Fontenelle - Histoire des oracles

Histoire des oracles dont la première édition date de 1687, reprend, adapte et complète deux dissertations sur les oracles datant de 1683, "Oraculis ethnicorum", écrites en latin par l’allemand Antonius Van Dale (1638-1708), qui fut médecin à Haarlem en Hollande, avant de se consacrer à l’étude de la littérature théologique. Van Dale y fait apparaître, entre autres, le scepticisme scientifique et réitère le principe que, dans l’analyse d’un cas donné, on doit en premier lieu étudier un fait et ensuite seulement sa cause. J’ai choisi d’évoquer Histoire des oracles car, tout comme les "Entretiens sur la pluralité des mondes", il porte en lui les prémices de la pensée des Lumières, en ce sens qu’il rompt avec l’avilissement de l’esprit à une quelconque croyance.

Ce qui le rend digne d’intérêt, c’est qu’il ne propose pas de substituer une croyance à une autre, mais, postulant sur la faiblesse de la raison humaine (revoir article précédent) , il propose de procéder méthodiquement à une analyse rationnelle. L’acceptation de la fable ne saurait donc être, en soi, une démarche satisfaisante. Elle ne saurait en outre renfermer quelque vérité sur laquelle Fontenelle reproche à la religion de s’appuyer. Désormais on ne devrait affirmer ou croire ce qu’on n’est pas en mesure d’étayer à partir de faits ou évènements bien réels. Fontenelle dénonce sur ce point une certaine conformité entre le christianisme et le paganisme. Lorsqu’il évoque la « fable », il parle de « l’esprit humain dans une de ses plus étranges productions… » et affirme: « l’imagination humaine a enfanté les fausses divinités ». Histoire des oracles combat donc les fausses divinités, les superstitions, les oracles et autres miracles, en dénonçant la crédulité et la bêtise humaine.

Bien que prenant des précautions, il ne pourra se soustraire à la vindicte des jésuites qui verront (à juste titre) dans son texte une dénonciation de certains aspects de la religion catholique. D’ailleurs, dès le premier paragraphe de cet ouvrage, Fontenelle ne déclare t-il pas : « mon dessin n’est pas de traiter directement l’Histoire des oracles; je ne me propose que de combattre l’opinion commune qui les attribue aux démons, et les fait cesser à la venue de Jésus Christ… ». Il poursuit : «  Il n’est pas surprenant que les effets de la nature donnent bien de la peine aux philosophes. Les principes en sont si cachés, que la raison humaine ne peut presque sans témérité songer à les découvrir; mais quand il n’est question que de savoir si les oracles ont pu être un et un artifice de prêtres païens, où peut-être la difficulté? Nous qui sommes hommes, ne savons-nous pas bien jusqu’à quel point d’autres hommes ont pu être ou imposteurs ou dupes? Surtout quand il n’est question que de savoir en quel temps les oracles ont cessé, d’où peut naitre le moindre sujet de douter? … »

A propos des précautions que j’évoque ci-dessus, Fontenelle est pourtant assez clair lorsqu’il écrit: « j’avoue que les préjugés ne sont pas communs d’eux-mêmes à la vraie et aux fausses religions. Ils règnent nécessairement dans celles qui ne sont l’ouvrage que de l’esprit humain, mais dans la vraie, qui est un ouvrage de Dieu seul, il ne s’y trouverait jamais aucun, si ce même esprit humain pouvait s’empêcher d’y toucher et d’y mêler quelque chose du sien. Tout ce qu’il y ajoute de nouveau, que serait-ce que des préjugés sans fondement? Il n’est pas capable d’ajouter rien de réel et de solide à l’ouvrage de Dieu. »  Fontenelle, une fois de plus, nous fait part du peu de considération qu’il porte à l’homme en le décrivant avec tous ses travers. Il réaffirme pourtant sa croyance en Dieu et sa conviction que sa religion est juste. Simplement, il juge que cette dernière n’a aucunement besoin de prendre en compte des éléments aussi faux que sont les oracles, pour trouver grâce au yeux des peuples. Je ne développerai pas outre mesure cette présentation, qui n’a pour objet que de souligner l’indispensable prudence avec laquelle il faut recevoir toute affirmation qui ne serait pas démontrée. Il va donc de soi qu’en aucun cas, des références invérifiables ne sauraient être considérées et exploitées pour autres que ce qu’elles sont, et qu’en aucun cas, non plus, elle ne doivent apparaitre comme éléments déterminants lorsqu’on cherche la vérité.

Dans la préface de cet ouvrage, à propos de la disparition des oracles, on peut lire: « La véritable raison du silence imposé aux oracles, était que par l’incarnation du verbe divin, la vérité éclairait le Monde, et y répandait une abondance de lumières toutes autres qu’auparavant. Ainsi on se détrompait des illusions des augures, des astrologues, des observations des entrailles des bêtes, et de la plupart des oracles, qui n’étaient effectivement que des impostures, où les hommes se trompaient les uns les autres par des paroles obscures, et à double sens. Enfin s’il y avait des oracles où les démons donnaient des réponses, l’avènement de la vérité avait condamné à un silence éternel le père du mensonge.» Dans l’extrait ci-dessus, Fontenelle montre comment la religion cautionne en quelque sorte les oracles, lorsqu’elle les intègre au récit biblique.

