Noël Antoine Pluche - Spectacle de la Nature

Le Spectacle de la Nature ou Entretiens sur les particularités de l'histoire naturelle", tome quatrième, édité à Paris en 1745 chez la Veuve Estienne & fils - (issu de ma collection)

"Le Spectacle de la Nature" doit être reçu comme une œuvre dont l’objectif fut de mettre à la portée du plus grand nombre les connaissances de son temps. Dans les extraits que je présente, Pluche rend accessible à chacun les explications de différents phénomènes, par des schémas explicites, accompagnés de textes rédigés en langage simple. Il traite ci-dessous des éclipses de Lune, pour montrer comment cet astre ne fait que renvoyer la lumière qu’il reçoit du Soleil.

Il exploite également le fruit des observations concernant les variations de positionnement de la Lune pour en tirer la conclusion qu’elle possède un mouvement qui lui est propre. Cette démarche représentait déjà, en soi, un modèle d’approche qui dut favoriser bien des vocations de la part des lecteurs de cette œuvre et, si l’on considère le niveau général des connaissances au XVIIIème siècle, on doit reconnaitre à Pluche d’avoir contribué à démocratiser un savoir auquel seule une élite mondaine et instruite avait jusqu’à présent accès.

On doit garder à l’esprit toute la difficulté que revêt la constitution d’une œuvre encyclopédique. Bien que Pluche empruntât à de grands savants de son époque, le progrès fulgurant des connaissances scientifiques lui imposait de constantes mises à jour, ce qui contribua à ôter au "Spectacle de la nature" sa valeur d’universalité. D’autant que comme cet extrait le montre, Pluche entreprend d’y inventorier les fonctions utilitaires de notre satellite, soutenant ainsi l’idée d’un monde qui serait créé par Dieu pour l’usage de homme. A ce propos, son «Spectacle» parait bien rétrograde, comparé à certaines des œuvres contemporaines considérées «majeures » comme le furent: "l’Histoire naturelle" de Buffon ou l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ce qui fera dire à Françoise Gevrey, Julie Boch et Jean-Louis Haquette, que Pluche fit preuve d’un « mercantilisme dévot et d’un utilitarisme religieusement fondé... »*.
* "Écrire la nature au XVIIIème siècle: autour de l'abbé Pluche" publié le 10/01/2006  aux presses de l’université de la Sorbonne.

On ne peut pas dire que lorsque Pluche aborde des domaines du ressort de la physique, comme ici celui de la propagation de la lumière, il fasse preuve d’un esprit très scientifique. Comme on le constate, le recours au divin est rémanent dans son propos. Mais eut-il pu en être autrement de la part d’un homme d’église? D’autant que l’auteur énonce, sans détour, que les chemins de la connaissance conduisent à Dieu. On notera encore la référence à Descartes, lorsqu’il est question de «pressions successives» qui permettent au « fluide » qu’est la lumière de se déplacer dans tout l’Univers. Pluche croyait alors que les étoiles, tout comme la Lune ou les planètes errantes, ne nous apparaissaient qu’en vertu de la lumière Solaire. Pour cela il utilise, quelques pages plus loin, une analogie qui, toute erronée qu’elle demeure, était propre à faire admettre par les lecteurs le bien fondé de ses affirmations: «L’onde d’une rivière communique fort loin une impulsion… Les ondulation de l’air portent plus vite encore et en tous sens l’ébranlement dont cet air a été frappé. On se persuadera aisément par ces exemples qu’un fluide plus fin, plus léger et plus actif… peut porter plus loin en peu de minutes l’impulsion de la matière solaire qui le presse; et faire sentir sa présence et les coups de cet astre à des distances prodigieuses».

Pluche considère que: « Le corps de la lumière conçu comme un liquide immense est toujours autour de nous », mais qu’il n’est pas toujours « ébranlé jusqu’à nous ». Comme le texte l’indique, il n’ignore pas la prodigieuse vitesse de la lumière, pour laquelle il tente de nous donner une idée des échelles en jeu, en s’appuyant sur l’exemple du monde microscopique. Il prolonge l’analogie pour nous signifier qu’il existe une similitude entre la propagation de l’élément lumière (fruit d’une impulsion sur ce liquide immense, dont je viens de parler) et celle des impulsions exercées sur d’autres fluides, comme l’eau ou l’air. Pour se justifier, il écrit: « Dans l’enfance nous avons pris de la lumière une idée fausse que nous avons peine à réformer dans un âge avancé. Comme nous voyons  les objets sans apercevoir rien entre eux et nous, tout l’espace qui nous en sépare ne nous parait qu’un grand vide…  » sans pour autant démontrer scientifiquement quoi que ce soit.

