaque nation à préférer « à toute autre, la créance de ses ancêtres » qui suffisait à transformer une croyance en vérité. Bayle réfute ainsi cette idée: « On dit d’abord que le droit des gens ou que le droit naturel est celui qui est approuvé de toute la terre, et puis on se réduit aux peuples civilisés: c’est-à-dire, que l’on se contente de la plus petite partie des peuples si l’on ne peut s’appuyer sur l’autorité de la plus grande…  Le paganisme insultait les premiers chrétiens sur leur petit nombre et leur opposait son antiquité… l’église Romaine se servit de la même bâterie contre Luther et Calvin… les protestants s’en serviraient aujourd’hui contre une secte naissante… c’est une méthode très aisée de réfuter les innovations… la voie de prescription évite toutes les fatigues de l’examen… tout cela flatte beaucoup la paresse humaine… c’est  pourquoi on se munit de cet argument en toutes les occasions… » Bayle n’admet donc rien sans l’avoir au préalable examiné.

Comme pour relativiser l’importance de la critique de Jurieu, l’auteur adopte un ton narquois en évoquant habilement son « gros ouvrage » (le Dictionnaire historique et critique); Il n’en fait pas moins preuve d’érudition dans sa réponse, lorsqu’il énonce des conséquences historiques relatives à la crédulité de certains grands envers l’astrologie. Il cite ici un passage de Nostradamus et reconnait que certaines prédictions de ce dernier ne se sont jamais réalisées. A la lecture de ces textes, on ne peut que s’interroger de nouveau sur la place qu’occupait et qu’occupe encore dans nos sociétés les astrologues et autres charlatans. Par quels ressorts arrivent-ils à tromper ainsi tant de personnes, à abuser de tant de crédules? Il serait tentant d’en déduire que beaucoup de ceux qui cèdent aujourd’hui aux attraits de leurs allégations irrationnelles, ne sont autres que les mêmes que ceux qui, il y a quelque siècles, croyaient que le passage d’une comète était un signe de mauvaise augure.

Pierre Jurieu a tenté d’entraîner Bayle sur le délicat terrain qui consiste à ne pas remettre en cause la prédiction en tant que telle, mais plutôt les circonstances qui peuvent conduire celui qui l’établit à se fourvoyer. De ce fait, selon Jurieu, la fausseté d’une prédiction donnée n’indique en rien que la notion générale de prédiction ne soit pas concevable. Bayle cite un « beau passage » de La Logique ou l’art de penser, également connue sous le nom de Logique de Port Royal, écrite par ses coreligionnaires Antoine Arnauld et Pierre Nicole qu’il ne cite pas nommément (le livre ne comportant pas, lui-même, mention de ses auteurs). J’ai retrouvé cet extrait à la page 8 et 9 de la première édition de 1662, parue à Paris chez Charles Savreux, (disponible en téléchargement à la BNF). Ainsi, en schématisant, selon Arnauld et Nicole, l’art de penser se structure sur quatre fondements: Comprendre, juger, déduire et ordonner. On trouve ici une similitude avec les approches de Descartes ou de Pascal. Cependant, il sera objecté à la Logique de Port Royal le caractère trop idéal d’un langage rationnel qui peinerait à concilier l’esprit « de finesse » avec celui de « géométrie ».

Bayle, poursuivant sa croisade contre l’astrologie, se positionne ici sur le terrain de son adversaire. Il fait référence à Jean Calvin, alors même que Jurieu comptait parmi ses fervents défenseurs. Calvin qui, lui aussi, avait en son temps fustigé les astrologues et les devins. Bayle note simplement, mais non sans avec une certaine habileté tactique vis-à-vis de Jurieu, que l’erreur d’appréciation susceptible d’être reprochée au chef religieux ne serait que le fait de la méconnaissance que l’on avait, au XVIème siècle, des données astronomiques. Pour conclure, je reprendrai un commentaire de Daniel Vidal, directeur de recherche au CNRS qui écrit:  « Car il n’est point de signe naturel de Dieu, écrit Bayle: les présages sont « ouvrages de l’esprit humain, et non pas des institutions de la providence ». Instrumentalisés par les pouvoirs politiques, ils conduisent les peuples à faire soumission. Appropriés par les peuples, ils légitiment les contestations des puissances. Dans les deux cas, il y a risque d’ébranlement de la paix civile et de l’ordre public ». Le passage d’une comète n’aurait donc été qu’un prétexte pour raviver ces incohérences de la nature humaine, tant éloignées de l’esprit des hommes de science qui ne cherchaient, par leurs travaux astronomiques, qu’à élucider quelques éléments du grand mystère de la création.