John Locke - De l'entendement humain
Il peut sembler surprenant de trouver le penseur et philosophe John Locke dans ce document abordant l’astronomie. Il n’a effectivement pas de rapport direct avec cette discipline. Pourtant, la contribution de cet homme qui décrypta les mécanismes de la compréhension, peut s’avérer utile dans nos réflexions ultérieures. C’est donc à la partie de son œuvre, relative à « l’entendement humain » que je m’intéresserai, ne fusse que pour ne garder à l’esprit, l’influence qu’eut ce grand promoteur de l’empirisme sur les approches scientifiques qui apparaissent tout au long de son siècle. John Locke (1632-1707) est né à Wrington, petite ville du North Somerset, située à proximité de Bristol. Son père, greffier de justice devint capitaine au service de l’armée du parlement et prend part à la guerre civile (révolution anglaise) qui opposa protestant, anglicans et catholiques et qui conduit, en 1649, à l’exécution du roi Charles 1er et à la prise du pouvoir par Oliver Cromwell qui instaura une dictature militaire. La famille de Locke est typique des milieux puritains et petits propriétaires, attachés à la loi divine et aux droits nouveaux des entrepreneurs, qui auront raison de la monarchie absolue. Compte tenu de ses origines, on ne s’étonnera donc pas que Locke puisse avoir été un des premiers théoriciens du libéralisme, en tant que défenseur des « droits naturels » de l’être humain et farouche opposant à l’autoritarisme. Locke se destine à une carrière ecclésiastique; à l’âge de quatorze ans, il entre à l’école de Westminster à Londres où il étudie le latin, le grec et la philosophie d’Aristote. Six années plus tard, il est à la Christ Church d’Oxford. Il y rencontre Robert Boyle qui dirige la section des sciences. Ce physicien, chimiste et fervent chrétien deviendra son mentor scientifique et lui fera découvrir l’œuvre de Descartes qui apparut à Locke comme une alternative à l’indéracinable physique aristotélicienne.
A cette époque, Locke renonce à sa carrière au sein de l’église et décide de se lancer dans la médecine. Il fait alors la connaissance de Sydenham, un des plus grand médecins anglais du XVIIème siècle et il effectue avec lui des travaux de recherche. Locke attache ses services à Lord Ashley, qui devient ministre à la restauration de Charles II sur le trône de son père, après la mort de Cromwell. Lord Ashley lui confit l’éducation de son fils. De 1672 à 1979, Locke qui souffre d’asthme quitte les brumes londoniennes pour effectuer un long voyage en France au cours duquel il séjourne deux années à Montpellier, avant de rejoindre Paris. De retour en Angleterre, il est victime de la disgrâce de son protecteur et, lui-même, accusé d’avoir pris part à une conspiration contre Charles II.
En 1682, Lord Ashley et John Locke sont contraints de quitter l’Angleterre. John s’exile à Utrecht en Hollande où il demeure durant sept années, avant de regagner son pays. Il a déjà cinquante-sept ans lorsque Guillaume III d’Orange s’installe sur le trône d’Angleterre. Locke, nommé commissaire des appels, puis commissaire du commerce et des colonies (1695), avec un traitement plus que confortable, participe essentiellement à des réformes monétaires. Il prend cependant une part active dans les questions relatives aux colonies de la couronne qui le conduisent à participer à la mise en place de la Banque d’Angleterre.
Vers 1700, sa santé se dégrade et le contraint à abandonner ses fonctions. Le roi veut lui assurer des revenus, mais il refuse de percevoir des émoluments pour une charge qu’il ne peut plus assumer. Il se retire dans un manoir de l'Essex, situé à une vingtaine de milles de Londres. Désormais pensionnaire de lady et lord Francis Masham, il rédige encore quelques ouvrages traitant de pédagogie, de philosophie et de politique et prend plaisir à recevoir ses amis. Ses dernières années s’achèvent dans la souffrance; affecté par un œdème à une jambe, il était également devenu sourd. Durant son exil aux Pays-Bas, Locke avait lu les "Principia" de Newton et rencontré Christian Huygens, auprès duquel il avait pu mesurer son niveau en mathématiques. Dés son retour en Angleterre, il avait fait la connaissance d’Isaac Newton qui était devenu son ami. En 1690, il publia la première édition de "Essai philosophique sur l’entendement humain" qui fera l’objet de retouches successives.
