De Brancas Villeneuve - Lettres sur la cosmographie
En 1745, plus d’un siècle après les révélations de Copernic puis de Galilée, l’idée que la Terre pourrait ne pas être située au centre de l’Univers a encore du mal à se généraliser. Kepler et Newton ont démontré sa rotation autour du Soleil et, bien que ce fait soit admis par une majorité de philosophes de l’époque, il reste encore de nombreux irréductibles comme l’abbé Brancas qui publie "Lettres sur la cosmographie", jugeant nécessaire de combattre l’héliocentrisme, devenu pourtant une réalité, après avoir été confirmé par les mathématiciens et vérifié par les observations des astronomes.
L’abbé de Brancas publie également "Explication du flux et du reflux", dans lequel il traite des causes des marées en donnant des explications grotesques. On lui doit également "Histoire ou police du royaume de Gala", ainsi qu’un Éphéméride pour l’année 1750, dont j’ai retrouvé une trace dans la bibliographie astronomique de Jérôme de Lalande:
Ce commentaire illustre le peu de considération dont jouit de Brancas auprès de la communauté scientifique de son époque . Je me réjouis d'avoir pu trouver cet ouvrage, probablement un des derniers vestiges du géocentrisme. De plus, il semble très rare, car je n'en ai trouvé que peu de traces si ce n'est l'unique exemplaire répertorié qui se trouve conservé à la bibliothèque de l’observatoire de Paris (et dont la BNF fait simplement état en reproduisant son frontispice) et un autre exemplaire à la bibliothèque de Sciences et techniques de l'université de Bordeaux publié chez Ch.Antoine Jombert à Paris, trente années plus tard en 1765 sous un titre différent "Cours complet de cosmographie, où le sistème de Copernic est réfuté "
André François de Brancas serait né en 1702 dans le comtat Venaissin (Vaucluse) et aurait été abbé d’Aulnay. On lui reprocha d’avoir écrit des ouvrages dont la forme faisait tort au fond. En effet, en guise de fond, les Lettres sur la cosmogonie, ne me paraissent guère plus convaincantes que le style qui y est employé est pesant et ampoulé. Un historien écrira de lui: « L’abondance des paroles, les répétitions fréquentes, le grand nombre d’idées inutiles, ont presque entièrement dégouté le public ».
Sur le frontispice, deux anges déchirent une représentation héliocentrique du monde et pointent de leurs doigts le système géocentrique caractérisé par les trajectoires épicycloïdales des astres, tandis que deux muses s’affairent à mesurer les globes terrestre (géographie) et céleste (astronomie). Le texte latin en pied de page signifie: «Représenter pareillement le mouvement des astres tout comme le va et vient de la mer et des terres, est une œuvre qui relève d’un même art.»
De Brancas s’en prend aux «systèmes» issus de l’imagination des philosophes et dont il considère les fâcheuses influences. Il reproche aux astronomes d’être trop attachés à ces représentations du ciel, au point de ne plus savoir discerner la réalité. Comme on le constate, De Brancas décrit des philosophes dont les investigations ne s’effectuent qu’en référence à leurs propres «systèmes» et dont les suppositions qui en découlent n’ont d’autre objet que de servir les dits «systèmes», bien davantage que de révéler une quelconque vérité. Force est de constater que les positions de l’abbé De Brancas sont, elles aussi, totalement dépendantes de ses propres croyances. Ces postures respectives ne font que traduire les affrontements d’idées qui durant ce siècle se montrèrent au grand jour, comme jamais auparavant.
Convaincu, que les observations ne peuvent que confirmer celles des anciens, De Brancas attribue les différences de résultats à des erreurs relatives aux instruments. Il soutient que selon la lunette utilisée, on trouve des moments différents pour l’émersion (apparition) ou l’immersion (disparition) lors d’une éclipse de Lune. On sait maintenant à ce propos que les différences de perception et d’appréciations propres à chaque observateur, entrent dans une part importante de ces écarts. On notera que tout comme Descartes, De Brancas considère le déplacement de la lumière comme instantané, alors que la «demi-minute» de différence (environ 36’ d’angle) dont il fait état, suffirait pourtant à justifier sa vitesse finie.
