Père Antoine Gaubil - Astronomie chinoise - Lettres édifiantes et curieuses
Ce livre, vingt-sixième tome des Lettres édifiantes et curieuses (ouvrage compilant les témoignages de missionnaires jésuites à l’étranger) contient de nombreux articles, dont une biographie du père Picquet, missionnaire au Canada, durant la guerre opposant Français et Anglais. La particularité de cette biographie est d’avoir été écrite par l’astronome Jérôme de la Lande qui connaissait ce personnage, comme lui, originaire de Bourg en Bresse. Je ne donnerai ici aucun extrait de ce texte car il n’y est pas question d’astronomie. En revanche cet ouvrage renferme également une histoire de l’astronomie chinoise rédigées par le Père Antoine Gaubil né à Gaillac en 1689 et mort à Pékin en 1759..
Admis dans la Compagnie des jésuites de Toulouse à l'âge de quinze ans, ce dernier s’est nourri des classiques grecs et latins, tout en s’appliquant à l’étude des sciences. Il apprit l'hébreu afin d’aborder les livres saints, à partir de leurs sources primitives. Ses connaissances en astronomie et en mathématiques lui valurent d’être envoyé en Chine à une époque ou la foi chrétienne y était considérée indésirables et où les missionnaires commençaient à être malmenés, bien que l’Empereur acceptait parallèlement de recevoir des artistes ou des mathématiciens occidentaux. Gaubil quitte la France en 1721 et arrive à Canton le 26 juin 1722 d'où il rejoindra Pékin le 9 avril 1723. Au terme de ses études linguistiques, il porte le nom chinois de Sun Kiun-Yung et succède au Père Parennin, en tant que directeur de l'école qui enseigne le latin aux jeunes mandchous. Peu de temps après, il est nommé interprète à la Cour Impériale, charge qu’il exercera pendant trente années. Il est l’interprète de l’Empereur pour le latin et le tartare (langues alors utilisées dans les relations diplomatiques entre la Chine et la Russie).
Son érudition à propos de l’histoire chinoise fascine la cour, surprise de constater qu’un occidental en connait souvent plus qu’elle sur les détails de sa propre histoire. Gaubil devient le meilleur des astronomes et historiens parmi les Jésuites français résidant en Chine au XVIIIéme siècle. Il entretint une correspondance suivie avec les astronomes Fréret et Delisle. En 1747, il est admis à l’Académie de Petersburg et devient également correspondant de l’Académie des Sciences de Paris. Le sinologue Abel Rémusat (1788-1832) écrit à propos de son œuvre: « On ne peut faire à ses ouvrages qu’un seul reproche fondé: c’est qu’ils sont écrits dans un style qui en rend quelquefois la lecture fatigante. Gaubil, en apprenant les langues de la Chine, avait à peu près oublié sa langue maternelle : mais ce défaut, qui pourrait lui faire tort dans l’esprit des gens du monde, n’est rien pour les savans auxquels ses écrits sont destinés... »
Le père Gaubil évoque les débuts de l’histoire chinoise qui se situeraient vingt six siècles avant notre ère. D’après les historiens actuels, les noms cités, notamment Fou-hi, Chin-nong ou Hoang-ti (connu aussi sous le nom d’Empereur Jaune, 2697-2598 av. J.-C.) et, jusqu’à l’empereur Yao (2357-2255 av. J.-C.) seraient ceux de personnages mythiques. Cependant, les textes font état de devins et de magiciens exerçant leur ascendant sur les peuples, de par leurs relations supposées « directes » avec les puissances célestes. On ne manquera pas de faire un parallèle avec les mythologies occidentales ou amérindiennes, dans lesquelles les peuples sont, eux aussi, tributaires de divinités célestes. L’imbrication entre astronomie et astrologie est ici flagrante.
Bien que l’existence de l’empereur Yao ne soit pas démontrée, il existait (à son époque supposée), dans le nord-ouest de la Chine, une culture néolithique qui a progressivement étendu son territoire le long du bassin supérieur du Fleuve Jaune. Cette civilisation agricole fabriquait du tissus, des poteries et possédait ses propres rites funéraire, ce qui laisse envisager l’existence probable de croyances au sein de cette population. Il n’y a donc rien de surprenant à faire une relation entre le contenu astronomique des écrits anciens consultés par le Père Gaubil et les devins ou astronomes qui auraient, pour leurs besoins, posé les bases d’une astronomie judiciaire primitive, déjà capable de définir des saisons ou d’établir la durée d’une année à 365 ¼ jrs.
