Noël Antoine Pluche - Histoire du ciel
Noel Antoine Pluche (1688-1761) est né à Reims. Il est âgé de douze ans lorsque son père disparaît. Sa mère le fait alors entrer au séminaire, dans lequel il effectue toute sa scolarité. Destiné à la carrière ecclésiastique, en 1710 il est nommé professeur d’humanité au collège des Bons Enfants pour les classes de 4ème, 3ème et seconde. Ce collège deviendra plus tard la Faculté des Arts. Nommé prêtre, Pluche occupe alors la chaire de rhétorique (classe de 1ère). A la même époque, le pape Clément XI promulgue la bulle Unigenitus (1713) qui met à l’index une partie des « Réflexions morales » qui accompagnaient le Nouveau Testament, traduit du latin en français, par le père Pasquier Quesnel, oratorien et janséniste.
Pluche, qui fréquente des membres de la communauté janséniste rémoise doit, en 1718, accepter le poste de directeur du collège de Laon, afin d’échapper à des rumeurs qui circulent à propos de l’orthodoxie de sa foi. (Les jansénistes formaient un mouvement religieux qui s’opposait à certaines évolutions de l’église catholique. Initialement fondée sur des arguments théologiques, leur résistance devint par la suite plus politique. Ainsi, les jansénistes rejetèrent le pouvoir absolu incarné par la royauté, à partir du règne de Louis XIII, puis durant celui de Louis XIV et de Louis XV). Pluche reste à Laon cinq années au terme desquelles il doit démissionner pour échapper, cette fois, à des poursuites de sa hiérarchie qui avait émis des lettres de cachet demandant son emprisonnement en raison de son opposition à la bulle papale. Il se réfugia à Rouen et dut même changer de nom, se faisant un temps appeler l’abbé « Noël ».
Recommandé par Charles Rollin (dont je présente ultérieurement un ouvrage), il devient précepteur du fils de l’intendant de la généralité de Rouen, Jean-Prosper Goujon, Seigneur de Gasville. Il aura l’occasion de se rapprocher de Lord Stafford ( fils du catholique William Stafford Howard, décapité pour des questions religieuses sous le règne de Charles II d’Angleterre et béatifié par le Pape Pie XI en 1929) et d’apprendre l’anglais, afin de pouvoir donner des leçons à son jeune fils. Suite à un service rendu à la couronne, il bénéficie d’une petite gratification et peut enfin se rendre librement à Paris. Il y enseignera à titre privé la géométrie et l’histoire, tout en rédigeant à partir de 1732, l’ouvrage qui le rendra célèbre: "Le spectacle de la Nature".
"Le spectacle de la Nature", achevé en 1750, vulgarise les sciences naturelles, sans pour autant être un ouvrage véritablement scientifique. Il fut un des « best-seller » du XVIIIème siècle au cours duquel il fit l’objet de près de soixante rééditions. Cet ouvrage valut à son auteur le surnom « d’encyclopédiste chrétien », bien qu’il soit lui-même fort éloigné de l’esprit des lumières qui animera quelques décennies plus tard les encyclopédistes Diderot et d’Alembert.
En 1739, Pluche publie "Histoire du ciel". Il s’y oppose à Newton et, dans une moindre part, à Descartes, bien que ne disposant pas d’un niveau scientifique suffisant pour arriver à être véritablement convainquant. Voltaire écrira d’ailleurs: « Ce qu’il y a de pis, c’est que l’Histoire du ciel et le Spectacle de la nature contiennent de très bonnes choses pour les commençants; et que les erreurs ridicules, prodiguées à côté de vérités utiles, peuvent aisément égarer des esprits qui ne sont pas encore formés ».
Les connaissances de Pluche ne lui permettent effectivement pas d’étayer scientifiquement une opposition à ce qu’il a lui-même parfois quelque peine à concevoir. Il fait alors référence à la Bible ou il en appelle simplement au bon sens, sans fournir pour autant aucun élément solide. Ses fréquents appels à la foi ne peuvent satisfaire qu’un lectorat en majorité populaire, disposé à se contenter d’arguments mal étayés. Pluche est à ce titre un bon exemple de la résistance qui tenta de faire front aux Lumières. C’est pour cette raison que je souhaite présenter ici deux de ses livres, car j’ai pensé qu’une lecture croisée avec des ouvrages produits par de "véritables philosophes", serait à même de nous transformer en témoins des affrontements qui agitaient les milieux intellectuels de l’époque.
