Amédée Guillemin - Le Ciel
Amédée Guillemin (1826-1893) est un journaliste scientifique et écrivain né à Pierre de Bresse en Saône-et-Loire. Il débute ses études au collège de Beaune puis se rend à Paris où il enseigne les mathématiques en indépendant. Il publie alors des articles dans un journal politique d’opposition à l’Empire (Napoléon III). En 1860, il s’établit à Chambéry où il est secrétaire de la rédaction du journal La Savoie. La même année a lieu l’annexion à la France de cette région qui précédemment appartenait au Royaume de Sardaigne. Peu de temps après, Guillemin revient à Paris, il tient la rubrique scientifique de l’Avenir national, journal républicain influent, qui s’est démarqué pour ses violentes prises de positions anticléricales.
En 1864, sort la première édition de son ouvrage Le Ciel qui connait un succès immédiat et est traduit en plusieurs langues. Cet ouvrage antérieur de dix neuf ans à Astronomie populaire de Flammarion est une œuvre qui lui est comparable, en ce qu’elle dresse un état complet des connaissances en astronomie. Moins riche en commentaires philosophiques cette œuvre ne soutient aucune thèse susceptible de remettre en cause la société savante de l’époque. On notera simplement qu’il n’y est fait aucune mention de Dieu. Le Ciel n’est pas l’œuvre majeure de Guillemin qui publiera en 1885 Le monde physique en cinq gros volumes. Il collabore également à de nombreux journaux ou revues comme La Nature, La République Française ou La Revue philosophique et religieuse. Charles d’Orbigny lui confie la partie relative à l’astronomie dans le Dictionnaire universel d’histoire naturelle publié en 1861, considéré comme l’une des meilleures encyclopédies d’histoire naturelle de son siècle. Guillemin s’occupera de politique et restera fidèle au libéralisme. Il militera également en faveur de l’introduction de la cosmographie dans les programmes scolaires primaires, élémentaires et supérieurs. Il écrivait: « sous une forme simple, sensible, intelligible, chaque enfant acquiert et, devenu adulte, conserve une idée nette de la demeure où il est fixé… il est certain que de telles notions, jointes à celles qui font connaitre les phénomènes généraux de la physique terrestre, peu à peu répandues dans les masses populaires, seraient les plus propres à détruire cette multitude de préjugés, les uns ridicules, les autres honteux, et toutes ces superstitions dégradantes, qu’on trouve encore comme des restes de l’ignorance des époques de barbarie ». Ce qui peut nous conduire à nous demander à qui profite cette ignorance ?
Cet ouvrage riche en illustrations présente d’une manière particulièrement abordable, les connaissances que l’on avait en astronomie vers la seconde moitié du XIXème siècle. C’est pourquoi, je m’y attarderai, d’autant qu’il comporte d’excellentes illustrations. Comme je l’ai mentionné, ce livre d’Amédée Guillemin compte parmi les meilleurs ouvrages d’astronomie de son temps, à destination du grand public. Les talents de vulgarisateur de l’auteur n’ont rien à envier à ceux dont fit preuve Flammarion dans Astronomie Populaire. Pourtant force est de constater que ce dernier éclipsa bon nombre de publications qui le précédèrent, comme ce fut le cas, par exemple, pour l’ouvrage du même nom de François Arago, sans pour autant dévoiler de nouvelles connaissances. On notera dans l’extrait ci-dessus que Guillemin mentionne les nombreux astronomes avec lesquels il a correspondu et qui contribuent à crédibiliser son travail.
Guillemin consacre un long passage au Soleil, qui faisait alors l’objet d’un grand nombre d’études de la part de l’avant-garde des astronomes qui n’hésitaient pas à exploiter les nouveaux instruments mis à leur disposition et en particulier dans le domaine des mesures physiques. L’analyse du déplacement des taches Solaire avait montré que cet astre possédait une période apparente de rotation de 27,5 jours. Les variations saisonnières des directions du mouvement de ces taches, essentiellement dues à l’inclinaison de l’axe de rotation terrestre (l’inclinaison de l’axe du Soleil est de 7,25° et de 23,5° pour la Terre), permirent d’estimer la durée réelle de la rotation Solaire à 25,5 jours. Aujourd’hui on sait que le Soleil présente une « rotation différentielle » qui se caractérise par une rotation de l’équateur supérieure à 30% à celle des pôles. La rotation du Soleil, suivant les latitude à laquelle elle est mesurée varie donc entre 24 et 31,5 jours. Guillemin aborde ensuite l’étude de la structure des tâches dans lesquelles il identifie deux zones distinctes, un noyau sombre et une bordure striée plus lumineuse.