Pluche propose ici une explication originale de l’existence de différentes couleurs, en tant que composantes d’une lumière que Dieu aurait créée afin de nous permettre de distinguer les éléments constitutifs d’un paysage ou les êtres qui l’habitent. Il en profite pour renvoyer dos à dos physiciens et chimistes et, avec eux, leurs différents « systèmes » qu’il considère comme de pures spéculations du genre humain. Les schémas de la page qui suit montrent diverses expériences conduite par des scientifiques, en vue de mettre en évidence des propriétés de la lumière. En effet, une fois admis qu’elle est l’œuvre du Créateur, rien ne s’oppose ensuite à ce qu’on cherche à l’étudier plus en détail.

Pluche commente certaines propriétés de la lumière. En référence à nos connaissances actuelles, il n’est pas totalement dénué de sens de considérer les couleurs comme un ensemble de « parcelles d’inégales grosseurs ». Si par ailleurs, on suppose que ces différences de taille correspondent à des variations d’intensité de leur «ébranlement », on peut constater que l’ordonnancement proposé par l’auteur correspond à classer ces mêmes couleurs selon une ordre identique à celui que nous aurions obtenu en les classant d’après leurs longueurs d’onde. Ainsi le rouge que Pluche considère comme une grosses particule, se situe dans les longueurs d’onde les plus longues du spectre visible, alors que le violet qu’il suppose constitué de particules de petite taille, se situe parmi les couleurs visibles dont la longueur d’onde est la plus courte. On pourra également noter que Newton avait, grâce à des thermomètres, mis en évidence un accroissement de température dans la partie rouge du spectre lumineux et que précisément Pluche attribue à cette couleur une « violence » que l’on pourrait rapprocher de son pouvoir calorifique. Les similitudes s’arrêtent cependant là. (Quelques décennies plus tard William herschell reproduit cette expérience avec des thermomètres et découvre l'existence d'un rayonnement "invisible" : l'infrarouge.)

Cet ouvrage traite encore de nombreux sujets déjà évoqués précédemment; il ne m’a donc pas semblé nécessaire de revenir dessus. En revanche j’ai trouvé utile de reproduire l’ensemble des quatre figures constituant la représentation du ciel et de ses constellations* dont Pluche nous dit, évoquant l’astrologie: « Sans suivre l’idolâtrie dans toutes ses branches, je crois vous avoir montré par un nombre de circonstances, dont le concours ne saurait être l’ouvrage du hasard, que les figures d’hommes de femmes et d’animaux qu’on traçait dans l’ancienne écriture, et qui avaient rapport aux fêtes et aux travaux de l’année, on été convertis par ignorance en autant de puissance célestes, terrestres et infernales ».

* Les cartes célestes, sont établies d’après celles de M. Edmond  Halley de la Société Royale de Londres.

La présentation de la voûte céleste donne à l’auteur l’occasion de revenir sur des éléments de notre histoire montrant en quoi, pour les anciens, la connaissance du ciel était primordiale. Ainsi, les premiers navigateurs avaient remarqué que certaines étoiles « ne se couchaient point », ce qui les conduisit à les utiliser en tant que repère nocturne. Pluche commente: «l’immobilité de cette partie du ciel devenait la règle et le salut des navigateurs. Ces étoiles en reparaissant leur indiquaient la route et semblaient leur parler. Cette importante particularité leur fit faire une étude exacte des constellations de cette partie du ciel les plus faciles à démêler. Il n’en paraissait point de ce côté de plus remarquables que celle qui est composée de plusieurs étoiles, parmi lesquelles on en compte sept de plus brillantes, et qui occupe un assez grand espace. Le peuple qui voyait cette constellation tantôt en haut, tantôt en bas, tantôt de côté , et recommençant toujours le même tour, la nomma la roue ou le chariot».

