Alexander Von Humboldt - Cosmos
Alexander Von Humboldt (1769-1859) est né à Berlin dans une famille d’aristocrates. Son père, George Von Humboldt fut officier dans l’armée de Frédéric le Grand, puis chambellan à la cour. Il épouse Marie Élisabeth Von Holwede déjà mère d’un premier fils, Heinrich. Le couple aura trois enfant: une fille, morte pendant son jeune âge et deux garçons, Wilhelm l’ainé et Alexandre. Georges Von Humboldt meurt, alors qu’Alexandre n’a que dix ans.
Heureusement, la fortune familiale permet à Élisabeth d’assurer une excellente éducation à ses enfants, mais son caractère impassible la rendra peu encline à leur témoigner de l’affection, ce qui n’empêchera pas à Alexandre de lui être très attaché. Comme la tradition le veut dans les familles de la haute bourgeoisie berlinoise, les enfants Von Humboldt sont éduqués à domicile par des précepteurs.Très tôt, Alexandre marque une attirance pour les disciplines scientifiques. Les trois frères fréquentent les milieux intellectuels et cosmopolites deIl est proche de Goethe (1749-1832) et de Friedrich Von Schiller (1759-1805), qui lui reproche d’avoir une « grande gueule », de toujours vouloir se mettre en avant et de manquer d’imagination. Pourtant, en 1797, Goethe, dans une lettre qu’il adresse au même Von Schiller, parle d’Alexandre en ces termes: "J’ai passé très agréablement et très utilement mon temps; mes travaux d’histoire naturelle ont été, grâce à sa présence, réveillés de leur sommeil d’hiver... Je peux bien l’appeler unique en son genre, car je n’ai jamais connu personne qui réunisse en lui, avec une activité aussi clairement judicieuse, une telle diversité de l’esprit. Ce qu’il peut encore faire pour la science est incalculable."
Von Humboldt suit des cours de géologie à Fribourg et de botanique à Berlin puis à Göttingen. Il est toujours étudiant lorsqu’il fait la connaissance du naturaliste George Adam Forster (1754-1794) qui a accompagné le capitaine James Cook (1728-1779) dans un de ses voyages autour du monde. Forster entraine Alexandre avec lui, pour un voyage d’étude en Belgique, Hollande, Angleterre et en France. Von Humboldt fait une étape à Paris qui est alors en pleine tourmente révolutionnaire. Il dira de cette période qu’elle fut l’une des plus belle de son existence. Il obtient son diplôme d’ingénieur des mines et publie ses premiers articles, dont l’un traite de l’influence de la lumière sur la croissance des végétaux. En 1792, nommé directeur général des mines de Franconie, il montre ses talents d’ingénieur et de géologue en réorganisant l’exploitation des mines de fer du Fichtelgebirge (Mont Fichtel). A cette occasion, il créé à ses frais la première école de formation pour les mineurs. A la disparition de sa mère, rien ne le retient plus en Allemagne. La fortune qu’elle lui lègue lui permet de réaliser ses projets de voyage et de partir à la découverte du monde.
Lors d’un déplacement à Paris, il avait fait la connaissance du naturaliste Aimé Jacques Alexandre Goujaud dit Bonpland (1773-1858) à qui il propose désormais de financer une expédition. Les deux hommes prévoient de rejoindre l’équipe de scientifiques qui accompagne la campagne d'Égypte du jeune général Bonaparte. Von Humboldt et Bonpland se trouvent alors confrontés à une succession de déconvenues qui les conduisent à décider de modifier de leur destination. Par l’intermédiaire de Luis de Urquijo (1768-1817), premier ministre du roi Charles IV d’Espagne, ils obtiennent un visa royal qui les autorise à se déplacer à leur guise, sur l'ensemble des colonies espagnoles d'Amérique du Sud. En 1799, les deux hommes quittent la Corogne à bord du vaisseau Pizarro. Commence alors une longue exploration qui les conduit de Ténériffe jusqu’au Venezuela où ils séjournent 18 mois. Ils explorent les cours de différents fleuves qui traversent la foret Amazonienne, joignent ensuite La Havane et Cuba, avant de repartir pour Carthagène en Colombie. Ils remontent en canot le fleuve Magdalena qui coule entre les cordillères centrales et orientales des Andes colombiennes. Ils s’installent pendant cinq mois dans les environs de Quito, (actuelle capitale de l’Équateur située à 2.850 m d’altitude) et escaladent le sommet du volcan Chimborazo qui culmine à 6268 mètres. Ils sont stoppés dans leur ascension par une crevasse infranchissable, à seulement quelques centaines de mètres du sommet; ce qui en fera les premiers explorateurs occidentaux à atteindre de telles altitudes. Continuant leur marche, ils longent la chaine montagneuse jusqu’à Calao d’où ils observent le passage de Mercure devant le Soleil, le 9 novembre 1802. (Les observations astronomiques de Von Humboldt sont constituées en majeure partie de relevés de positions astrales autorisant un calculer précis des coordonnées des lieux qu’il explore. Ce travail méticuleux permettra de rectifier bon nombre de cartes géographiques. Sur la page suivante, je montre deux exemples parmi les centaines de mesures astronomiques qu’il a effectuées et consigné dans ses notes).