Après quelques pages consacrées aux observations détaillées des tâches solaires, en particulier par les précurseurs de l’époque que furent Ernesto Capocci de l’observatoire de Naples ou le Dr Pastorff de Francfort, l’auteur aborde la constitution chimique et la dynamique de cet astre. L’analyse spectrale alors naissante permit d’identifier une multitude de composants essentiellement métalliques dans l’atmosphère solaire. On peut être surpris de ne trouver aucune mention de l’hydrogène qui pourtant constitue prés des ¾ de sa masse. Du chemin restera à parcourir jusqu’à ce qu’en 1925, Cecilia Payne Gaspochkine parvienne à faire un parallèle entre les variations des raies d’absorption et les différentes classes d’étoiles (relativement à leurs températures réelles) pour confirmer la présence d’éléments lourds mais surtout celle, majoritaire, de l’hydrogène et de l’hélium.
Dans le volet astronomie pratique j’évoque la complexité des mouvements de la Lune; sa trajectoire est en effet impactée par de nombreux facteurs, le premier étant qu’elle est à la fois en orbite autour de la Terre et qu’elle accompagne simultanément cette dernière dans son mouvement annuel autour du Soleil. Le premier astronome connu pour avoir défini le mouvement de notre satellite fut Méton (430 av. J.-C). Depuis cette époque les plus grands astronomes ont affiné nos connaissance de son « équation ». Au XVIIIème siècle Lalande répertorie plus d’une douzaine de mouvements distincts qu’il nomme « Inégalités de la Lune », il précise toutefois que seules quatre de ces « inégalités » doivent être prises en compte dans les calculs, les autres n’intervenant que de manière infime. Ici Guillemin explique les raisons d’une des variation régulière majeure de l’orbite lunaire.
Les puissants télescope développés au début du XIXème siècle permirent d’observer des détails de la surface lunaire. Ainsi les grandes taches sombres que l’on nommait « mers » furent regardé conne des plaines et les partie les plus brillantes apparurent aux observateurs comme des zones montagneuses. Cet extrait montre une description physique de la Lune qui soutient l’origine volcanique des cratères. On sait aujourd’hui que notre satellite a connu une activité volcanique qui suivit le refroidissement de sa croute (4,5 milliards d’années), cependant les grands cratères lunaire n’ont rien de commun avec les cratères volcaniques éruptifs terrestres, en ce qu’ils sont le résultat de bombardements de météorites survenus alors que la croute lunaire était à peine solidifiée.
Ces trois planches illustrent le chapitre sur les éclipses. La première est une éclipse totale de Soleil qui laisse clairement apparaitre la couronne solaire. L’observation attentives des éclipse totales de 1842 à 1861 (il y en eu six) permit de parvenir à des conclusions qui répondent en partie aux interrogations qu’Arago posait dès 1842 (revoir article sur ce dernier). Ainsi Guillemin peut écrire: « l’explication généralement adoptée de cette auréole et de la « gloire » qui l’environne, est que le premier de ces phénomènes accuse l’existence d’une atmosphère solaire, enveloppant l’astre radieux à une hauteur d’environ 1/10ème du diamètre de l’astre… quand aux rayons formant la gloire, on les regarde comme un phénomène purement optique, dû à la diffraction de la lumière sur les aspérités du contour de la Lune ».
La planète Mars, ne pouvait pas être observée de manière aussi détaillée que la Lune. L’évolution des connaissances sur notre satellite avait repoussé les probabilité d’y découvrir une vie au sens ou l’entendait Cyrano de Bergerac, bien que la présence d’autre forme vie n’était pas exclue. Mars en revanche conservait son potentiel énigmatique et restait encore l’objet de théories parfois fumeuses . Guillemin trace ici une description physique de la « planète rouge ». Partageant les avis des scientifiques contemporains, il soutiendra l’analogie entre les grandes taches blanches polaire martiennes (planche XV fig. II, ci-dessus) avec les calottes polaires terrestres pour en conclure: « La météorologie de Mars est en grande partie connue. Elle doit avoir , je le répète, les plus grandes analogies avec la météorologie terrestre ».
