Camille Flammarion - La pluralité des mondes habités

"La pluralité des Mondes habités" quatrième édition, publiée en 1865 à Paris chez Didier&Cie - (issu de ma collection)

En ce XIXème siècle finissant, la science semble en mesure de pouvoir expliquer presque tous les phénomènes observables. A partir de cet instant, certains parmi les esprits les plus vifs et les plus curieux se devaient d’occuper leurs ressources en explorant de nouveaux horizons. Les disciplines purement scientifiques ne leur offrant plus les mêmes attraits. La parapsychologie et l’occultisme comblèrent ce vide. Camille Flammarion, tenta d’y associer la démarche du scientifique qu’il était alors, à la pratique du spiritisme. La mise en évidence de certains phénomènes aurait représenté une véritable révolution face à la science triomphante, qui ne voulait alors entendre parler de transmission de pensée ou de communication avec les morts; phénomènes qu’elle considérait « physiologiquement inconcevables »

Certes, Flammarion s’est fourvoyé dans cette voie mais, le plus regrettable le concernant, demeure le fait qu’il soit passé totalement à côté de la révolution intellectuelle qu’allaient engendrer les publications des travaux d’un jeune savant nommé Albert Einstein ainsi que ceux du physicien Max Planck. Ces derniers remettaient en cause la physique classique pour lui substituer la physique quantique et la relativité. De nouvelles perspectives s’offraient alors aux chercheurs. La communauté scientifique voyait devant elle s’ouvrir de nouveau mondes à explorer, dans lesquels allaient s’engouffrer les esprits les plus brillants. Le paranormal passa rapidement de mode au profit de travaux d’une toute autre teneur. Flammarion continua pourtant jusqu’à sa mort ses séances de spiritisme et publia encore en 1920 des textes dans lesquels il était encore question de l’éther ou qui niaient l’existence des ondes gravitationnelles. Le vieil homme qu’était devenu Flammarion, dernier survivant de la génération éteinte des encyclopédistes, fut alors considéré comme totalement dépassé. Cependant, on doit aujourd’hui reconnaitre que l’unification entre la physique quantique et la relativité pose des questions non résolues. Je me garderai bien, à ce propos, d’en déduire, comme j’ai pu le lire: « qu’une solution pourrait se dissimuler derrière des facultés, encore insoupçonnées de l’esprit humain ». Dans le premier ouvrage que je présente ici, apparait un Flammarion qui n’a alors que vingt trois ans et qui semble prêt a relever tous les défis, fort de sa jeunesse, de son intelligence, et de la conviction qui l’anime, quand au bien fondé des idées qu’il défend. Il citera ici des auteurs qui, comme lui, on évoqué la question de la pluralité des mondes. Parmi les plus connus: Plutarque (qui évoqua les habitants de la Lune), Rostand (Cyrano de Bergerac), Fontenelle, Christiaan Huygens (Cosmothéoros)ou Voltaire (Micromégas). On peut ne pas partager les convictions de l’auteur, bien qu’on doive lui reconnaitre une indéniable culture scientifique, mise ici au service de thèses au sujet desquelles on doit garder à l’esprit que l’état des connaissances de l’époque, ne permettait pas de réfuter formellement.

Dans son introduction, Flammarion aborde la problématique posée par la position qu’occupe en son temps la « science triomphante », que j’évoque précédemment. Il déplore la perte de repères philosophiques et religieux au profit d’un engouement trop exclusif pour une science phagocyte, qui chasse de l’esprit de l’homme ses aspirations les plus profondes et y substitue ses froides « formules ». Selon lui, cette omnipotence scientifique générer le doute dans l’esprit de l’homme et réduit tout ce qui parvenait jusqu’alors à combler ses attentes. Flammarion ne voit en ce recours systématique à la science, qu’une nouvelle forme d’immobilisme. Il défend le principe d’un retour en grâce de la philosophie et d’une sorte d’unification de cette dernière avec la science « sa sœur », en vue de donner naissance à une « foi nouvelle » qu’il pense susceptible d’élever les desseins de l’humanité. Supposant que « l’homme progressif de sa nature, ne veut point rester stationnaire », il propose comme alternative de s’engager dans une voie « progressiste » et de rejeter toute position figée. A ses yeux, cette « rénovation des esprits » préserverait les « pensées anxieuses du vrai … altérées par les sciences ». Il souhaite ainsi associer deux univers, pour aboutir à ce qu’il nommera « la Religion par la science ».

Le fait de savoir que Camille Flammarion s’adonne à des expérience de spiritisme, sous caution d’une étude rationnelle de phénomènes qui ne le sont pas, pourrait nous rendre suspicieux et nous faire relativiser la portée de ses allégations. Dans le cadre de ses travaux sur la pluralité des mondes habités, il commence par une revue historique des sources de cette hypothèse. Il prend soin de nous mettre en garde, contre l’anthropomorphisme, au sujet duquel le philosophe Xénophane de Colophon (élève supposé d’Anaximandre), s’exprimait ainsi: « il s’agit d’un penchant naturel, à ce point que si les bœufs voulaient se créer un Dieu, ils le concevraient sous la forme d’un bœuf, et les lions sous la forme d’un lion, de même que les Ethiopiens qui imaginent des divinités noires et les Thraces qui leurs donnent une rude et sauvage physionomie ». Flammarion rappelle également la position d’Aristote qui, au nom de  « l’incorruptibilité des cieux » n’admit jamais qu’il put y avoir d’autres mondes habités que le notre.

