Alexandre Guy Pingré - Astronomicon

De gauche à droite : Buste d'Alexandre Guy Pingré en terre cuite réalisé par le sculpteur Jean-Jacques CAFFIERI (1725-1792).(Crédit: www.insecula.com) "Astronomicon" reliure des deux tomes publiée en 1786 à Paris, chez Parisiis - (issu de ma collection)

Astronomicon de Marci Manilii (Marcus Manilius) est un poème en latin, premier du genre à traiter d’astronomie, à une époque (10 av. J.-C.) où les romains ne faisaient pas de distinction entre l’astrologie et l’astronomie. Joseph Juste Scaliger (1540-1609), un des plus grand savant du XVIème siècle, fit une traduction de cet ouvrage à partir d’ancien manuscrits. Puis, ce fut Richard Bentley (1662-1742), théologien et critique littéraire anglais qui s’employa à la même tâche. La traduction éditée en 1786 que je présente ici, est une reliure de deux tomes assortis de commentaires effectués par l’astronome et géographe français du XVIIIème siècle, Alexandre Guy Pingré. Ce dernier, qui connait bien le travail de ses prédécesseurs, propose sa propre traduction commentée, considérée aujourd’hui comme une référence.

Comme nous pouvons le constater ici, le texte original figure en vis-à-vis de sa traduction française. De ce fait, j’occulterai la reproduction des passages en latin pour favoriser les parties traduites, situées en vis à vis. Astronomicon  n’est pas, à proprement parler, un texte traitant d’astronomie au sens où nous l’entendons aujourd’hui, d’autant que les scientifiques ou astronomes qui s’y sont penchés, notent que les cinq poèmes ou « chants » qui le constituent, témoignent de connaissances astronomiques limitées. Il est toutefois intéressant de voir comment les romains du premier siècle envisageaient le ciel, quant au rôle qu’ils lui conféraient, relativement au cours de évènements ou des vies humaines. De nombreux astrologues actuels citent Marcus Manilius comme un des premiers auteurs à avoir évoqué les douze secteurs ou maisons, actuellement en usage. On remarquera la gravure du haut de la seconde page, qui représente l’Observatoire Royal de Paris.

Selon Manilius, la Terre est sphérique, tout comme le Soleil ou la Lune, seuls astres alors visibles et dévoilant cette forme. Il donne l’exemple de l’observation de l’étoile Canopus. Au passage on peut noter la seconde remarque pertinente de Pingré (bas de page droite) qui connaissait la précession des équinoxes. Manilius se démarque ici d’auteurs latins de son époque, comme Ovide ou Lucrèce, pour qui la Terre était plate. On peut supposer qu’il avait connaissance du Traité du ciel * d’Aristote, dans lequel ce dernier fait également référence aux astres en ces termes: « Certains astres visibles en Égypte et dans la région de Chypre, ne sont pas visibles dans les régions du Nord et ceux des astres qui sont constamment apparents dans les régions du Nord se couchent dans les régions nommées plus haut. De sorte que non seulement cela montre que la forme de la Terre est circulaire, mais aussi que c’est celle d’une sphère qui n’est pas énorme ».

* Traité du ciel d’Aristote. Livre II chap.14 « Grandeur de la Terre ». (Trad. C. Dalimier et P. Pellegrin. Flammarion 2004).

Manilius justifie ici la raison pour laquelle les constellations ne nous apparaissent qu’à travers quelques points lumineux, suffisant à nous permettre de les identifier. J’ai pu remarquer en observant le ciel à l’œil nu, qu’il était d’autant plus mal aisé d’identifier les constellations que le ciel était noir et qu’apparaissaient, de ce fait, une multitude d’étoiles de plus faible luminosité venant alors « noyer » celles qui marquaient les astérismes. Marcus Manilius évoque également ce phénomène et y trouve une explication originale. Il explique que l’apparition de la Lune, fait « fuir » ce « peuple vil et sans nom » de petites étoiles qui « vident le ciel » pour n’y laisser que les astres les plus lumineux, à l’origine des constellations. Par ailleurs , il est clair que Manilius conçoit l’univers comme une organisation figée au mouvement uniforme, ce qui lui permet de nier toute évolution et d’accréditer la thèse qu’il est l’œuvre de Dieu et non d’un « hasard créateur ».