Le livre dont je présente ici des extraits est la troisième édition de la traduction française de 1735, de la dernière version révisée par Locke. De son vivant, John Locke fut un défenseur des libertés politiques et religieuses. De nos jours, son nom est davantage rattaché à son œuvre philosophique. Voltaire a dit de lui: « Descartes a écrit le roman de l'âme; Locke en a écrit l'histoire ». Locke est également l’auteur d’autres ouvrages comme: "Loi de la nature", "Lettre sur la tolérance", de deux Traités du gouvernement civil (1690), et de "Pensées sur l‘éducation" (1693).
Dans l’introduction, Locke présente son ouvrage qui ne compte pas moins de six cents pages: « Voici cher lecteur, ce qui a fait le divertissement de quelques heures de loisir que je n’étais pas d’humeur d’employer à autre chose. Si cet ouvrage a le bonheur d’occuper de la même manière quelque petite partie d’un temps où vous serez bien aise de vous relâcher de vos affaires plus importantes, et que vous preniez seulement la moitié tant de plaisir à le lire que j’en ai eu à le composer, vous n’aurez pas, je crois, plus de regrets à votre argent que j’en ai eu à ma peine. »
Il poursuit en motivant ainsi sa démarche: « Quoique celui qui chasse aux alouettes ou aux moineaux, n’en puisse pas retirer un grand profit, il ne se divertit pas moins que celui qui court un cerf ou un sanglier. D’ailleurs, il faut avoir fort peu de connaissances du sujet de ce livre, je veux dire l’Entendement, pour ne pas savoir, que, comme c’est la plus sublime faculté de l’âme, il n’y en a point aussi dont l’exercice soit accompagné d’une plus grande et d’une plus constante satisfaction. Les recherches où l’Entendement s’engage pour trouver la vérité, sont une espèce de chasse, où la poursuite même fait une grande partie du plaisir.»
Puis il développe: « Chaque pas que l’esprit fait dans la connaissance, est une espèce de découverte qui est non seulement nouvelle, mais aussi la plus parfaite, du moins pour le présent. Car l’Entendement, semblable à l’œil, ne jugeant des objets que par sa propre vue, ne peut que prendre plaisir aux découvertes qu’il fait, moins inquiet pour ce qui lui est échappé, parce qu’il ignore ce que c’est. Ainsi quiconque ayant formé le généreux dessein de ne pas vivre d’aumône, je veux dire de ne pas se reposer nonchalamment sur des opinions empruntés au hasard, met ses propres pensées en œuvre pour trouver et embrasser la vérité, goûtera du contentement dans cette chasse, quoi que ce soit qu’il rencontre. Chaque moment qu’il emploie à cette recherche, le récompensera de la peine par quelque plaisir; et il aura sujet de croire son temps bien employé, quand même il ne pourrait pas se glorifier d’avoir fait de grandes acquisitions ». Le format de ce livre ne m’a pas permis de monter lisiblement des pages entières, je ne présenterai en conséquence que des portions, recadrées sur les passages que j’ai sélectionnés.
Locke présente ici l’objet de sa « recherche ». Dans les pages qui suivent, il développe une méthode en trois points qu’il se propose d’exploiter. En premier lieu, il examinera l’origine des « idées » ou « notions » que l’homme peut percevoir dans son « âme » et par quels moyens il les reçoit. En second lieu, il montrera quelle est la « connaissance » que « l’entendement » acquiert grâce à ces idées et, en denier lieu, il cherchera la nature et les fondements « de ce qu’on nomme Foi ou Opinions ». A ce stade, on ne peut oublier que Locke a lu Descartes, et s’interroger sur l’influence que ce dernier a pu exercer sur Locke, dans le choix qu’il fait d’adopter une démarche méthodique.