En 1803 Humboldt et Bonpland, gagnent Acapulco en bateau puis rejoignent Mexico. Les deux explorateurs visitent ensuite la province de Michoacán qui borde la côte Pacifique, puis escaladent le Naupa-Tecutépetl, (cofre de Perote), piton rocheux volcanique, à 4.282 mètres d’altitude. Ils parcourent la zone de Pachuca, se rendent aux mines d’argent, aux cascades de prismes basaltiques de San Miguel Regla (ci-dessus à gauche), puis à la forêt de Xalapa (Jalapa), riche en liquidambars et fougères arborescentes. Ils regagnent enfin la Havane puis font une escale à Philadelphie, avant de traverser l’Atlantique jusqu’à Bordeaux, où ils accostent le 3 aout de 1804. Von Humboldt est accueilli en héro, l’expédition qu’il vient de conduire ramène plus de 6.000 échantillons botaniques et une quantité impressionnante de notes scientifiques. Cette expédition donne lieu à une publication monumentale qui embrasse de multiples domaines comme la géologie, la botanique, la géographie, la physique, la zoologie, l’anatomie comparée, l’anthropologie, mais également les mesures topographiques, météorologiques ainsi que les relevés de magnétisme terrestre ou les observations astronomiques. Des savants de renom comme Laplace, Gay-Lussac, Cuvier, Delambre, Berthollet, Lamarck collaborent alors avec Von Humboldt qui séjourne une vingtaine d’années à Paris. En 1810, il est élu correspondant étranger à l’Académie des Sciences et consacre l’essentiel de son temps à la préparation et à la surveillance de ses publications. Il fréquente les cercles intellectuels parisiens où il jouit d’une grande notoriété. Il se lie d’une amitié indéfectible avec François Arago avec qui il partage la même passion pour les sciences. Il visite l’Italie et revient en Angleterre, avant de regagner définitivement Berlin en 1827. Ses voyages ayant eu raison de sa fortune, il se met au service du roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III et donne, à l’université de Berlin, des séries de conférences publiques. Bien qu’il ne soit pas astronome, il écrit un volume de plus de 600 pages dans lequel il traite, entre autre, de cette matière: « Recueil d’observations astronomiques, d’opérations trigonométriques et de mesures barométriques ».
Von Humboldt conduira une nouvelle expédition jusqu’aux confins de la Sibérie avant de se consacrer intégralement, à partir de 1834, à la rédaction de Cosmos, essai d’une description physique du Monde, dont je présenterai quelques extraits dans les pages qui suivent. Von Humboldt se propose, sans équations ou figures géométriques, de dépeindre l’univers comme un ensemble de composantes interdépendantes. Il y dépasse la démarche encyclopédiste qui l’a guidé durant ses voyages, pour nous proposer une vision plus distanciée. Von Humboldt associe en effet les multiples éléments dont il traite, en un « Tout » dont la cohésion se fonde autant sur la pensée, a travers une analyse de son rapport à la science, que sur les descriptions physiques. A propos de Cosmos, il écrit: « J’offre à mes compatriotes, au déclin de ma vie, un ouvrage dont les premiers aperçus ont occupé mon esprit depuis un demi siècle... On a souvent fait la remarque, peu consolante en apparence, que tout ce qui n’a pas ses racines dans les profondeurs de la pensée, du sentiment et de l’imagination créatrice, que tout ce qui dépend du progrès de l’expérience, des révolutions qui font subir aux théories physiques la perfection croissante des instruments, et la sphère sans cesse agrandie de l’observation, ne tarde pas à vieillir. Les ouvrages sur les sciences de la nature portent ainsi en eux-mêmes un germe de destruction, de telle sorte qu’en moins d’un quart de siècle, par la marche rapide des découvertes, ils sont condamnés à l’oubli, illisibles pour quiconque est à la hauteur du présent... Un essai de réunir ce qui, à une époque donnée, a été dans les espaces célestes, à la surface du globe, et à la faible distance où il nous est permis de lire dans ses profondeurs, pourrait si je ne me trompe, quels que soient les progrès futurs de la science, offrir encore quelque intérêt, s’il parvenait à retracer avec vivacité une partie au moins d ce que l’esprit de l’homme aperçoit en général de constant, d’éternel, parmi les apparentes fluctuations des phénomènes de l’univers."