Marcus Manilius soutient l’idée que les astres possèdent une « énergie » et que les signes qu’ils nous montrent « exercent un pouvoir sur nos destinées ». Dans ce premier livre, il passe en revue les différents astres, comme les planètes ( il cite Saturne, Jupiter, Mars et le Soleil) qui selon lui ont une « marche contraire  au mouvement de l’univers », les comètes, dont il nous dit qu’elles sont issues des « vapeurs » que renferme la Terre et qui, s’émanant vers le ciel, sont desséchées puis embrasées par les rayons du Soleil jusqu’à se consumer avant de disparaitre. Manilius évoque également les éclairs comme étant eux aussi issus des mêmes « vapeurs ». Dans cet extrait il donne quelques exemples de l’incidence que les astres ont sur le déroulement d’évènements terrestres.

Ce livre, ainsi que le troisième, furent nommé «Isagogiques»* par Scaliger, autre traducteur de Manilius. Leur intérêt réside dans le fait que Manilius y affirme que l’étude des propriétés et de l’énergie des astres, qu’il définit comme «Les lois primordiales que les astres imposent à l’homme», reste à la portée de l’intelligence humaine. Ainsi, il justifie le bien fondé des prévisions astrologiques. Il s’en suit un inventaire des différents signes, dans lequel l’interprétation de l’auteur n’a plus rien à voir avec l’astronomie. Par exemple il évoque «les noms sexuels» (masculins et féminins) des signes, constatant que la différence de sexe de ces derniers est alternative dans leur suite. Selon lui les signes à figure humaine «inspireront des mœurs douces et honnêtes» tandis que les signes représentant des animaux «brutes et féroces» imprimeront des caractères analogues.

* l’isagogique est aussi nommée «science de l’introduction», ce terme est utilisé en particulier en ce qui concerne l’étude des origines de la Bible et des altérations que le texte original a pu subir en traversant le temps.

Dans cet autre passage du second livre, Marcus Manilius attribue un dieu à chaque constellation. Il évoque également la « science de l’avenir » en faisant clairement référence à l’importance qu’il y a à interpréter correctement les «ressorts» de la puissance divine. Envisagé sous l’aspect des prédictions relatives à la santé, il indique la correspondance des signes avec différentes parties du corps. Manilius montre également comment les astres sont capables «entre eux» d’avoir des relations qui s’apparentent aux relations humaines et que les caractères de chaque astre peuvent, dans une sorte de complémentarités justifier de la diversité de caractère et de comportement de chaque hommes. Cependant l’auteur établira une revue des caractères prédominants de chaque signe pour conclura en ce termes: «telles sont les propriétés que la nature a donné aux signes, lorsqu’elle les a placés au ciel: ceux qui naissent sous eux ont les mêmes inclinaisons réciproques…».

Ce premier extrait du livre trois souligne le caractère prédestiné de la vie des hommes comme étant lié à cet ordre « constant et immuable » qu’est l’univers. Manilius identifie douze « sorts » comme étant à l’origine de nos destinées. On retrouve ainsi les douze « maisons célestes » si chères aux astrologues. Ici encore l’auteur passe en revue ces douze maisons pour souligner les caractères de chacune, dans ce qu’il convient de considérer comme un ouvrage d’astrologie Et sur lequel je ne m’étendrai pas davantage, si ce n’est qu’en précisant que Manilius prétend savoir faire correspondre
à chacun des signes,  chaque année, mois, jours et  heures correspondant de notre vie. Il évoque même la possibilité, moyennant quelques précautions, de déterminer la durée d’une vie.