On pourra effectivement vérifier qu’en ces temps prévalait, d’une part, l’ouverture d’esprit des philosophes modernes et, d’autre part, un obscurantisme immobiliste, dont on sent bien pourtant qu’il ne peut que déchoir avec le temps. Les mentalités du XVIIIème siècle m'ont en cela passionné, qu’elles se situent sur un nœud historique où cohabitent et s’entrechoquent deux manières distinctes d’envisager le Monde. Dans "Histoire du Ciel", ou "Le spectacle de la Nature", tant le style que la teneur des arguments font apparaître trop inégale la comparaison. Mais il convient de garder à l’esprit qu’avant d’atteindre leur statut actuel, les « vérités » ou les «évidences » d’alors, étaient chargées de tant de doute, qu’elle rendaient légitimes, voire indispensables ces confrontations.
Pour souligner mon propos je citerai encore Voltaire qui, dans son Encyclopédie de la philosophie, ne ménage pas Pluche en écrivant : « Huygens et Newton auront donc en vain démontré par le calcul de l’action des forces centrifuges et centripètes, que la terre est un peu aplatie vers les pôles? Vient un Pluche qui vous dit froidement que les terres ne doivent être plus hautes vers l’équateur qu’afin que les vapeurs s’élèvent plus dans l’air, et que les nègres de l’Afrique ne soient pas brûlés de l’ardeur du soleil. ». "Histoire du ciel" se présente en deux tomes; le premier traite des « origines poétiques » du ciel, alors que le second s’intéresse davantage à la cosmogonie. Deux chapitres y sont réservés en particulier au monde de Descartes et à celui de Newton. C’est donc sur des extraits de ce deuxième tome que je propose de nous pencher.
Égyptiens, Grecs et Romains ne prennent jamais une décision importante sans consulter leurs prêtres, personnages respectés, à qui on attribue la faculté d’entrer en communication avec les puissances divines, grâce à divers rituels auxquels ils s’adonnent. Pour ne citer qu’un exemple, examinons le rôle important qu’y ont tenu les oiseaux, probablement lié au fait qu’il évoluaient dans le ciel. L’ibis, la huppe, l’épervier ou la cigogne, sont déjà bien présents dans les symboles hiéroglyphes. Les prêtres égyptiens grecs et romains scrutent les oiseaux, analysent leur nombre, leur nature, la direction de leur vol, pour y puiser leurs prédictions. Afin de pallier à d’éventuelles carences de ces volatiles dans le ciel, et pour s’assurer, malgré cela, de pouvoir les consulter à tous moments, certains de ces prêtres ne trouvent pas mieux que de diviniser des poulets qu’ils enferment dans des cages et dont ils analysent les moindres comportements, qu’ils interprètent comme autant de signes envoyés par les divinités. La consultation des entrailles d’animaux donne également lieu à des cérémonies au déroulement minutieusement élaboré. Bien qu’il serait fort instructif de passer en revue ces multiples pratiques divinatoires, ce qui nous permettrait sans doute d’établir quelques similitudes avec nos actuelles pratiques religieuses; nous allons plutôt porter un regard sur ce qu’il en est des rites liées à l’observation du ciel. En effet, la référence aux astres qui finit par supplanter toutes les autres pratiques païennes, donnera lieu à l’avènement de l’astrologie et contribuera à son ancrage durable.
Cette discipline fondée sur un relevé de la position des planètes, par rapport à celle des constellations à un moment donné, conduit à l’établissement d’un thème astral à partir duquel les astrologues réalisent leurs prédictions. Force est de constater que, de nos jours, la consultation d’un astrologue ne représente rien de plus qu’une forme moderne du recours aux oracles, tels que le pratiquaient les sociétés antiques. Ainsi les prévisions astrologiques, sensées s’appuyer sur des données astronomiques, ne seraient sans doute pas moins fiables, si elles étaient issues de l’observation des entrailles d’un animal. Pluche dénonce l’astrologie avec un argument vérifiable: « On s’est aperçu dans une longue suite de siècles, que tout les signes célestes s’étaient éloignées peu à peu jusqu’à trente degrés du point de l’équinoxe du printemps et s’étaient reculés vers l’orient… Les points du ciel dont on parle dans l’horoscope, sont trente degrés en deçà des étoiles dont ils portent le nom. » Il poursuit toujours à propos de l’astrologie: « En premier lieu les vertus propres à chaque planète sont fondées sur le caractère des héros ou des dieux qu’on y a logés. En second lieu ces dieux et héros sont fabuleux, et n’ont jamais été… ».
