Percival Lowell - Mars et ses canaux

"Mars et ses canaux ses conditions de vie" traduit par Marcel Moye. Edité à Paris en 1909 - (issu de ma collection)

Mars et ses canaux, ses conditions de vie est le dernier ouvrage que je présente et qui, bien que publié en 1909, peut être considéré comme un produit du XIXème siècle. D’une part, parce que les premières investigations de Lowell sur la planète Mars datent de 1895 et d’autre part, parce que l’absence de données fiables, en raison des capacités limités de l’instrumentation, poussait certains astronomes à donner libre cour à leur imagination à travers des concepts ne reposant sur aucune donnée scientifiquement vérifiable. Ci-dessous, Percival Lowell en conversation avec Samuel Morse dans le bureau de l’observatoire de Flagstaff.

Ainsi, les thèses de Lowell à propos de Mars sont essentiellement étayée sur des suppositions. Cette « tentation de l’imaginaire », dans laquelle de nombreux chercheurs se sont fourvoyés, réduisit l’approche scientifique à un rôle supplétif. Outre de ternir la discipline qu’ils croyaient servir, ces chercheurs en soulignèrent aussi les limites. L’astronomie observationnelle d’alors, bien que marquée par un considérable perfectionnement de ses instruments, s’essoufflait davantage qu’elle ne progressait, tandis que l’astrophysique, encore naissante et, bien que plus théorique et moins accessible, ouvrait un univers aux dimensions sans commune mesure avec celui dont les limites, furent bornées durant plusieurs siècles par la seule capacité visuelle de l’homme. Le XXème siècle vit apparaitre de nouvelles technologies qui permirent de mieux connaitre la nature de l’univers. Pour autant, les questions philosophiques induites ne furent guère différentes que celles posées, a des millénaires, lorsque l’homme levait la tête vers les cieux pour y interroger les étoiles.

Après avoir ouvert mes présentations par un texte de Fontenelle, défendant l’idée d’une pluralité des mondes habités; après avoir montré différentes facettes de ce que l’astronomie éveillait dans l’esprit de l’homme, tant sur le plan des technologies qu’il à mis à profit pour faire évoluer ses connaissances, que sur les chemins qu’il s’est  frayés à travers les nombreux écueils qui entravaient sa marche, il m’a parut opportun de conclure en montrant la fragilité et les incertitudes qui jalonnent le parcours des scientifiques. Ici, Percival Lowell, sur la base de ses seules observations est parvenu à se convaincre que Mars était habitée par une civilisation avancée. Une moitié de son ouvrage est consacré à établir des similitudes entre Mars et la Terre, qui lui permirent des conclusions dont je reprend ici le résumé.

Sur les trente neuf points que Lowell énumère, une bonne part d’entre eux sont issus de ce qu’il nomme « les yeux de l’esprit ». L’exemple des calottes que Lowell considère constituées de glace, notamment en raison de leurs évolutions saisonnières, est à ce titre intéressant. A partir de ce constat, il développe une série d’affirmations sous-tendues par la présence supposée d’eau liquide à la surface de Mars. Les différences périodiques de coloration observées dans certaines zones, lui feront considérer l’existence d’une masse végétale utilisant les eaux fondues des calottes. De cette présence végétale, il n’y a qu’un pas pour en déduire la présence de composés chimiques nécessaires au cycle biologique, en particulier l’air. Lowell ira plus loin encore en établissant des cycles climatiques martiens caractérisant tout comme sur la Terre des zones tropicales, tempérées et polaires.

Sur les deux figures ci-dessus on peut constater la manière de procéder de Lowell, par analogie entre Mars et la Terre. Ici, il compare les « courbes phénologiques *» des deux planètes qui traduisent, selon les latitudes et à différentes périodes de leur rotation autour du Soleil, les «points morts» de leur végétation. A propos de Mars, Lowell commente: « La seule eau de surface que connaisse la planète est celle provenant de la fusion des calottes polaires. La végétation ne peut partir qu’après l’arrivée de l’eau. Donc malgré la présence du Soleil, la végétation doit attendre la venue de l’eau et suit son maigre débit dans son cours des pôles vers l’équateur ».

* La phénologie est l’étude de l’influence des climats sur les phénomènes périodiques survenant au cours du développement des organismes végétaux ou animaux.

Lowell est ainsi parvenu à modéliser Mars à l’image de la terre. Les jours y sont comparables aux nôtres, l’eau est présent à sa surface, il y règne globalement un froid intense, mais on y trouve des zones avec des températures positives, propices au développement d’une végétation qui recouvre une partie de sa surface. Les variations de couleurs des « zones végétales » attestent précisément des changements métaboliques auxquels seul un cycle végétal peut correspondre. Lowell n’était pas le seul à défendre ces points de vue, à propos de la planète rouge. De nombreux astronomes comme le père Secchi, Camille Flammarion, Giovanni Schiaparelli ou Eugène Antoniadi et bien d’autres le suivirent dans cette voie, mais Lowell alla plus loin encore, comme nous allons le voir.