Dans le livre I, Locke traite de l’innéité en se proposant de montrer comment la somme des connaissance de l’homme provient de ses propres capacités d’acquisition. Il développe, en s’appuyant sur des idées simples. Par exemple, il écrit: « Il serait ridicule de supposer que les idées des couleurs ont été imprimées dans l’âme d’une Créature, à qui Dieu a donné la vue et la puissance de recevoir ces idées par l’impression que les objets feraient sur ses yeux. Il ne serait pas moins absurde d’attribuer à des impressions naturelles et à des caractères innés de la connaissance que nous avons plusieurs Vérités, si nous pouvons remarquer en nous même des facultés, propres à nous faire connaître ces Vérités avec autant de facilité et de certitude, que si elles étaient originairement gravées dans nos âmes. » On peut noter que sur ce point Locke s’éloigne de Descartes qui était moins catégorique et qui considérait certaines idées qu’il nommait « vraies » comme innées. Dans une lettre à son ami le religieux Marin Mersenne, il écrivait en effet: « les premières semences des pensées utiles ont été déposées… »
Locke évoque les croyances et met en garde ceux qui feraient preuve de «paresse » ou de manque de vigilance, en prenant pour fondés des propos émanant d’autres personnes ou encore, qui se persuaderaient de leur véracité, en cédant simplement à l’usure du temps ou à celle des habitudes.
Locke, adopte un ton plus pamphlétaire pour décrier l’attitude de ceux qui se contentent de fonder leurs connaissances sur des «lambeaux » qu’ils «ramassent » d’autrui. Il n’hésite pas à désigner Aristote comme étant de ceux là, en le qualifiant d’un «très habile », lourd de sous entendus.
Locke suppose qu’au commencement, l’âme est comme une «table rase », totalement vide de toute idée et il se demande alors comment cette âme parvient à recevoir les idées, qu’il considère comme les «matériaux » essentiels à la constitution du socle de toutes nos connaissances. Il identifie deux qualités essentielles à l’élaboration de ces idées, que sont la «Sensation » et la «Réflexion » qui vont permettre à l’imagination de pleinement s’exprimer.
Locke distingue deux catégories d’idées: les «idées simples » et les «idées composées », toutes deux issues de la perception sensorielle et de la réflexion. Dans les paragraphes suivants, il aborde un autre point important, qui est le fait qu’il n’y a aucune « force dans l’entendement qui ne soit capable de détruire celles qui y sont déjà ». Autrement dit, toute connaissance une fois acquise ou toute réflexion une fois conduite à son terme, ne peut s’effacer de l’esprit et, à ce titre, conditionne donc durablement la production de ce dernier.
Locke revient ici sur la nature des idées. Il évoque les « idées simples », provenant de nos sens ou de notre réflexion. Mais, outre la perception de nos sens, il introduit la volonté comme une des deux « grandes et principales actions de notre âme ». Il donne enfin des exemples d’idées produites non plus par la « erception », mais par la «réflexion ».
Dans les chapitres qui précèdent cet extrait, Locke nous dit que pour envisager le temps et l’éternité, il faut d’abord comprendre l’idée que nous nous faisons de la durée. Il explique que lorsque nous réfléchissons, dans notre esprit se succèdent alors des idées. Pour lui, cette notion de « succession » est à la base de notre conception du temps, qu’il définit comme la distance qu’il y a entre les différentes parties de cette «succession ». Il explique aussi comment, tandis que nous pensons, nous avons conscience d’exister; et ainsi, « la continuation de notre être » (notre propre existence) pourrait être nommée «durée de nous même ». L’idée de durée ainsi acquise par la réflexion que l’homme fait sur la succession de ses propres pensées, peut ensuite être appliquée à des choses qui existent, y compris lorsqu’il ne pense pas. On comprend que, selon Locke, les notions de temps et de durée sont aussi issues de la réflexion que des sensations. Locke relativise donc le temps, comme l’extrait ci-dessus nous le montre. Il définit aussi la notion de temps et de durée par des similitudes: « Le temps est à la durée ce que le lieu est à l’expansion… ».