Après avoir conclu ainsi sa lettre précédente: «Plus un système est moderne, plus ont doit exiger des explications d’un plus grand nombre de phénomènes... Un système recevable du temps de Copernic ne le serait plus de nos jours... », De Brancas, dans une seconde lettre, accuse Copernic. Il lui reproche de s’être inspiré des «Grecs» (sans citer de nom) pour proposer son système. En effet selon les Grecs: « le mouvement commun du Soleil et des astres en vingt quatre heures, pouvait n’être pas réel mais seulement apparent; et que son apparence pouvait provenir par l’illusion de nos sens » De Brancas utilisera donc cet argument pour affirmer que le système de Copernic ne repose que sur une illusion; qu’ils ont (les Grecs) « enseignée dans les écoles, à la honte du raisonnement humain... » il précise que le cardinal de Cues en parla avec le plus grand éloge, mais sans pour autant le soutenir...
L’auteur martèle sans cesse les mêmes arguments dans un style toujours aussi ampoulé. A la suite de cet extrait et probablement par manque d’argumentation scientifique, il utilise la métaphore, dans une explication laborieuse et peu convaincante: «Considérez deux hommes en route, dont l’un presque aveugle, cherche et fait son chemin en tâtonnant avec un bâton en main, et en profitant des avis de ceux qui se trouvent à portée de lui en donner... L’autre se confiant en la bonté de ses yeux, au lieu de consulter les passants, se livre entièrement à ses regards et à ses conjectures, pour discerner sur les différents chemins qu’il rencontre, celui qu’il doit suivre: Je fais gloire d’avoir imité le premier, et le second semble l’avoir été par les cosmographes dont vous m’opposeriez le génie et les recherches.»
L’auteur donne des explications plausibles pour attester de la rotation de la Terre, il souligne le caractère apparent de cette rotation sur elle-même en un jour. Mais pourquoi cette rotation qu’il admet, interdirait-elle la rotation annuelle de notre planète autour du Soleil, comme il se propose de le montrer. Quelques lignes plus loin, sa démonstration en appelle aux Saintes Ecritures: «L’écriture ne se sert de ces expressions, que pour s’accommoder à notre portée: de même elle ne nous dit point que la Terre tourne, et non pas le Soleil, afin de ne pas contredire le rapport de nos sens, dans des choses qui n’intéressent point le salut: elle se contente de le contredire sur les choses qui regardent la foi et la religion; et alors seulement elle exige que nous nous rapportions à son autorité préférablement au témoignage contraire de nos sens et des apparences.»
Dans un article du menu astronomie, je fais état des mouvements de précession et de nutation de l’axe de rotation terrestre, connus au XVIIIème siècle sous les noms respectifs de « libration » et « trépidation ». Bien que leurs dénominations soient différentes, elles décrivent en réalité les mêmes phénomènes. Dans sa quatrième lettre l’abbé De Brancas réfute, comme on pouvait s’y attendre, l’existence même de ces variations de position de l’axe terrestre et revient sur l’obstination prétendue des astronomes en faveur du système de Copernic: « j’espère qu’ils ne tarderont pas de reconnaître, qu’il est de leur devoir pour l’honneur de l’astronomie comme de la raison humaine, d’induire la fausseté de la révolution annuelle de la Terre, du défaut de toute apparence qu’elle devrait produire dans les cieux et dans les étoiles, et du défaut de tout indice de leur part... ». On ne saurait être plus obstiné que cet abbé.
Dans sa cinquième lettre, De Brancas présente ce tableau qui à la manière d’une « caution scientifique » lui permet de se lancer dans quelques démonstrations peu convaincantes et qui m’ont laissé perplexe, bien que je me sois efforcé de suivre ses raisonnements. Dans cette même lettre n’écrit-il pas : « Il manque à la perfection des télescopes s’il faut l’observer par l’occasion d’inventer le moyen. 1° de voir à travers par les deux yeux au lieu d’un seul, puisqu’on en jugerait mieux de la distance et de la grandeur des objets célestes... puisque la vue en serait plus soulagée et plus ferme... 2° d’empêcher qu’aucun rayon étranger ne se glisse entre l’œil et le verre oculaire et l’objectif... » Bien sûr, il fait ici preuve d’un certain bon sens, ce qui n’atténue en rien son incapacité à cerner correctement le sujet qu’il traite.