Lowell s’était jusqu’à présent contenté d’évoquer « les configurations naturelles » de Mars. Dans la deuxième partie de son ouvrage il aborde une description de ce qu’il nomme  « les configurations non naturelles ». Il annonce ici sa découverte à la manière d’un « scoop », tout en prenant quelques précautions, je le cite: « Nous passons maintenant à une découverte d’un caractère si inattendu que la monde scientifique eut d’abord de la répugnance à l’accepter… La révélation du mystère fut le fruit de l’observation sagace … pour reconnaitre la vérité, le travailleur persévérant a deux étapes à franchir: d’abord percevoir les canaux eux-mêmes; ensuite déterminer leur caractère très spécial… » Lowell pensait avoir découvert l’existence de canaux artificiels à la surface de Mars, conçus pour irriguer les zones végétales avec les eaux  de fonte des calottes glaciaires.

Lowell dessine et nomme les formations et les canaux qu’il aperçoit à la surface de Mars. Tout un réseau complexe se met alors en place, durant les interminables nuits que Lowell passe à scruter « sa planète » dans son observatoire de Flagstaff en plein cœur du désert de l’Arizona. Il reproduit les moindres détails de ses observations, comme le montrent les figures ci-dessus. Par exemple  fig.35, représente la région d’Utopia, identifiée sur la fig.14 par un cercle rouge. Lorsqu’on sait que les meilleurs télescopes de l’époque permettaient à l’observateur de voir la surface martienne d’une taille n’excédant pas celle à laquelle on peut voir la lune à l’œil nu, on s’interroge sur le niveau de détail que Lowell parvenait à discerner. On se demander si l’imaginaire, que j’évoque dans l’introduction, n’a pas définitivement pris le pas sur l’objectivité qu’on est en droit d’attendre d’un scientifique.

 

Les commentaires accompagnant les figures tracées par Lowell, sont à l’équivalent de ses dessins, issus des « yeux de son esprit ». Ainsi il parvient à établit la largeur des plus petits canaux « avec certitude » (je le cite) entre deux à trois kilomètres, les plus grands atteignant quarante à cinquante kilomètres. On réalise alors les travaux pharaoniques que sous-entendraient de telles réalisations. Lowell poursuit en soutenant que ces canaux forment un système organisé ce qui, à ses yeux, est suffisant pour exclure une cause simplement physique à leur existence. Je ne peux commenter dans le détail chaque figure, mais à titre d’exemple, les fig.16,20,21,27,28 (ci-dessus) laissent apparaitre des canaux dont le tracé se compose de deux traits parallèles. Lowell nomme ce phénomène « la gémination » et l’attribut à une précaution qu’aurait pris les martiens en dédoublant leurs canaux, afin que si l’un d’entre eux s’obstruait, l’autre pourrait être utilisé afin de ne pas stopper le passage de l’eau qui alimente les oasis et les lacs représentées en sombre sur ses figures. Nous sommes dès lors dans le domaine de la science fiction

On aura remarqué que l’écriture de Lowell prend ses distances avec la rigueur scientifique. Il faut y voir, en cette fin du XIXème - début du XXème, la réponse à une attente qui se traduisit également par une multitude de publications et de conférences à l’attention du grand public. Il faut également y trouver les fondements du mythe du Martien venant envahir la Terre en quête de nouvelles ressources. Et Lowell de conclure: « Ce qui rend encore Mars d’un intérêt transcendant pour l’humanité, c’est l’aperçu qu’il nous ouvre sur la marche future de l’évolution de la Terre. Notre globe ne nous laisse étudier que le présent et le passé. Mars nous permet, en quelque sorte, de deviner l’avenir… ». En 1909, Eugène Antoniadi, qui s’était fourvoyé avec Lowell, aura le courage d’écrire « L’aspect de la planète Mars est naturel, comparable à celui de la Lune »; il publia une carte de Mars levant toute ambiguïté et sera approuvé par l’ensemble de la communauté scientifique du « vieux monde », seuls les américains éprouveront quelques difficultés à rejetter les hypothèses de Lowell, Vesto Slipher (1875-1969), son successeur, cherchera des preuves de la présence de l’eau sur Mars qui sera effectivement confirmée le 28 septembre 2015 par la NASA, grâce à l'analyses des images en provenance de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter confirmeraient la présence d'eau liquide sur Mars sous forme de sels hydratés.