En 1866 on connaissait huit satellites de Saturne, tous découverts grâce à l’observation. La photographie argentique, puis numérique, en longues poses permit d’en découvrir de nombreux autres, enfin les sondes spatiales ont-elles aussi permis d’en identifier de nouveaux. On en dénombre aujourd’hui environ une soixantaine. La composition chimique de cet astre était inconnue, bien qu’on ait su mesurer sa densité, Guillemin commente: « La masse de cet énorme sphéroïde est loin d’être en rapport avec sa grosseur… cela suppose une matière sept pois moins lourde que celle qui compose la Terre…il faut en conclure que la surface du globe de Saturne soit toute entière liquide ». Un premier pas était franchi qui conduirait à définir l’existence de deux types distincts de planètes au sein de notre système: les planètes telluriques et les planètes gazeuses.
Avant qu’on ne découvre la nature des trajectoires des comètes, le caractère subit et imprévisible de leurs apparitions leur conférait toute sortes de significations prédictives, desquelles l’inconscient collectif eut quelque peine à se débarrasser. Ce catastrophisme lié aux comètes refit surface en 1826, avec l’apparition de la comète de Gambart*, Guillemin écrit: « Sa première réapparition causa une vive émotion par l’annonce un peu prématurée, qu’elle devait à son passage venir rencontrer et heurter la Terre…l’alarme était donnée…les imaginations s’exaltèrent et l’idée de la fin du monde - de notre petit monde en tout cas – envahit nombre de cervelles. »
*Jean-Felix Adolphe Gambart (1800-1836), est un astronome sétois, véritable découvreur de cette comète périodique dont il calcula le retour pour 1832. Cette comète ne pris pourtant pas le nom de son découvreur, Arago même s’en offusqua publiquement. On la connait aujourd’hui sous le nom de Comète de Biela.
En ce qui concerne l’astrophysique, la distance des étoiles demeurait au XIXème siècle un problème délicat à résoudre. La parallaxe généralement exploitée pour les mesures au sein de notre système n’avait donnait jusqu’alors aucun résultat significatif en raison de l’éloignement des étoiles. Cependant les progrès technologiques permirent d’évaluer par cette méthode les distances des étoiles les plus proches, ce qui fit rapidement apparaitre la nécessité de mettre en place une nouvelle unité de mesure. Ainsi naquit l’année lumière (al). La distance à Alpha du Centaure (qui est en réalité un système de trois étoiles liées par la gravitation) fut déterminée à 3,6 al (valeur vraie 4,22 al) par Friedrich Wilhelm Bessel qui utilisa un héliomètre de Fraunhofer. Ces résultats bien qu’inexacts, suffirent à donner une idée des énormes dimensions en jeu au sein du monde stellaire.
L’amélioration de la résolution des télescopes permit la mise en évidence d’un grand nombre d’étoiles doubles ou multiples. Il restait à définir si ces dernières étaient en association purement optique ou si leur regroupement était physique, autrement dit, si ces astres étaient interaction gravitationnelle. Les astronomes mesurèrent donc avec précision les mouvement propres de certaines étoiles. Ce fut le cas de Bessel qui, en 1838, étudia le mouvement de Sirius et y releva des variations qui ne pouvaient qu’être le résultat d’une telle interaction issue d’une masse situé dans la proximité de l’étoile, faisant de cette dernière une binaire astrométrique*. En 1851, l’astronome allemand Christian August Friedrich Peters (1806-1880) calcula que ces anomalies avaient une période de cinquante ans et en 1862, dans la nuit du 31 janvier, Alvan Graham Clark put observer la présence de cet objet, qui perdit de ce fait son qualificatif d’astrométrique.
* Une binaire astronomique est une étoile double non résoluble avec un instrument optique.
Dès la Grèce antique, les observateurs notaient des différentes de couleurs entre les étoiles, qui par la suite firent envisager des spécificités dans la nature de ces étoiles. L’auteur reconnait : « quant à la cause de la coloration des étoiles et à celle des changements de nuances, elles sont encore inconnues ». Arago affirmait cependant : « c’est au temps et à des observations précises à nous apprendre si les étoiles vertes ou bleues ne sont pas des Soleils déjà en voie de décroissement; si les différentes nuances de ces astres n’indiquent pas que la combustion s’y opère à différents degrés ». La relation entre la couleur et la température surfacique des étoiles fut établie au début du XXème siècle, notamment grâce à l’analyse spectrale. Vers 1910, Hertzsprung et Russel classèrent les étoiles selon leurs températures, caractérisées par des différences de coloration, et relativement au stade atteint dans leurs cycles de combustions respectifs .