Locke a abordé la notion d’expansion qu’il rattache au temps et celle d’étendue qu’il rattache à une distance. Ainsi, il couple ces deux entités pour caractériser l’infini, par opposition à l’étendue d’un corps solide dont on conçoit l’extrémité, alors qu’en l’absence de matière, la notion d’extrémité s’estompe. Il remarque que l’homme éprouve davantage de difficulté à supposer l’infinité de l’espace que celle du temps. Il explique ce fait en supposant que si nous sommes capables d’attribuer une durée infinie à Dieu, nous ne lui attribuons pas la notion d’étendue. En effet, l’homme rattache cette notion à la matière et, comme cette matière est «finie » et que Dieu ne saurait l’être, l’esprit a quelque difficulté à dépasser cette limite. Dans l’extrait ci-dessus, Locke envisage l’infini sous un autre aspect; celui de l’infinie divisibilité de la matière. Il conclura ses propos de la sorte: "Peut-être se trouvera-t-il quelques mathématiciens qui, exercés à de plus subtiles spéculations, pourront introduire dans leur esprit les idées de l’infinité par d’autre voies: mais cela n’empêche pas, qu’eux-mêmes n’aient eu, comme le reste des hommes, les premières idées de l’infinité par la sensation et la réflexion, de la manière que je viens de l’expliquer ".
Je ne reproduis aucun texte du livre III, qui à bien des égards pourrait passionner un linguiste ou un pédagogue, mais il ne traite "que" des «mots » et du «langage » en nous éloignant trop de notre sujet. J’aborde donc directement le quatrième et dernier livre qui nous entretient de l’existence de Dieu. Dans cet extrait, Locke postule qu’il existe deux sortes d’êtres: les « êtres pensants » et les « êtres non pensants ». Dans la continuité de ce texte, il développe son idée en s’appuyant sur la raison , en tant qu’elle ne peut pas concevoir que la matière « non pensante » puisse jamais produire un «être intelligent qui pense ». Il prend l’exemple d’un caillou qui tombe entre ses mains et au sujet duquel il s’interroge « peut-on concevoir qu’il puisse se donner du mouvement à lui-même…ou qu’il puisse produire aucune chose? » et il poursuit: « puis donc que la matière ne saurait, par elle-même, se donner du mouvement, il faut qu’elle ait son mouvement de toute éternité, ou que le mouvement lui ait été donné par quelque autre être plus puissant que la matière. » Après un long développement, il tire cette conclusion: « Par conséquent, si nous ne voulons pas supposer un premier être qui ait existé de toute éternité, la matière ne peut jamais commencer d’exister. » Une autre manière pour Locke de nous démontrer l’existence d’une intelligence supérieure. Une fois de plus, on ne peut s’empêcher de penser que Locke avait été interpelé par les écrits de Descartes.
Locke aborde les positions respectives de la foi et de la raison et en profite pour rappeler quelques grand principes. Il poursuit par l’évocation de toute sorte de sectes qui en appellent ordinairement à la raison mais qui, dès que cette dernière ne suffit plus ou fait défaut, s’écrient: «c’est ici un article de foi et qui est au dessus de la raison ». Locke définit la foi comme: «l’assentiment que l’on donne qui n’est pas fondée sur des déductions de la raison, mais sur le crédit de celui qui les propose comme venant de la part de Dieu par quelque communication extraordinaire. » Il nomme ce fait « la révélation ». Il parvient à tirer des conclusions, qui se résument à reconnaître que: « toute révélation dont l’esprit ne saurait juger par les facultés et notions naturelles est pure matière de foi. » et que: « toutes propositions sur lesquelles l’esprit peut se déterminer, avec le secours des facultés naturelles, par des déductions tirées des idées qu’il a acquises naturellement, sont du ressort de la raison… » Il n’exclut pas, pour autant, que les hommes puissent consulter leur raison, en matière de religion, au risque de voir s’opposer avec autant d’absurdité foi et raison, que le genre humain et prêt à sacrifier à ses penchants pour la superstition et les pratiques extravagantes.
Dans ce dernier extrait, Locke effectue une sorte de classification des sciences en quatre parties distinctes.