Au-delà de la question des origines de l’astronomie chinoise, le père Gaubil confirme que, pour ce peuple, le comptage du temps fut, tout comme pour d’autres civilisations (Égyptiens, Sumériens, Perses…), la préoccupation majeure de ses premiers astronomes; probablement en raison de son incidence sur l’agriculture. En effet, dans le découpage du calendrier solaire, apparaissent des périodes nommées d’après les travaux champêtres. Le fait que certaines conjonctions ou évènements astronomiques aient, suivant les époques, donné lieu à diverses cérémonies, confirme également leur dimension sociale. De ce fait, on mesure la nécessité, pour les empereurs, de maîtriser les données astronomiques, en tant qu’instrument de pouvoir sur leurs peuples. On notera à l’occasion la référence faite à l’usage des propriétés du triangle rectangle.
Cet extrait marque l’importance de la Lune dans le repérage du temps. Ainsi, une date peut se définir par rapport à une lunaison donnée relativement à une saison. De telle sorte que l‘arrivée d’une nouvelle Lune, marque le premier jour du mois lunaire, la longueur du mois étant l'intervalle, en jours, entre deux nouvelles Lunes. Le nombre de jours d'un mois lunaire dans le calendrier chinois est variable, il peut être soit de 29 soit de 30 jours. Les mois lunaires ne portent plus de noms, il sont simplement désignés par leur rang. On peut noter que le cycle sexagésimal qui les désigne nommément est aujourd’hui tombé en désuétude.
Ici apparaissent des détails sur le découpages du temps, qui fut à la base de l’établissement des calendriers agricoles chinois. On note que les Tchong-ki, sont au nombre de trois par saisons et qu’il divisent l’année en douze parties égales (similitude avec nos douze mois, à la durée près). On remarque qu’il existe également des Tsie-ki, découpant en deux chaque Tchong-ki, de telle sorte que l’année se trouve divisée au total en 24 parties égales. Ce système entièrement solaire ne nécessite aucun mois intercalaire et présente donc une correspondance assez régulière avec le calendrier grégorien. Les périodes Tchong-ki et Tsie-ki portent chacune des noms évoquant les changements de la nature ou les activités agricoles du moment (Yu-chou-y = pluie, Tachou = grande chaleur, Tchou-chou= arrêt des chaleurs, Tahan =grand froid , Mant-tchong = grain en épi, King-tche = réveil des insectes... )
Les historiens, tout comme les commentateurs occidentaux, ont considéré l’astronomie des chinois comme rudimentaire, notamment en matière de cartographie céleste et d’instrumentation; cela n’implique cependant pas que ces derniers aient été incapables d’effectuer des mesures d’angles ou de distances. Ils disposaient en effet de connaissances en géométrie qui, bien que sommaires comparées à celle des grecs, leur permettaient d’effectuer des relevés de position d’objets célestes. Le triangle rectangle dont les trois côtés sont dans le rapport 3 : 4 : 5 (déjà utilisé par les Égyptiens comme équerre), est une figure fondamentale de la géométrie qui apparait ici dans le Théou-pey ou «Livre sacré du calcul», qui aurait été rédigé plus d’un millénaire avant J.-C.
Les Chinois revendiquent la paternité de la science astronomique. Leurs écrits anciens font effectivement état de phénomènes comme les éclipses, les conjonctions planétaires ou les supernovæ. On trouve aussi l’existence d’un astronome nommé Ou-hien qui aurait établi vers 1620 av. J.-C. un catalogue d’étoiles qui, malheureusement, ne nous est pas parvenu. L’astronomie était pourtant une véritable institution; l’empereur Qin-shiwan (259-210 av. J.-C.) employait environ trois cent personnes pour la confection des calendriers, l’observation, la garde du temps (utilisation des clepsydres) et le service du temps (sonneurs de cloches et batteurs de tambours). Les données astronomiques chinoises, relatives aux périodes très anciennes, sont pourtant fort imprécises voire inexactes, alors qu’à ces même époques, il est établi avec certitude que les Chaldéens disposaient de connaissances avancées dont bénéficièrent les Égyptiens et les Grecs quelques siècles plus tard. Certains historiens ont donc avancé l’hypothèse que les Chinois auraient pu acquérir ces connaissances et les intégrer plus tardivement à leur propre astronomie.