Mais voyons donc de quelles vertus il est question: « On a prêté à la planète nommées Saturne, des inclinaisons languissantes, ou même des influences meurtrières… On attribue à la planète nommée Jupiter, la distribution des sceptres et des grandeurs, la prolongation de la vie et les influences les plus désirables… la planète que l’on nomme Mars inspire puissamment le goût des armes… pourquoi la planète Venus passe t-elle pour rendre les hommes ou voluptueux ou heureux, si ce n’est que parce qu’on lui a donné le nom de la prétendue mère des plaisirs… Jamais on ne se serait avisé d’attribuer la surintendance du commerce…à l’autre planète qui est presque invisible et absorbées dans les rayons du Soleil, si on ne lui avait donné par caprice et à propos de rien, le nom de Mercure... »
L’astrologie est condamnée en tant que dérive et interprétation absurde de données astronomiques, auxquelles Pluche adjoint également des éléments issus des Saintes Écritures : « Après que les principales figures de l‘écriture astronomique et sacrée eurent été converties par l’ignorance de leur signification en autant de puissances préposées au gouvernement des différentes parties du monde, et attentives à instruire l’homme de tout ce qui l’intéressait; les figures accessoires qui servaient à varier la signification des clés de l’écriture donnèrent lieu à de nouveaux égarements aussi déplorables que l’idolâtrie même ».
L’héritage des anciens est remis en cause lorsque, à propos de la nature, Pluche reproche aux philosophes de l’avoir davantage explorée à travers leurs raisonnements qu’ils ne l’ont observée de leurs propres yeux. Il décrit ensuite les trois sortes de corps à partir desquels ces philosophes ont conduits leurs raisonnements: Les «corps organisés » dans lesquels il classe l’homme, les animaux et les plantes et dont la particularité est de naitre à partir d’un «germe » puis de grandir, de se nourrir, de se perfectionner et de se détruire « par la dissolution des pièces qui le composent ». Les « corps composés » constitués par les minéraux les pierres et les fossiles, qui sont des assemblages de plusieurs corps simples et enfin, les « corps simples » qui regroupent « les métaux épurés, l’eau, le sable, la lumière, et bien d’autres, qui entrent dans la composition des corps composés ».
Pluche aborde la philosophie de Gassendi . Ce dernier qui est atomiste, pense que l’Univers est constitué de matière et de vide. Les « atomistes » justifient les différentes matières existantes par une simple différence de l’agencement et de la position des atomes qui les constituent. Parmi les défenseurs de cette philosophie on peut citer les grecs Démocrite (430 av. J.-C) et Épicure (306 av. J.-C) ou le latin Lucrèce (1er siècle av. J.-C). Dans le passage ci-dessus, Pluche n’argumente pas plus ses critiques qu’il accuse Gassendi de ne pas fonder les siennes. Il conclue, sans démontrer quoi que ce soit, faisant allusion aux affirmations des anciens: « Ce sont des mots tout aussi vagues, et des généralités tout aussi peu lumineuses que les formes substantielles, ou les qualités occultes de l’ancienne école. Les atomes d’Épicure ne sont donc dignes que de risée, et ceux de Gassendi, ou ne nous apprennent rien si Dieu en fixe la nature et l’usage par des volontés spéciales; ou nous conduisent à l’irréligion et déshonorent la raison, si l’on prétend en tirer quelque chose de régulier et d’organisé sans un ordre express de Dieu. »
Pluche s’intéresse au monde de Descartes et commence par critiquer sa méthode. Il lui reproche de chercher à tout comprendre et, par là même, d’aller au-delà de ce que Dieu a souhaité nous laisser connaître. Pluche ridiculise aussi le raisonnement logique de Descartes, en montrant que ce dernier ne parvient qu’à énoncer des évidences. On peut lire, dans les pages qui suivent cet extrait: « Les cartésiens en rappelant toujours l’homme aux recherches de sa raison pour connaître la nature, et en lui prêchant éternellement la nécessité de chercher l’évidence en tout, nous ont donné l’homme pour tout autre qu’il n’est, et ont réglé les obligations ou les démarches de sa raison sur un pouvoir qu’elle n’a pas reçu. »