Cosmos est à la fois une synthèse et un aboutissement, ainsi que l’auteur en témoigne dans sa préface où on peut lire: « J’offre à mes compatriotes, au déclin de ma vie, un ouvrage dont les premiers aperçus ont occupé mon esprit depuis un demi-siècle. Souvent je l’ai abandonné, doutant de la possibilité de réaliser une entreprise trop téméraire: toujours et imprudemment peut-être, j’y suis revenu, et j’ai persisté dans mon premier dessein… La composition d’un tel ouvrage, s’il aspire à réunir au mérite du fond scientifique celui de la forme littéraire, présente de grandes difficultés. Il s’agit de porter l’ordre et la lumière dans l’immense richesse des matériaux qui s’offrent à la pensée, sans ôter au tableau de la nature le souffle qui, le vivifie… » Tout au long de son ouvrage, Von Humboldt s’efforce donc de concilier son approche scientifique et la « peinture animée et vivante des scènes imposantes de la création », qu’il a eu l’occasion d’apprécier au cours de ses voyages.
« Par ses organes l’homme se met en rapport avec la nature » écrit Von Humboldt, à propos de la perception visuelle qui nous révèle les différents phénomènes lumineux venus du plus profond de l’Univers. Dans l’extrait ci-dessus, on notera que l’auteur introduit une causalité en nommant « acte », le passage du néant à l’être. Il y regrette sans détour que les « savants » se satisfassent trop souvent de nombres ou de rapports numériques, qu’il nomme les « derniers hiéroglyphes » et qui ne font que rassurer leurs utilisateurs quant aux dimensions visibles du ciel. Il oppose les limites qu’une telle approche impose au « poète de la nature » en restreignant son champ d’investigation, alors que les anciens philosophes pouvaient évoluer à leur guise, exempts de ces considérations chiffrées. On constate ici sa convergence avec la pensée de Francis Bacon, sur lequel je reviendrai dans le dernier tome. Von Humboldt prend soin parallèlement d’avertir contre les dérives d’une imagination trop prolixe qui introduirait une part de surnaturel ou de merveilleux qui, inévitablement, empièterait sur la réalité.
Tout comme je l’ai mentionné à propos de John Herschel, il apparait que Von Humboldt se démarque lui aussi par sa manière singulière d’aborder le domaine qu’il traite. Il dépasse le compte-rendu descriptif dans un effort dont on sait qu’il a pour objectif d’intégrer l’approche scientifique en tant qu’une composante parmi d’autres, au sein d’une démarche plus globale qui se propose de décrire le monde. A la suite de cet extrait, Von Humboldt tirera d’ailleurs une conclusion dont on ne peut négliger la portée philosophique: « Il semble résulter que le monde des formations célestes doit être accepté comme un fait, comme une donnée naturelle qui se dérobe aux spéculations de l’esprit par l’absence de tout enchainement visible de cause à effet… Point de loi générale qu’on puisse établir, sous ces divers rapports dans les cieux…. Ce sont autant de faits naturels produits par le conflit de forces multiples qui ont agi autrefois dans des conditions tout à fait inconnues… En fait de cosmogonie, l’homme attribue au jeu du hasard ce qu’il ne peut expliquer par l’action génératrice des forces qui lui sont familières. »
* L’immortel auteur de la « Mécanique céleste » dont il est question ici n’est autre que Pierre Simon de Laplace.