Flammarion s’appuie sur un texte de Lucrèce (poète et philosophe romain. 98 à 54 ? Av. J.-C.) qu’il met en parallèle avec « l’Anti Lucrèce » du Cardinal de Polignac (1661-1741. Membre de l’Académie des Sciences). Ce dernier, bien que ne partageant pas la philosophie épicurienne de Lucrèce, le rejoint en ce qui concerne la pluralité des mondes. Louis de Rouvroy, duc de Saint Simon (1675-1755), reprenant Madame de Sévigné, relatait dans ses mémoires à propos du cardinal: « Il parle sur les sciences et sur les objets d'érudition comme Fontenelle a écrit ses Mondes, en mettant les matières les plus abstraites et les plus arides à la portée des gens du monde et des femmes, et les rendant dans des termes avec lesquels la bonne compagnie est accoutumée à traiter les objets de ses conversations les plus ordinaires...». Flammarion mentionnera l’incontournable « Entretiens sur la pluralité des Mondes » de Fontenelle ainsi que de nombreux grands astronomes qui ont admis qu’il pourrait exister des mondes, en dehors du notre.(Hevelius, Huygens, Herschel, Newton, etc.…)

L’auteur soulève la question de l’atmosphère. A cette occasion, intégrant les observations des astronomes, il explique que jusqu’à preuve du contraire, la possibilité que d’autres planètes soient habitable ne peut pas être exclue scientifiquement. Ainsi s’accommode t’il de l’apparente absence d’atmosphères sur certains astres observés, en les supposant réduites à de fines couches, imperceptibles depuis la Terre et qui recouvriraient les plus basses zones de leurs reliefs respectifs. Viendront ensuite des considérations dimensionnelles  montrant qu’on ne peut négliger les différences d’échelles, et suffisantes pour justifier que la Terre habitée a de grandes chances de passer inaperçue aux habitants des autres planètes. A contrario, ce n’est pas parce que depuis la Terre, nous ne pouvons percevoir d’éventuelles traces de vie sur les autres planètes, que cela implique qu’il n’y en a pas. 

La conclusion du chapitre sur les mondes planétaires admet qu’il n’y a aucune raison objective pour que la Terre se distingue des autres planètes, pas plus qu’il n’y en a pour que les autres planètes soient différentes de la Terre, motif supplémentaire pour envisager leur habitabilité. Flammarion souligne l’erreur séculaire du géocentrisme et la met en parallèle avec celle que nous pourrions commettre en refusant l’idée de la pluralité des Mondes habités; sans pour autant qu’une relation directe existe entre ces deux faits. Jusque là, on peut ne voir dans son propos, qu’un exercice de rhétorique pour lequel le manque de données physiques ou biologiques de l’époque, au sujet des conditions régnant à la surfaces des planètes ne permettait aucune affirmation rigoureuse quand à l’existence ou à l’absence d’une quelconque forme de vie extraterrestre.  Nous en sommes d’ailleurs aujourd’hui, prés de cent cinquante ans plus tard, à peu prés au même point malgré les extraordinaires progrès des sciences astronomiques et biologiques intervenus entre temps.

Efforçons nous de suivre l’auteur dans ses hypothèses… car il s’agit bien de cela dont il est question. En parcourant les premiers chapitres de cet ouvrage, je n’ai pu chasser de mon esprit l’image d’Urbain Le Verrier, renvoyant avec fracas le jeune Flammarion de son poste à l’observatoire de Paris. Malgré ses emportements excessifs, force est de reconnaitre que le Verrier, pour qui l’astronomie n’était que chiffres ou équations, a pu se montrer particulièrement agacé par la prose de son jeune employé. Sous un autre aspect, si l’on considère l’état d’esprit qui régnait dans nos pays au XIXème siècle, on peut admettre que les propos « progressistes » de Flammarion aient séduit le public, d’autant que l’idée qu’il existe d’autres formes de civilisation s’inscrivait par ailleurs dans le domaine du merveilleux comme une sorte de conte auquel on aimerai croire. Dés lors, on touche au domaine psychanalytique sur lequel je me garderai de tout commentaire. Quelques lignes plus tard, l’auteur abordera la réflexion philosophique en s’interrogeant:  « l’existence des choses a-t-elle un but ?, n’en a t ’elle pas?»  et posera un accord sur ce point comme préalable à tout échange.

