Charles Rollin - Histoire ancienne

"Histoire ancienne des Egyptiens, des Carthaginois..." Tome treizième, publié en 1752 à Paris chez la Veuve Estienne - (issu de ma collection)

Fils d'un coutelier parisien, Rollin (1661-1741) fait remarquer très tôt ses prédispositions pour les études, par un religieux pour qui il servait la messe. Il bénéficie alors d’une bourse d’étude au Collège des « Dix-huit » et peut suivre des cours au Collège du Plessis. Il étudie la théologie durant trois ans, à l’issue desquels il renonce à être tonsuré. Il enseigne la rhétorique dès l’âge de vingt deux ans, puis il est nommé au Collège Royal lorsque Louvois, ministre de Louis XIV, lui confie l’éducation de son fils. En 1694, promu recteur de l‘université de Paris, il s’attache à rétablir la discipline et l’assiduité au travail.

En 1699, Il devient responsable du Collège de Beauvais. En 1719, il est désigné par l’Université pour célébrer l’établissement de l’instruction gratuite. Il fait à cette occasion l’éloge de Louis XIV dont un édit dispensait les professeurs de « tendre la main » à leurs élèves. Jansénistes, il défend avec ferveur ses convictions religieuses au point de porter préjudice à sa carrière. En 1720, il est privé de son poste au rectorat et, pour les mêmes raisons, ne sera pas accepté à l'Académie française. Son domicile est perquisitionné à plusieurs reprises et on y découvre une imprimerie clandestine qui avait longtemps déjoué les enquêteurs de la police. En 1726, il publie un Traité des études dont la seconde édition sera éditée en huit livres. En 1739, lorsque l’université de Paris accepte la bulle Unigenitus de Clément XI et se soumet à l’autorité de ce dernier, Rollin prend la tête d’une soixantaine de personnes et renouvelle sa protestation. Il ne sera pas inquiété en raison de son grand âge, bien que le cardinal de Fleury interdit, lors de ses obsèques, que l’on s’y exprime au nom de l’Université.

Dans son Traité des études, Rollin développe des points de vue novateurs comme, par exemple, la nécessité de rendre l’éducation accessible aux filles, afin de réduire leur ignorance « grossière et presque générale dans leur sexe ». Il est également le premier à établir une liste d’ouvrages d’auteurs français à étudier dans les différentes classes. Il favorise l’enseignement de l’histoire, bien qu’on lui reprochera de s’être limité à celle des Juifs des Grecs et des Romains, en ignorant le Moyen Âge ou les « Temps modernes ». Son huitième et dernier livre du "Traité des études" n’a rien à envier aux écrits de Fénelon ou de Locke concernant l’éducation des enfants et la pédagogie qu’il convient de mettre en œuvre. On a reproché à "Histoire Ancienne", dont je présente ici des extraits du tome XIII, de se limiter à une compilation assez imprécise, sans analyse ni critique. Ce qui ne l’empêchera pas de servir de base à l'éducation de nombreuses générations d'étudiants.

Rollin qui n’est pas un scientifique consacre peu de place à l’astronomie. Il est cependant intéressant de connaitre le contenu des études que faisaient les étudiants de son siècle. Études que l’on qualifierait aujourd’hui de générales et qui réservaient toutefois quelques leçons à l’histoire de cette science. Ici l’auteur cite Zénon de Citium, philosophe grec (-335 à -361/362 av. J.-C.) fondateur de l’école stoïcienne qui ne concevait rien qui ne fut matériel et croyait, à ce titre, que l’intelligence faisait partie de la matière. Anaxagore ou Platon, faisaient quand à eux la distinction entre intelligence et matière, expliquant que l’intelligence n’était pas un corps, même si selon eux, les corps existaient indépendamment de l’intelligence, ce qui n’était pas encore exact mais présentait l’avantage d’introduire l’idée de spiritualité et de distinguer, d’une part, la cause de l’effet et d’autre part, l’agent (ce qui produit un effet) de la matière ( qui, elle subit l'effet)

Il est ici question de la matière constitutive du Monde. Rollin reprend la description de l’atome selon Démocrite et développe ensuite différents point de vue, en particulier celui de Cicéron qui écrivait : « Il faut que ces philosophes, pour raisonner d’une manière si absurde, n’aient jamais levé les yeux vers le Ciel, ni envisagé toutes les beautés qui y sont renfermées ». Rollin réfute la doctrine d’Épicure dans le sens où elle laisse supposer qu’il existerait d’autres Mondes que le notre, formés par cet agencement fortuit des atomes. Il s’appuie également sur Gassendi qui juge cette théorie opposée aux Saintes Ecritures, bien qu’il reconnaisse parallèlement qu’il est impossible de démontrer la non existence d’autres Mondes dans l’Univers.