Bien que peu enclins à traiter de cosmologie, les chinois ont en revanche, tout comme Pythagore, tenté d’établir une relation entre l’ordonnancement céleste et celui des notes d’une gamme musicale. La musique jouait en effet un rôle important depuis la dynastie Zhou (1046 à 256 av. J.-C.). A cette époque, le « diapason » qui était un tuyau de flute calibré, était considéré comme un élément stratégique entre les mains de l'empereur. Ce dernier se rendait régulièrement dans ses provinces pour écouter les orchestres et vérifier la bonne tenue des musiques. S’il arrivait que les instruments dérivent du diapason impérial, cela signifiait un risque d'agitation sociale, alors que si les sons gardaient la bonne hauteur, l'empereur pouvait regagner ses palais et demeurait confiant en son peuple. On remarquera également la référence au marquage du temps dont je fais état dans un commentaire précédent.
Les 28 constellations chinoises ou « maisons lunaires » correspondent au différents regroupement d’étoiles sur le plan équatorial, un peu à la manière du zodiaque des occidentaux (à la différence près que le zodiaque se situe par rapport à l'écliptique qui marque son milieu) . Elles sont divisées en quatre zones de sept astérismes, symbolisées respectivement par quatre animaux: Le Dragon azu à l'est, l’Oiseau vermillon au sud, la Tortue noire au nord et le Tigre blanc à l'ouest. A la différence de notre zodiaque, dans lequel chaque signe occupe une portion de 30° du ciel, la taille des constellations chinoises peut varier de 2°(Tse) à 33°(Tsin). Le père Gaubil fait, à ce propos, remarquer que la somme des degrés des constellations du tableau qu’il reproduit ici, est égale à 365° (il en déduira que les fractions de degrés n’ont probablement pas été notées sur les ouvrages anciens). Chaque constellation est identifié par une étoile référente, comme l’indique la 4ème colonne du tableau. (J’ai pu ainsi retrouver, par exemple, que l’étoile référente de Ni-eou (ou Ni-xiu) devait être béta du Capricorne (Dabih) ou que celle de Li-eou était probablement delta de l’Hydre, etc...)
A noter : Roland Trotignon de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse nous fait remarquer, je le cite : " au sein du découpage équatorial des 28 Xiu, la répartition des étoiles déterminatives sur la voûte céleste ne correspond pas à la position actuelle de l'équateur et permet d'évaluer la date à laquelle ce système a été mis en place. Il confirme la date d'environ 2500 avant notre ère que suggèrent les chroniques chinoises. La correspondance entre les anciennes dénominations chinoises et celles adoptées internationalement sont parfois incertaines. L'étoile déterminatrice de l'astérisme Niu (牛) est bêta du Capricorne et celle de Lou (楼) est Bêta de Bélier.
Le traité d'astronomie de John Herschel (voir présentation de ce livre sur ce même site) a joué un grand rôle dans le basculement de l'astronomie chinoise vers l'astronomie moderne. En 1959, cet ouvrage a été traduit en chinois par le mathématicien Li Shanlan et le missionnaire anglais John Wylie sous le titre tantian (谈天 -"à propos du ciel")."
Les chinois ont peuplé leur ciel en fonction d’éléments de leur vie quotidienne, contrairement aux occidentaux qui en ont fait la résidence de personnages ou de créatures mythologiques. La création des 28 maisons lunaires est très ancienne; ces dernières furent les premiers astérismes du ciel chinois, vraisemblablement en raison de la nécessité de mettre en place un calendrier des saisons. Vers le IIIème siècle apparaissent de nouveaux astérismes; on en dénombre environ 280 qui comptent d’une seule à une trentaine d’étoiles. On retrouve également ces 28 astérismes dans le zodiaque astrologique chinois (figure ci-dessus à droite)
Les 28 constellations sont divisées en 4 parties de 7 constellations.
On peut les identifier par analogie avec les caractères du tableau, en les lisant dans le sens horaire autour zodiaque. Chacune des 4 portion du cercle comporte 3 animaux, on y trouve:
1) le Rat, le Buffle, le Tigre.
2) le Chat, le Dragon, le Serpent.
3) le Cheval, la Chèvre, le Singe.
4) le Coq, le Chien, le Cochon.
Ainsi, chaque animal réapparait une année entière selon un cycle de douze ans.