Après avoir qualifié de « grotesques » le propos des astrologues au sujet des caractères qu’ils attribuent à Saturne, Flammarion propose ici des extraits d’un ouvrage de Henri Lecouturier, disciple du philosophe et économiste Charles Fourier (1772-1837). Propos qui illustrent une des voies qu’exploraient les « expérimentateurs sociaux » du XIXème siècle qui cherchaient à « consolider la science sociale en la fondant sur une nouvelle science de l’homme ». Je signale à ce propos un autre ouvrage de cet auteur sur lequel il serait opportun de se pencher: « la Cosmosophie, ou le socialisme universel ». Je rappellerai simplement ici que pour lui, l’homme « n’était pas un être identiquement organisé partout comme celui qui se voit dans notre Monde sublunaire… mais bien un être formé mi-partie de l’esprit et mi-partie de la matière dont se compose la sphère dans laquelle il habite ». Enfin, pour rebondir sur la question que pose Flammarion dans mon commentaire précédent, j’ai noté que Lecouturier apportait une réponse sans appel: «  l’univers s’organise en vue de l’homme ».

Conséquence de notre tendance anthropomorphique, toute tentative de définition d’une société extra-terrestre issue de l’esprit de l’homme, aurait pour effet de ne pas révéler autre chose que ce qu’il porte en lui-même. Selon Flammarion il ne fait aucun doute que tout ce que nous sommes, dépend du lieu où nous séjournons. A ce titre, il nous invite à considérer que ce principe s’adapte à toute forme de vie susceptible d’exister. En effet, il écrit: « l’absolu n’existe pas en physique, tout est relatif » et de ce fait, une part importante de nos connaissances ne se résume à ses yeux qu’à une « étude des rapports » (dans ce cas, rapports dimensionnels). Flammarion conclura son chapitre par trois affirmations: «  Les forces diverses qui furent en action à l’origine des choses donnèrent naissance sur les mondes à une grande diversité d’êtres, soit dans les règnes inorganiques, soit dans les règnes organiques… Les êtres animés furent dès le commencement constitués suivant de formes et suivant un organisme en corrélation avec l’état physiologique de chacune des sphères habitées… Les hommes des autres mondes différents de nous, tant dans leur organisation intime que dans leur type physique extérieur ».

Une contradiction existe entre le comportement terrestre de l’homme et les valeurs incarnées par Dieu. Flammarion fera remarquer que le fait de voir le « chaos dans l’œuvre divine ou une partie quelconque de cette œuvre » s’apparenterait à une « négation de l’intelligence ordonnatrice », alors que: «celui qui voit une unité dans les créations du ciel… comprend la nature comme une expression de la volonté divine.»  En cela, il défend le principe d’une « unité morale » du monde en tant que lien entre tous les esprits et ce qu’il nomme «  l’Esprit suprême ». Il écrit « l’esprit s’élève d’autant plus qu’il s’affranchit davantage de la domination des choses corporelles… » et sur ce point, situe «  Le monde de la Terre parmi les rangs inférieurs de cette hiérarchie morale ». Il explique cette mauvaise position comme la conséquence d’un principe qui voudrait que l’ordre des intelligences s’accroisse en suivant celui des êtres corporels. Ainsi, nous reste t-il un énorme chemin à parcourir qui, jalonné par nos développements successifs devrait nous permettre de nous rapprocher de Dieu.

Flammarion semble se laisser emporter par une prose emphatique qui lui fera définir « l’humanité collective » en ces mots: « Les êtres inconnus qui habitent tous ces mondes de l’espace, ce sont des hommes partageant une destinée semblable à la nôtre. Et ces hommes ne nous sont point étrangers: Nous les avons connus ou devons les connaitre un jour. Ils sont de notre immense famille humaine; ils appartiennent à notre humanité. Ô mages de l’éternelle vérité, apôtres du sacrifice, pères de la sagesse… » . Il élève ici la Pluralité du Monde au même niveau qu’une croyance religieuse, bien qu’il dissocie clairement les fondements respectifs de ces deux doctrines. Il considère par ailleurs que l’astronomie détient les « clefs de ce domaine ». On comprendra que la publication d’un tel ouvrage ait put déplaire aux milieux religieux et soulever la polémique auprès des scientifiques bien que, parallèlement, il obtint un énorme succès populaire, contribuant à la célébrité de son  auteur qui avait tout juste 20 ans.

La première planche montre les dimensions respectives des planètes de notre système. Flammarion s’en sert pour justifier les différences de taille qui peuvent exister entre les habitants de ces différentes sphères. La planche centrale fait figurer la Terre à coté du Soleil. Les écarts dimensionnels y sont encore plus significatifs. La troisième planche, qui figure en frontispice de cet ouvrage, accole la Terre à Mars, pour signifier les caractères comparables de ces deux planètes.
Flammarion publiera d’ailleurs, en 1892, un ouvrage intitulé « La planète Mars et ses condition d’habitabilité » dans lequel il défend l’idée que des canaux, construits par des êtres vivants, sillonnent la surface de cette planète. Ce livre de Flammarion devenu extrêmement rare précédera de nombreuses autres publications de différents auteurs, dont celle de Percival Lowell qui fut le premier astronome a prétendre avoir réussi à photographier ces canaux. Je présente son ouvrage « Mars et ses canaux, ses conditions de vie »  dans un article suivant.