L’existence d’étoiles variables, fut découverte en 1572 par Tycho Brahé (super novæ découverte dans Cassiopée). Dés lors, on s’interrogea sur ces changements périodiques de luminosité. Au XIXème siècle, on émettait deux hypothèses: la rotation de l’étoile changeante ou la présence d’un corps obscur en révolution autour d’elle. Depuis, on a identifié de multiples causes à ces cycles. Ainsi, classons-nous aujourd’hui ces étoiles en cinq familles: Les variables pulsantes ( variation périodique de volume, liée à leur cycle de combustion), les variables par rotation (variation liée à leur rotation et à la présence de taches sombres à leur surface), les variables éruptives (caractérisée par des sautes d’activité intenses dans leur chromosphère), les variables optiques (phénomène d’éclipse lié à la proximité d’une autre étoile en gravitation) et enfin, les variables cataclysmiques (interactions gravitationnelles violentes entre deux étoiles, novæ).
Jusqu’au XIXème siècle, les instruments optiques ne permettaient pas de résoudre les objet aujourd’hui classifiés en amas, galaxies ou nébuleuses. Ainsi ont nommait indistinctement tous ce objets « nébuleuses ». Comme on peut le lire ici, dans la seconde moitié du XIXème siècle, moins d’une nébuleuse sur dix pouvait être identifiée comme un amas d’étoiles. Ce furent des astronomes comme John Herschelou Lord Rosse qui, dotés d’instruments de grands diamètres, permirent d’effectuer les premiers progrès en la matière en identifiant des formes spirales et elliptiques. Herschel fit un premier pas en estimant par exemple que l’amas d’hercule M13 sur la catalogue de Messier ne contenait pas moins de cinq mille étoiles. On sait de nos jours que cet amas en comporte plus de cent mille.
Vers 1780, le nombre de nébuleuses connues atteignait à peine 170. En 1847, Herschel publia un catalogue qui en comprenait 4014 (dont plus de 1350 furent découvertes par lui). Vers 1909, les catalogue NGC et IC de Dreyer comptent plus de 13.000 objets célestes. En 1989 le catalogue PGC répertorie 73.197 galaxies. Actuellement, le programme de recherche SDSS (Sloan Digital Sky Survey) a identifié 675.000 galaxies. Cette progression exponentielle, ne traduit rien d’autre que des avancées technologiques de nos moyens d’observation. Il faut par ailleurs reconnaitre que le nombre d’objets visibles, ainsi répertoriés, est sans commune mesure avec les chiffres avancés par les théories actuelles qui, compte tenu des dimensions estimées de l’univers, situent le nombre des galaxies à 1011 (un million de millions). Il est fort probable par ailleurs que ce nombre soit encore sous-évalué, si on prend en compte les « champs ultra profonds » HUDF (Hubble Ultra Deep Fields) imagés par le télescope spatial Hubble.
Le commentaire de la page précédente, aide à mesurer le parcours effectué en un siècle par les astronomes. A l’époque de Guillemin, pourtant pas si éloignée de nous, on se contentait encore de classer les nébuleuses selon leurs aspects visuels, faute de pouvoir faire mieux. Il faudra encore patienter une soixantaine d’années pour qu’en 1920, grâce à l’utilisation de la photographie, Edwin Hubble lève le voile sur la nature des nébuleuses, montrant qu’elles étaient d’immenses systèmes stellaires. De nos jours on sait que ces nébuleuses que l’on nomme galaxies peuvent comporter entre quelques dizaines millions d’étoiles pour les plus petites d’entre elles et jusqu’à plusieurs milliers de milliards d’étoiles pour les plus grandes.
La nébuleuses planétaires, était définie de part sa forme rappelant celle d’une planète. Le fait que l’intensité lumineuse semblait identique sur toute la surface de cet objet, faisait penser qu’il ne pouvais s’agir d’un amas d’étoile, car une des caractéristiques de ce dernier était d’avoir un accroissement de luminosité au fur et à mesure ou l’on se rapprochait de son centre. Certains astronomes ayant pu noter la présence d’une étoile au centre de ces formations émirent des hypothèses que Guillemin reprit ainsi: « On se demande s’il ne faut pas voir dans les étoiles nébuleuses des soleils enveloppés d’une atmosphère de dimension considérable, rendue visible à ces énormes distances par l’illumination des foyers stellaires. » cependant la prudence restait de mise : « si, du reste, on adopta d’abord avec un peu de précipitation l’hypothèse de la matière nébuleuse diffuse, il faut se garder de tomber dans un excès opposé, en considérant à priori toutes les nébuleuses connues comme formées uniquement d’agglomérations d’étoiles. »