Jérôme de Lalande, contemporain de  Pluche commentait ainsi le Spectacle de la Nature :  «C’est un livre qui n’est pas de la plus grande force quand à l’érudition, mais qui est amusant et instructif». Dans son "Histoire du ciel", présentée précédemment, Pluche consacrait de longs chapitres aux origines historiques et mythologiques des constellations, dont il reprend une partie dans le «Spectacle». On lui a reproché d’avoir privilégié la cosmogonie de Moïse et, quand à l’étymologie des constellations, d’avoir donné une préférence trop marquée aux hiéroglyphes, aux symboles égyptiens et à leur prolongement dans la culture grecque. Diderot et d’Alembert évoqueront cette question dans l’Encyclopédie : «On a proposé dans divers journaux des objections à M. Pluche sur son hypothèse que ses réponses ne paraissaient pas avoir entièrement levées. Certaines conformités l’avaient frappé, et elles sont effectivement frappantes, mais il n’a défriché qu’une très petite partie d’un champ immense dont on ne saurait venir à bout avec ses seuls principes»

Le travail de Pluche sur l’origine des constellations ne fut pas systématiquement critiqué. Certains comme Jean-Sylvain Bailly, dans "Histoire de l’Astronomie ancienne" (ouvrage que je possède mais n'ai pas présenté ici), lui reconnaissent quelques mérites: «M. Pluche avait établi avec raison que tous les peuples avant l’invention des lettres avaient une écriture symbolique, ou des signes caractéristiques, qui servaient à conserver le souvenir des choses mémorables… nous applaudissons à l’explication de quelques-uns des noms donnés aux signes du zodiaque. Nous applaudissons encore M. Pluche lorsqu’il pense que les Egyptiens ont donné le nom de Thaaut ou du chien à l’étoile Sirius, comme un nom significatif de l’usage qu’ils en faisaient… » Dans les deux tomes qui constituent la partie bibliographie, on remarquera que je n’ai quasiment pas présenté de textes concernant l’origine des constellations. J’ai pensé, en vertu de la thèse que ces dernières seraient issues de croyances ou de légendes primitives, qu’il serait préférable de les traiter sur un plan plus général.

Je reproduis ici l’histoire du premier instrument optique d’observation astronomique, au sujet duquel demeurent bien des doutes. Certains attribuent la paternité de l’instrument à Hans Lippershey (voir article le concernant), sans que l’on ne sache si ce dernier eut l’idée d’utiliser sa supposée invention pour observer le ciel. On découvre ici que Pluche, sans citer Lippershey, fait référence à Zacharie Jansen et Jacques Métius. Les historiens ont retrouvé les traces d’un dépôt de brevet datant de 1608 que Lippershey a effectué avec ces deux opticiens, ce qui crédibilise la thèse de Pluche.

Ce passage confirme bien qu’au XVIIIème siècle on savait parfaitement que Galilée n’avait pas inventé la lunette astronomique, comme on le croit trop souvent encore aujourd’hui. En revanche il est indéniable qu’il en fut un des premiers utilisateurs pour l’observation céleste et qu’il fut également le premier à qui cet instrument permit de faire des découvertes qui conduisirent à une refonte totale de la représentation que l’on s’était faite jusqu’alors de l’Univers.

On remarque, dans la figure de gauche, la présence des étoiles "Lucifer" "Hespérus" , qualifiant en réalité la planète Vénus, selon qu’on la voyait respectivement le matin ou le soir. Cette distinction puisait ses racines dans la mythologie grecque où Vesper se nommait Espéros et Lucifer, Eosphoros ou Phosphoros. Lucifer, fils de Jupiter et de l’Aurore est le chef de tous les astres alors que Vesper, frère d’Atlas et de Japet habitait une contrée située à l’ouest du monde. Hespérie était le nom que les grecs donnaient à l’Italie où Vesper s’était retiré, chassé par son frère. Par la suite la mythologie grecque fut reprise et transformée par les romains qui nommèrent l’Espagne Hespérie, contrée la plus occidentale et par analogie avec la mythologie grecque, celle où vivait le Vesper romain.