Dans ce passage, Von Humboldt explique comment, lorsqu’on observe certains objets célestes, on aperçoit en réalité un passé plus ou moins lointain. Ainsi ajoute t’il au spectacle du ciel, sa dimension temporelle. Cet extrait est le dernier passage du premier tome où il est question d’astronomie. L’auteur consacrera le reste de son exposé à une description générale de la Terre. Sa conclusion pose un constat et fait penser à un défi : « Depuis les nébuleuses lointaines, depuis les étoiles doubles circulant dans les cieux, nous sommes descendus jusqu’aux corps organisés les plus petits du règne animal… jusqu’aux germes les plus délicats de ces plantes qui tapissent la roche nue… Des lois connus partiellement nous ont servi à classer tous ces phénomènes; d’autres lois, d’une nature plus mystérieuse, exercent leur empire dans les régions les plus élevées du monde organique, dans les sphères de l’espèce humaine avec ses conformations diverses, avec l’énergie créatrice de l’esprit dont elle est douée… Un tableau physique de la nature s’arrête à la limite où commence la sphère de l’intelligence, où le regard plonge dans un monde différent. Cette limite, il la marque et ne la franchit point. »
Je fais une impasse sur le second volume de Cosmos, dans la mesure où l’auteur y traite essentiellement des aspects littéraires ou historiques, dans le but d’y montrer l’impact de l’approche scientifique sur la perception sensitive de l’homme. J’aurais cependant l’occasion d’y revenir dans la dernière partie de mon ouvrage qui se proposera, entre autre, d’aborder cette problématique. Je produis donc cet extrait du troisième volume de Cosmos qui commence par un exposé sur l’existence hypothétique de ce que l’on nommait « éther » qui, depuis l’antiquité, était sensé remplir matériellement l’Univers tout entier, un peu à la manière d’un fluide. Descartes s’était appuyé sur les propriétés qu’il prêtait à cette « matière subtile », pour étayer sa théorie des tourbillons. La question de l’éther ne sera tranchée qu’une soixantaine d’années après la parution de Cosmos, lorsque Albert Einstein publiera sa théorie de la relativité générale dans laquelle il montre la déformation de la structure de l’espace, suivant une géométrie « riemannienne » qui rend superflu le recours au dit éther.
Von Humboldt souligne ici l’importance du développement de l’instrumentation et, en particulier, de celui des appareils de mesures associés aux lunettes d’observation. Ces instruments autorisent les mesures angulaires et de position mais permettent également l’intégration de mesure physique plus élaborées, comme c’est le cas pour l’analyse des spectres lumineux en provenance des divers corps célestes. Indépendamment de ces considérations techniques, Von Humboldt reviendra, plus loin dans son texte, sur l’organe de la vision. Il écrit: « Quelles que soient les différences que présente la force de la vue parmi les hommes, il y a pourtant là une certaine moyenne d’aptitude organique, moyenne qui est restée sensiblement la même dans la race humaine, depuis les anciens temps de la Grèce et de Rome. Les étoiles Pléiades témoignent de cette invariabilité… »
Von Humboldt reproduit un tableau établi par John Herschel, qui fut le premier à rédiger un répertoire de mesures photométriques faisant apparaitre les étoiles suivant leur rang de grandeur. « Grandeur » que l’on pourrait comparer à notre actuelle magnitude. En 1836, à l’occasion de son voyage en Afrique du sud, Herschel avait en effet mis au point un appareil qu’il nomma « astromètre » et qui lui permettait de comparer, à l’œil, grâce à une échelle intégrée, l’éclat d’une étoile avec une image télescopique réduite de la Lune. On notera également dans ce passage l’évocation de l’astronome Johann Gottfried Galle, ami de l’auteur, qui fut le premier à observer Neptune, en suivant les indications de Le Verrier.
Il est ici question d’étoiles périodiquement variables. Au début de ce chapitre, Von Humboldt évoque la première étoile identifiée comme telle, Mira dans la Baleine, figurant à la ligne N°1 du tableau ci-dessus, établi par Frederik Argelander (1799-1875) qui fut le premier astronome à étudier en détail ce type d’étoiles. C’est un pasteur protestant de Frise orientale (Basse saxe) nommé Davis Fabricius (1564-1617) qui avait observé cette étoile pensant dans un premier temps qu’il s’agissait d’une novæ. Comme on ne connaissait pas encore à son époque la variabilité récurrente des étoiles, Fabricius dût attendre 1609 pour voir de nouveau briller cet astre et en conclure qu’il avait à faire à un nouveau type d’objet céleste. On notera que le fils ainé de Fabricius, Johannes (1587-1615) ramena des Pays-Bas où il faisait ses études, une lunette qui lui permit avec son père de découvrir l’existence de taches à la surface du Soleil dès1611 avant même que Galilée n’en fasse état dans ses « lettres » en 1613.
