Noël Regnault - Entretiens physiques .
Ce livre de 1737 est le premier tome d’un ouvrage qui en comporte cinq (dans sa version définitive de 1750 ). C'est une œuvre de vulgarisation destinée à rendre les lois élémentaires de la physique à la portée du plus grand nombre. On y retrouve des sujets qui ont leur place dans cette présentation, tant l’astronomie et la physique sont deux disciplines interdépendantes. L’auteur, le père Noël Regnault est un jésuite né à Arras, en 1683, qui fut professeur de mathématique au collège Louis le Grand.
Dans la Biographie universelle de François Xavier de Feller (éd. 1834), on peut lire: « L’étude de la philosophie ancienne et moderne remplit ses soins et sa vie, après les devoirs de la piété … les jeunes écoliers qui veulent savoir un peu plus de physique qu’on n’en apprend communément dans les collèges trouveront dans cet ouvrage de quoi se satisfaire. Il est écrit avec beaucoup d’ordre , de clarté, et tout l’intérêt que les matières comportent… ». Dans un autre de ses ouvrages, le père Regnault montre son souci de rétablir la vérité en particulier à propos d’illustre physiciens qui, ont au regard de l’histoire, usurpé la paternité de découvertes faites par de plus anciens qu’eux.
Comme je l’ai déjà évoqué, le XVIIIème siècle se caractérise par un regain d’intérêt pour les sciences de la nature, parmi lesquelles la physique occupe une place majeure. Il n’y a rien de surprenant à ce que la forme adoptée par Regnault soit ici le dialogue; En effet, cet usage fut largement exploité au cours de ce siècle, comme en témoigne par exemple dialogues de morts de Fontenelle qui, tout comme Regnault, était un cartésien convaincu. Regnault défendait donc lui aussi l’idée que les forces qui animent les corps célestes sont issues des mouvements de la matière subtile qui emplit tout l’Univers. Il rejetait totalement les théories de Newton allant même jusqu’à parler de lui avec beaucoup de mépris.
Pour Regnault, la gravitation universelle était «le comble de l’absurdité ». En ce sens, Regnault, de même que Pluche, mettent la physique au service de l’édification religieuse. Je ne produirai ici que de courts extraits, en particulier de la préface de l’ouvrage qui a le mérite de nous ouvrir les yeux sur le positionnement de la physique, que ce soit en terme de méthodologie ou d’objectifs. On notera enfin qu’au sein du vaste ensemble dans lequel l’auteur intègre cette science, le divin est omniprésent, alors que parallèlement les "Entretiens" de Fontenelle sont à l’index et que les "Éléments de la Philosophie" de Newton, tant défendus par Voltaire, lui valent des tracas avec la censure.
Les préfaces peuvent être des raccourcis permettant de se faire une idée de l’état d’esprit des auteurs, sans pour autant se lancer dans l’analyse détaillée de leurs écrits. Souvent y apparaissent en effet des traits généraux qui comme ici, au travers d’une critique à peine voilée du comportement humain, évoquent cette ignorance dans laquelle trop d’individus se complaisent, bien qu’ils disposeraient des moyens leur permettant l’accès à la connaissance.
NB: Je ne peux faire l'économie d'une analogie avec nos temps actuels qui semblent souffrir des mêmes maux. J’ai choisi ce passage, car j’y retrouve en substance les composantes d’un « combat » que je mène, d’abord contre moi-même, car nul n’est épargné par la tentation de la facilité et ensuite contre la masse, qui semble inexorablement tourner le dos à un savoir qu’elle juge d’autant plus rébarbatif qu’elle lui préfère les éphémères sensations et autres futiles échanges avec lesquels elle meuble consciencieusement son existence. Serait-ce à dire que l’homme possède en lui un travers qui le pousse, dans une espèce de dualité intime, à revenir à son état originel, celui de l’animal ?
Cet inventaire de disciplines scientifiques, que des historiens analyseront comme une «vitrine de la science jésuite», peut aussi être interprété comme une invitation à reconnaitre que l’homme dispose des moyens d’une ambition qui se révèlera, plus que jamais auparavant, au cours du siècle des Lumières. Ceux qui, en effet, prétendront être capable de disséquer et connaitre le monde de la sorte, ne trahiront-ils pas implicitement leur tentation à le dominer. Tandis que veillait l’ombre d’un créateur qui ne manquait d’opposer sa présence à la manière d’une muraille, encore infranchissable, au sujet de laquelle nul ne savait précisément contre quoi elle le protégeait, soulignant s’il le fallait toute l’ambivalence d’une telle entreprise.
Bien que croyant, le Père Regnault n’en est pas moins un scientifique dont le propre devrait être de douter. Plutôt que de s’engager trop directement dans cette voie, il choisit, sous couvert d’un entretien imaginaire propre à satisfaire son lectorat (aristocrate et mondain, habitué à ce genre littéraire), de mettre en situation le jeune Ariste qui ambitionne de devenir disciple d’Eudoxe de Cnide. Ce passage soulève la question non résolue de l’existence du vide. Le personnage d’Eudoxe, ici « ambassadeur » de la science jésuite, dont on connait l’attachement à Aristote, ne pouvait que soutenir l’idée de René Descartes qui voulait que l’Univers soit entièrement rempli de matière subtile .
Eudoxe commente une expérience qui consiste à pomper l’air contenu dans une cloche en verre, pour constater qu’il y reste encore de cette matière subtile. En l’occurrence il y reste la lumière, qu’il considère et explique en quoi elle est un corps, donc une matière. Il remarque cependant que ce corps ne permet pas la vie. Nombre d’oiseaux ont connu des fins tragiques pour les besoins de cette démonstration. Eudoxe mentionne aussi le fait que la matière grossière qu’est l’air, demande des efforts pour sortir de sous la cloche alors que la matière subtile vient combler ce vide sans aucun effort. Cette démonstration peu convaincante aujourd’hui, avait certainement un effet bien différent auprès des auditoires d’alors.
Eudoxe fournit des éclaircissements sur la manière dont la matière subtile se manifeste: c’est elle qui permettrait au thermomètre de fonctionner, c’est elle qui serait à l’origine des propriétés de l’aimant ou qui nous donnerait la capacité de produire des idées. On comprend mieux comment cette matière subtile apportait fort opportunément une explication à tous les phénomènes alors inexplicables. Eudoxe, conclut: « Quand Aristote ne l’aurait point aperçue, elle n’en serait pas moins réelle… mais lisez Aristote… en cent endroits il parle d’une matière éthérée, d’un feu répandu partout, dans l’air, & au dessus de l’air, ce feu, cette matière éthérée, n’est-ce point la matière subtile, dont l’on veut que M. Descartes ait été le premier auteur ? »
Eudoxe poursuit en abordant la nature des mouvements. Il considère le mouvement comme issu de l’action de différentes sortes de forces qui peuvent s’exercer sur un corps et en lui même, et qui se manifestent par des variations de distance entre ce corps et d’autres corps ou par des variations d’état de ce même corps. La forme et les déplacements d’un corps dépendraient donc tout autant de ces forces. Eudoxe parlera alors de force mouvante, capable d’occasionner un changement actif de situation et de faire passer ou de transporter un objet d’un point à un autre. L’exemple de la dame assise dans son carrosse et dont les rapports de distance entre elle et le carrosse ne varient pas, bien que ce dernier continue de rouler, introduisent la notion de mouvement relatif qui sera prise en compte à de multiples reprises en astronomie.