Pluche s’en prend désormais à la théorie cartésienne des tourbillons. Après avoir détaillé longuement les hypothèses du philosophe, il poursuit « Il y a encore bien des parties à visiter dans l’édifice de Descartes. Mais ce que nous avons déjà vu est un assortiment de pièces qui croulent: et sans en voir davantage il n’y a personne qui ne puisse sentir qu’un tel ouvrage n’est nullement recevable. » et de conclure: « Plaignons le tour d’esprit de ces hommes qui ne prêchent que l’évidence, et qui se payent d’un matérialisme non seulement incompréhensible, mais plein d’absurdité; qui abandonnent l’expérimental et l’historique qu’ils ont en main, pour courir après des possibilités démenties par les faits; et qui pour décider de ce qu’il faut penser du déluge, et des fondements de toute la révélation, aiment mieux faire usage d’une subtilité métaphysique, que du concours des traditions, des monuments de l’expérience et du sens commun. »
Pluche reprend ici un passage tiré de l’Optique de Newton. Il se réjouit de voir ce dernier attribuer la création de la matière à Dieu. Dans un des paragraphes qui suivent cet extrait, Pluche nous donne sa propre justification de l’existence du vide: « la possibilité du vide peut se prouver encore plus simplement. On suppose que Dieu ait jugé à propos de ne créer preuve qu’un boule creuse, ou qu’il crée aujourd’hui une boule creuse dont toute la voute soit sans pores, et n’admette aucun corps étranger: le vide n’y devient-il pas possible et nécessaire? » Comme j’en faisais état précédemment, l’abbé Pluche ne s’embarrasse pas de considérations de physique, alors qu’il lui est si simple de faire intervenir Dieu dans ses hypothèses. On pourra trouver ces attitudes caricaturales; elles n’en témoignent pas moins d’une réalité qui impacta négativement les premières tentatives qui visaient à faire évoluer les connaissances, en ouvrant l’accès au progrès scientifique et à une rationalisation des approches.
Pluche évoque la physique de Newton et fait référence au télescope dont il attribue l’idée originale à Jacques Grégory d’Aberdon (version francisée de James Gregory d’Aberdeen , 1638-1675, mathématicien et opticien). Concernant l’attraction, Pluche émet de sérieuses réserves en déplorant le succès que cette théorie obtint auprès des scientifiques de l’époque: « Les attractions, les répulsions, et les puissances immatérielles dont M. Newton fait tant usage, doivent leur naissance à Kepler. Les observations et les calculs qu’il a mis à côté, sont, sans contredit supérieurs au travail de Kepler. Mais les vertus attractives, repoussantes et immatérielles, pour avoir été mises en meilleure compagnie, ont-elles acquis plus de mérite ou de réalité qu’elles n’en avaient auparavant? »
Comme on le constate l’argumentation de Pluche est très discutable. Elle s’achèvera quelque pages plus loin par : « Ce que nous pouvons avancer hardiment, selon l’exacte vérité, et conformément au but principal de cette histoire, c’est que malgré Aristote, à la honte des promesses de Descartes, selon tous les modernes les plus sensés, et de l’aveu de Newton même, nous ne connaissons point du tout le fond de la nature et que la structure de chaque partie, comme de l’Univers entier, nous demeure absolument cachée; d’où il suit qu’il y a bien du mécompte dans l’estime qu’on fait des systèmes physiques, quels qu’ils puissent être… Est-il croyable que Dieu ait montré sur la Terre un esprit aussi pénétrant que Pascal, un esprit aussi patient que Newton, et qu’il ait cependant voulu interdire la connaissance du fond de la nature? Il est évident qu’il l’a fait. Il est le dispensateur de la lumière et des ténèbres. »
Tout au long de son ouvrage Pluche a tenté de réfuter Descartes et Newton. Sur ce dernier passage, il aborde la raison et la foi ce qui le conduit à conclure de la sorte: « La moitié des philosophes surpris de trouver d’épaisses ténèbres dès qu’ils veulent pénétrer plus loin que le rapport de leurs sens, maudissent avec indécence la condition de l’homme, et le condamnent à tout ignorer. Mais Moïse et l’expérience, tout au contraire, nous encouragent au travail et aux recherches, en nous avertissant que Dieu nous a soumis tout ce qui est sur la Terre; et qu’il couronne les opérations de nos mains par des récompenses certaines. L’autre moitié des philosophes sentant avec trop de complaisance les lumières et la pénétration qui nous sont accordées, flattent l’homme de pouvoir tout connaître: mais Moïse et l’expérience lui apprennent qu’il est sur la Terre non pour connaître le fond des œuvres de Dieu, mais pour les faire valoir par son travail, et par son gouvernement; que l’homme n’est pas né philosophe, mais laboureur; et que sa sagesse consiste à joindre la vertu au travail. » On mesure l’écart entre ce discours et celui qui caractérise le siècle des Lumières.