Fontenelle évoque l’influence des Grecs anciens sur la religion chrétienne dont il dénonce certains abus, quant aux éléments qu’elle en a retirés à son profit, en particulier sur l’existence des démons, issus de croyances païennes: « Les chrétiens reçurent le tout avec joie, et y ajoutèrent même un peu du leur, par exemple que les démons dérobaient dans les écrits des prophètes quelque connaissance de l’avenir, et puis s’en faisaient honneur dans leurs oracles. Ce système des chrétiens avait cela de commode, qu’il découvrait aux païens, par leurs propres principes, l’origine de leurs faux cultes…Ils avaient toujours été persuadés qu’il y avait quelque chose de surnaturel dans leurs oracles, et  les chrétiens qui avaient à disputer contre eux, ne songeaient point à leur ôter cette pensée. »

L’auteur prône ici la méthode expérimentale qui s’appuie sur une observation des faits. Il met en garde contre toute conclusion hâtive et prend soin de situer son récit en usant de repères spatio-temporels. Dans cette petite histoire, connue sous le nom de "La dent d’or", Fontenelle fait intervenir des savants allemands, dont on notera les noms affublés de terminaisons en «us ». C’était une pratique assez courante que de modifier les noms propres par ces terminaisons à consonances grecques ou latines, notamment lorsque les auteurs s’exprimaient en ces langues, était-ce dans le but d’octroyer davantage de crédit à leur propos*? A ce sujet, dans ses Essais (livre premier, chap. XLVI), Montaigne déplore cet usage: «J’ai souhaité souvent que ceux qui écrivent les histoires en latin, nous laissassent nos noms tous tels qu’ils sont: car en faisant de Vaudement, Vallemontanus, et les métamorphosant pour les garber (parer) à la grecque ou à la romaine, nous ne savons où nous en sommes et en perdons la connaissance ». Les savants  dont il est question dans l’extrait  ci-dessus émettent diverses conjectures et brodent à leur gré pour attribuer à cette dent d’or la marque d’une intervention divine. 

*Je ne peut m'empêcher ici de penser au Diafoirus de Molière. Ce dernier, en affublant ainsi son médecin d'une terminaison en "us" pensait-il lui donner une certaine légitimité, ou se moquait-il simplement de cet usage ?

Fontenelle envisage la possibilité d’une erreur dans la méthode. Il en profite pour généraliser ce risque à toutes les disciplines. Superstition et obscurantisme sont le fait d’un manque de rigueur et l’explication purement religieuse d’un fait réel peut causer du tort à la vérité. Ce texte prolonge l’accusation envers les théologiens qui exploitent à des fins religieuses les superstitions et croyances populaires. Fontenelle y évoque les textes apocryphes: « Quelques chrétiens des premiers siècles, faute d’être instruits de ce principe…se sont laissés aller à faire en faveur du christianisme, des suppositions assez hardies que la plus saine partie des chrétiens ont ensuite désavoué. Ce zèle considéré a produit une infinité de livres apocryphes… »

Les prêtres païens sont capable de calculs et de fourberie pour maintenir leurs peuples dans la crédulité. Effectivement, on comprend le parallèle à peine voilé de Fontenelle, qui ne manqua pas d’irriter les instances religieuses de l’époque. Je citerai encore Montaigne (Essais, Chap. XXXII) qui écrit: « Le vrai champ et sujet de l’imposture sont les choses inconnues. D’autant qu’en premier lieu l’étrangeté même donne crédit; et puis n’étant point sujettes à nos discours ordinaires, elles nous ôtent le moyen de les combattre. » Puis faisant référence au Critias de Platon: « Est-il bien plus aisé de satisfaire parlant de la nature des Dieux que de la nature des hommes, parce que l’ignorance des auditeurs prête une belle et large carrière et toute liberté au maniement  d’une matière cachée …  Il advient de là qu’il n’est rien cru si fermement que ce qu’on sait le moins, ni gens si assurés que ceux qui nous content des fables, comme alchimistes, pronostiqueurs, judiciaires, chiromanciens, médecins de toute engeance... » Dans les chapitres suivants, Fontenelle poursuit sa dénonciation des oracles: « Un des plus grands secrets des oracles… c’est l’ambiguïté des réponses, et l’art qu’on avait de les accommoder à tous les évènements qu’on pouvait prévoir ». Ce court extrait n’est pas sans nous rappeler les prévisions auxquelles s’appliquent nos actuels astrologues.

Fontenelle apporte des précisions historiques. Dans les chapitres suivants, que je ne développerai pas, il explique comment dans un premier temps et pour survivre, le paganisme dut s’attacher quelques principes de la religion dominante (chrétienne), comme par exemple, « la charité pour les étrangers, le soin d’enterrer les morts ou encore la sainteté de la vie ». « Sainteté de la vie », dont l’empereur Julien disait des chrétiens qu’ils savaient si bien la feindre. La lecture de cette Histoire des oracles, montre que Fontenelle est parvenu à construire un plaidoyer en faveur de la rigueur scientifique, sur la base d’un sujet traitant de fausses croyances et de superstitions, sans pour autant être entré dans le piège qui aurait consisté à faire un amalgame trop primaire de ce qu’il dénonce à travers les pratiques de la religion chrétienne.