Poursuivant ses démonstrations, l’abbé De Brancas aborde ici la nature et les propriétés de la lumière. Il réfute Newton en référence aux affirmations du père Louis Bertrand Castel, un jésuite anti-newtonien très actif qui enseignait la philosophie au collège Louis le Grand et qui eut un certain crédit, au point d’être admis à l’Académie Royale de Londres. Ce dernier n’en soutenait pas moins que: « La gravité des corps les pousse au repos, tandis que les esprits rétablissent sans arrêt le mouvement. » L'abbé de Saint-Pierre, ami de Fontenelle et précurseur des nouvelles idées qui marqueront le siècle des lumières, disait de lui: « Il me paraît être de ces esprits originaux dont il est plus à propos d'encourager à démontrer ce qu'ils découvrent, que les encourager à faire de nouvelles découvertes.»
On pourrait supposer qu’un abbé comme De Brancas qui n’était pas homme de science, quoiqu’il en eut la prétention, eut accepté d’admettre quelques vérités scientifiques. Il n’en fut rien, bien au contraire, il prit le contre-pied systématique de toutes les hypothèses des astronomes de son temps au point d’en devenir pathétique. Dans cet extrait, il affirme que les étoiles reçoivent leur lumière du Soleil. Il tentera plus loin de jeter le doute sur les travaux des astronomes qui ont montré que la lumière mettait du temps pour se déplacer, en déclarant: «La subitanéité de la vision de toutes les étoiles les plus ou les moins voisines malgré leur distance réciproque, prouve parfaitement l’instantanéité de la lumière, en prouvant celles des rayons visuels qui ont le plus d’élongation, comme de ceux qui en ont le moins. Comment ne serait-on pas tenté de prendre pour de rêveries de savants, que la progression de la lumière emploie 7 à 8 même 11 secondes du Soleil jusqu’à la Terre, et six mois des étoiles jusqu’à nous, surtout quand on apprend qu’à en croire deux grands géomètres (probablement Newton et Huygens), cela est démontré et qu’ils en donnent en preuve de grandes formules algébriques et géométriques, qui sont exactes mais fondées sur un principe faux ». Cet exemple illustre de quelle manière les opposants acharnés à tout progrès scientifique, faisaient feu de tout bois pour tenter d’atteindre leur but. C’est une vérité historique de dire que des personnages comme De Brancas contribuèrent davantage et en opposition à leurs desseins, à discréditer la religion plus qu’il ne la défendirent à travers leurs écrits.
La conclusion de la sixième lettre, laisse supposer que l’obstination de De Brancas à rejeter des réalités, en dépit de preuves irréfutables, n’est peut-être que le fait de sa foi inébranlable en Dieu et de sa soumission aveugle aux dogmes de l’église. Ne perdons pas de vue que De Brancas n’était qu’un curé provincial et que le fait qu’il se soit intéressé de la sorte à la cosmographie, témoigne de l’impact des courants qui agitaient son siècle.
Ce paragraphe est le dernier de la dix-huitième lettre de cet ouvrage (qui compte cinq-cent-vingt-six pages de la même veine). De Brancas y prétend avoir réalisé une synthèse des connaissances cosmologiques de son époque. La comparaison qu’il fait entre son travail et celui d’une abeille, laisse entendre qu’il a probablement dépensé beaucoup d’énergie pour produire une telle œuvre. Nous sommes forcés de reconnaître pourtant qu’elle est mineure et qu’elle n’a eu aucun impact dans l’histoire des sciences. Elle ne revêt pour nous d’autre intérêt que de redécouvrir, prés de deux cent cinquante ans après sa parution, un pan oublié et méconnu des publications relatives à l’astronomie, en ce siècle où des découvertes ébranlaient les croyances populaires.