Ce livre IV, appelé comme le suivant «Apotélesmatiques*» par Scaliger, développe et approfondit les différentes influences de chacun des astres sur la destinée de l’homme. Situé aux antipodes de l’astronomie, ces textes sont une extraordinaire études des mœurs et des comportements de l’homme au tout début de l’ère chrétienne selon la région du monde connu où il se trouve et le peuple auquel il appartient. Le fatalisme omniprésent semble témoigner d’un avilissement des peuples aux supposés puissances divines et à leurs effet sur chaque passage de nos existences. On ne peut s’empêcher de mettre en relation ces écrits avec certains principes fondateurs de nos religions occidentales.

* Définition de l’encyclopédie: « Les anciens ont donné le nom d'Astrologie apotélesmatique ou sphère barbarique, à cette science pleine de superstition, qui concerne les effets & les influences des astres. »

Pour achever l’évocation sommaire de cet ouvrage qui renferme les connaissances astrologiques des romains du premier siècle,  j’ai extrait ici les trois dernières pages du livre V qui mentionne l’analogie entre les différentes classes d’hommes est les ordres* des étoiles. Ainsi, le premier ordre, celui des étoiles les plus lumineuses, correspond aux sénateurs, personnages les plus puissants après l’Empereur, etc...

Remarque: Au cours de ma lecture de ces textes, j’ai ressenti en permanence un besoin d’établir cette étroite relation entre l’homme et l’Univers, qui m’a fait penser à l’anthropocentrisme naïf des auteurs du XVIIIème et XIXème siècle ( par exemple C. Flammarion dans "La pluralité des Mondes habités" à qui je consacre un article) lorsqu’ils imaginaient les caractères des créatures susceptibles de peupler d’autres astres que la Terre. Prés de deux millénaires après Manilius, l’homme aurait t’il si peu évolué qu’il ne puisse se libérer de sa propre image.

* Manilius fait ici référence aux «ordres » qu’Hipparque avait inventé pour classer les étoiles selon leur luminosité. Avant que la magnitude n’apparaisse, il avait eu l’idée de déterminer la luminosité des étoiles suivant six ordres d’éclat décroissant.

A la suite d’Astronomicon de Manilius, dont les historiens s’accordent pour dire qu’il s’est largement inspiré d’Aratus, Pingré traduit un poème, lui même traduit du grec par Cicéron au 1er siècle av. J.-C.  Aratus, son auteur, également nommé Aratos de soles, était un poète et astronome grec, vivant au  IIIème siècle av. J.-C. qui écrivit ce poème pour le roi de Macédoine Antigone (-229 à -221 av.J.-C.). Aratus adhérait aux idées d’Eudoxe de Cnide, mais il introduisit cependant une part de fable dans sa description de la figure des constellations. Dans Astronomie ancienne, Delambre fera remarquer, je le cite: «On voit qu'en général les constellations sont, dans Aratus, celles que nous avons encore aujourd'hui, sauf quelques modifications assez peu importantes» ce qui donne du crédit non pas à la teneur des propos d’Aratus, mais au caractère proprement historique de leur contenu.

On doit remarquer à quel point le manque d’instrument d’observation pénalisait l’étude du ciel, qui se réduisait, comme on le voit ici à des descriptions détaillées des différents astérismes. On peut considérer que ni les poètes ni les astronomes de ces époques n’avaient de connaissances suffisantes sur les lieux précis des solstices et des équinoxes pour que de telles descriptions puissent servir ultérieurement à une interprétation astronomique du ciel de leur période. Delambre conclue à ce Propos: « Ce poème ne peut donc servir en astronomie, qu'à constater l'identité des noms donnés aux mêmes astres par l'astronomie moderne comme par l'ancienne; et c'est dans cette vue seule, qu’il mérite une place parmi les écrits des astronomes anciens … »

L’ouvrage de Pingré fut salué par l’Académie des Sciences dans cette note signée de Jérôme De la Lande et Pierre Charles Lemonnier, approuvée par son secrétaire, le marquis Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, mieux connu sous le nom de Condorcet.