Les chinois attribuent à l’empereur Huang-di l’invention du calendrier (vers 2600 av. J.-C). Ce calendrier est « luni-solaire », ce qui signifie qu’il se base à la fois sur l’observation de la longitude du Soleil et des phases lunaires. Les mois y sont donc en phase avec les lunaisons et l’année est calée sur l’année tropique ou année équinoxiale (définie comme l’intervalle de temps pendant lequel la longitude moyenne du Soleil sur l’écliptique décrit 360 °). Le point de départ (premier jour du mois) du calendrier chinois nécessite de déterminer avec précision la date de la nouvelle Lune. En considérant d’une part que la longitude du Soleil est de 0° lors de l’équinoxe du printemps, 90° au solstice d’été, 180° à l’équinoxe d’automne et 270° au solstice d’hiver, et d’autre part que ces positions astronomiques sont des multiples de 30°, on établit 12 dates (ou termes principaux) séparées de 30°, qui serviront chacune à déterminer les numéros du mois. Je n’entre pas ici dans le détail, notamment lorsque sur un mois lunaire, se chevauchent deux termes principaux ou, lorsqu’il est nécessaire d’insérer un treizième mois (année « embolismique »). Les années chinoises étaient historiquement comptabilisées à partir de l’accession au trône des empereurs. (cette coutume fut abandonnée après la révolution de 1911 qui renversa l’empereur Pou-yi (1906-1967) de la dynastie des Qing,). L'origine du calendrier sexagésimal est très ancienne, puisqu'il apparait sur les écrits des oracles de la dynastie Shang (1776 à 1122 av. J-C.) où il servait à noter les jours. Bien plus tard, on retrouvera dans le livre Tchun-tsieou la mention d’une éclipse solaire datée suivant ce système: « Troisième année du règne de Yn-Kong (697 à 628 av J.C.), deuxième lune, jour Ke-sse ». Le père Gaubil qui a relevé une erreur après avoir effectué ses propres calculs, écrira: « Le calcul des jours fait voir que c’est le 22 février de l’an 720 avant J.-C. Par le calcul du lieu du Soleil on aurait dut marquer, non 2ème Lune mais 3ème Lune » Il notera cependant en exergue: « L’erreur de la 2ème Lune de la troisième année n’infirme en rien l’époque de l’an 720, fixée en vertu de l’éclipse de Soleil ». Les cycles de 60 du calendrier chinois portent, comme on le constate, deux mots chacun. Ces mots correspondent à deux éléments appartenant respectivement au dix Kan (Tiges Célestes), comprenant chacune douze Tchi (Branches Terrestres). Ce calendrier peut être utilisé pour marquer indifféremment les mois, les jours ou les heures.
L’extrait ci-dessus reprend le détail des 12 Tchi et des 10 Kan, ainsi que les évènements qui peuvent leur correspondre. Dans le calendrier sexagésimal, chacun des éléments apparait de manière cyclique. Pour le comptage des années, on constate que la première année d’un cycle est une association du premier Kan accolé au premier Tchi, soit: Kia-Tse. L’année suivante associe le second Kan au second Tchi, soit: Y-tcheou, et ainsi de suite, jusqu’à la dixième année Kouey-yeou, où l’on arrive à la fin de la liste des 10 Kan. Pour la onzième année, il suffit de revenir au premier Kan, auquel on accole le onzième Tchi. Pour la douzième année, marquant le dernier Tchi, on prend le deuxième kan auquel on accole le douzième Tchi, soit: Y-Hay. En fait, il suffit de dérouler chronologiquement et en boucle chacune des listes de Kan et de Tchi. À titre indicatif, le cycle sexagésimal chinois actuel a débuté le 2 février 1984.
Pour prolonger mon commentaire, j’ai rapproché chaque Tchi et chaque Kan des animaux ou éléments de l’astrologie chinoise. J’ai repris, dans les tableaux ci-contre, les termes tels que le père Gaubil les a orthographiés, bien que j’ai pu constater dans les documents actuels, qu’ils avaient très sensiblement évolués. L’association des «tiges célestes » avec ces éléments n’apparaît qu’à partir du IIéme siècle av. J.-C. L’origine des cinq éléments étant liée aux cinq planètes (Mercure/Eau, Vénus/Métal, Mars/Feu, Jupiter/ Bois et Saturne/Terre). L’astrologie chinoise d’aujourd’hui est calendérique, astronomiques et religieuses, elle porte ainsi la mémoire de l’astronomie ancienne qui se devait initialement: «d’observer les cieux pour prévoir les changements dans les affaires humaines et établir un calendrier fiable rythmant le travail des paysans».
Il apparait que cette astronomie s’est limitée à répondre à ses missions traditionnelles, comme l’aurait fait une science appliquée. Les philosophes (au sens ancien) étant assez peu considérés en Chine, personne se soucia des équations définissant le mouvement des planètes ou des forces de gravitation. Il faudra attendre l’arrivée de missionnaires pour que les chinois adoptent l’astronomie de Galilée, Newton et Kepler. L’astronomie chinoise ne s’est donc pas distinguée par des instrument de précision ou de grandes théories, en revanche elle a permis de tenir, au jour le jour et durant de nombreux siècles, des chroniques historiques précises, bien plus qu’aucune autre civilisation n’a su le faire.