L’auteur évoque le fait que les Romains ont négligé l’étude des disciplines scientifiques. Fort heureusement, il n’en fut pas de même pour les Grecs, car peu de théories astronomiques existaient qu’ils n’aient déjà envisagées. Rollin revenant à son siècle positionne Descartes comme le seul ayant su, depuis les Grecs anciens, faire évoluer la physique par le raisonnement. Ce grand philosophe est parvenu en effet, et pour quelque temps, à imposer sa conception du Monde, jusqu’à ce que Newton vienne troubler cette situation avec ses théories basées sur des effets connus (et non supposés, comme ce fut le cas de Descartes),  dans le but d’essayer d’en découvrir les causes. Newton renversa ainsi l’édifice cartésien en posant de surcroît l’existence du vide comme un principe fondamental.

Rollin montre les positions parfois obstinées des Latins, plus esthètes que géomètres. Il évoque également l’apparition de l‘instrumentation scientifique  qui permit de faire évoluer les connaissances que l’homme avait du Monde et de sa physique. A la fin du chapitre, il fait référence à l’Académie des sciences dont les portes lui étaient désespérément closes: « j’admire la sagesse et la modestie de l’Académie des sciences, qui, malgré tant de savants ouvrages dont elle a enrichi le public, malgré tant de découvertes qui sont le fruit de ses travaux et de ses observations, ne regarde pourtant les sciences, du moins la physique, que comme étant encore au berceau. Mais j’admire encore plus l’usage religieux qu’elle fait de connaissances si rares, qui doivent selon elle nous inspirer un grand respect pour l’auteur de la Nature par l’admiration de ses ouvrages ».

Rollin aborde les travaux de Newton et de Leibnitz et avoue son manque de connaissance. Il s’en remet aux propos du marquis de l’Hôpital, (Guillaume François Antoine, marquis de l’Hôpital - 1661/1704), mathématicien et auteur du premier livre français sur le calcul différentiel: "L'Analyse des Infiniment Petits pour l'Intelligence des Lignes Courbes". dans la préface duquel on peut lire : « Il n’est pas surprenant que les anciens n’aient pas été plus loin. Mais on ne saurait assez s’étonner que des grands hommes, et sans doute aussi grands hommes que les anciens, en soient si longtemps demeuré là; et que par une admiration presque superstitieuse pour leurs ouvrages, ils se soient contenté de les lire et de les commenter, sans se permettre d’autre usage de leur lumière que ce qu’il en fallait pour les suivre, sans oser commettre le crime de penser quelquefois par eux même et de porter leur vue au delà de ce que les anciens avaient découverts. »

Le second chapitre est une courte synthèse historique dans laquelle Rollin relate des faits en prenant soin d’évoquer également leurs causes. Comme on le constate dans son analyse et, bien qu’elle soit assez sommaire, il est clair qu’un des principaux moteur de l’évolution des études astronomiques procède de la nécessité qu’ont les hommes de connaître physiquement la Terre sur laquelle ils évoluent. Sur ce point, Rollin semble ne pas partager pas l’avis de Jean Sylvain Bailly, célèbre historien de l’astronomie qui écrivit quelques décennies plus tard: « La plupart des sciences sont nées des besoins de l’homme, l’astronomie n’est due qu’à sa curiosité ». A moins que Bailly emporté par sa plume, n’ait délibérément formulé cette sentence dans le but de porter plus haut ce qu’il considérait comme une des qualités essentielles au progrès des connaissances.

Rollin montre en quelques mots comment l’astronomie favorisa l’essor des grandes civilisations anciennes à travers leur développement commercial basé sur les échanges maritimes. Malheureusement l’apparition du christianisme mettra fin aux progrès de la cartographie et parviendra à imposer son propre Monde dont la représentation servira les desseins religieux, bien plus que la nécessité de disposer de tracés géographiques fiables. Des hommes d’église comme Saint Augustin, Isidore de Séville ou Cosmas d’Alexandrie (également connu sous le nom de Cosmas Indicopleustes), n’ont-ils pas déclaré au VIème siècle que la Terre était plate. On devra patienter prés de dix siècles pour que les grands navigateurs reconsidèrent, comme les anciens philosophe, l’idée d’une Terre sphérique et se lancent à la découverte de « nouveaux mondes ».

Dans ce dernier extrait, Charles Rollin mentionne les différents types d’astres que les observations révèlent, et dont on ne connaît alors que deux types distincts, les planètes et les étoiles fixes. Il nous précise qu’avant l’apparition des lunettes on ne dénombrait environ qu’un millier d’étoiles alors : « qu’on en découvre des millions qui échappent aux yeux. Ces étoiles brillent toutes par elles même, et sont toutes, comme le Soleil, une source inépuisable de lumière. ». On notera que l’auteur, très succinct dans ses définitions omet de mentionner Mercure, Mars et Vénus; est-ce un oubli ?