On note ici une référence à la correspondance entre l’auteur et l’astronome et mathématicien Friedrich Wilhelm Bessel (1784-1846). Ce dernier qui fut un élève d’Heinrich Olbers établit avec précision, dès 1838, une mesure de parallaxe pour calculer l’éloignement de l’étoile 61 du Cygne. Il est également le concepteur d’un « système unifié » de calcul de position des étoiles encore utilisé aujourd’hui. Bessel soutient dans l’extrait ci-dessus qu’il pourrait exister des étoiles n’émettant aucune lumière, en raison d’une gravité empêchant cette dernière de s’en échapper. Il fut suivi par certains de ses contemporains qui envisageaient sérieusement l’existence de ce que nous nommons aujourd’hui « trou noir ». Pierre Laplace avait bien écrit dès 1796 dans Exposition du Système du Monde: « Un astre lumineux, de la même densité que la Terre, et dont le diamètre serait 250 fois plus grand que le Soleil, ne permettrait, en vertu de son attraction, à aucun de ses rayons de parvenir jusqu'à nous. Il est dès lors possible que les plus grands corps lumineux de l'univers puissent, par cette cause, être invisibles.» mais personne alors n’avait pris au sérieux cette affirmation. Ce n’est que cinquante ans plus tard, qu’Albert Einstein apportera la preuve de l’existence de ces entités.
L’auteur revient sur la nature des nébuleuses et fait encore référence à William Herschel. Il évoque deux conceptions distinctes qui divisaient les scientifiques de son époque concernant l’origine de ces objets. Selon certains il ne s’agissait en effet que de groupement stellaire très éloignes, alors que d’autres y voyaient des nuages de matière qui seraient de surcroit le siège de la naissance des étoiles. Quelques pages plus loin, Von Humboldt notera que plus le pouvoir de résolution des télescopes s’accroit, plus il fait apparaitre de nouvelles nébuleuses, semblant ainsi repousser sans fin les dimensions de l’Univers. Il en déduit que ce dernier ne présente aucune limite et que nous devons résider sur une des multiples îles dont il est parsemé. Il décrit ces îles, ainsi nommées par Emmanuel Kant comme: « tellement distantes les unes des autres qu’aucun des télescopes qui restent à découvrir ne puisse atteindre la rive opposée... ». On verra réapparaitre cette notion d’Univers îles dans les années 1920, lors de la controverse opposant Harlow Shapley à Doust Curtis.
Au-delà de la distribution des nébuleuses dans l’espace sidéral, sur laquelle beaucoup reste encore a étudier, l’auteur décrit ici les différentes aspects que peuvent présenter ces formations. On notera que les nébuleuses elliptique dont il est ici question ne sont autre que nos actuelles galaxies, je rappelle à ce propos qu’en 1850, la distinction entre les galaxies et les nébuleuses gazeuses n’était toujours pas établie. Ce n’est que vers les années 1920 qu’Edwin Hubble étudiera plus en détail la morphologie des galaxies et les définira comme des systèmes stellaires. Von Humboldt évoque également l’existence de nébuleuse « perforée » citant en l’occurrence la nébuleuse planétaire de la Lyre. Cette distinction s’estompera par la suite, dans la mesure ou les nébuleuse perforées et planétaires ne sont qu’un seul et même type d’objet.
En abordant le Soleil, la qualité de naturaliste de Von Humboldt le conduit à nous rappeler que sans la présence de cette source de lumière, la vie sur notre planète ne serait pas possible, mais également que son attraction est la cause de phénomènes qui se déroulent à la surface de notre globe. Plus loin dans son exposé, il évoque l’hypothèse de Cassini qui imaginait le Soleil comme un corps obscur, mis épisodiquement en évidence par les taches sombres qu’on peut observer à sa surface, qui seraient des sortes de « déchirures » dans son atmosphère lumineuse, la photosphère. Il est également question d’une autre couche englobant cette photosphère qui laisserait parfois apparaitre des protubérances dont on s’interrogeait sur la nature, supposant tour à tour qu’il put s’agir de « montagnes rougeâtres et anguleuses », de « masses de glace colorée en rouge » ou de « langues de flammes immobiles ». Comme j’ai pu le constater, toutes les conjectures sur lesquelles je ne m’étendrais pas ici étaient alors permises. J’aurais l’occasion de revenir plus en détail sur l’étude du Soleil et des étoiles en évoquant un ouvrage faisant référence, celui du père Angelo Secchi.
Les planètes donnent à l’auteur l’occasion d’effectuer une chronologie de leur découverte, ainsi que des descriptions physiques détaillées. Les chiffres qu’il produit ne présentent pas un intérêt majeur, si ce n’est qu’on peut noter qu’à cette occasion il mentionne les hypothèses élaborées par Kepler qui, fortement inspiré par les notions d’harmonies développées dans l’antiquité par Pythagore s’était lancé dans la construction de son propre système, associant musique et géométrie. Il tentera même d’étendre aux « étoiles fixes » sa comparaison des intervalles séparant chacune des planètes de notre système. Von Humboldt décrit en ces termes l’emportement de Kepler: « Comme entrainé dans une sorte d’enthousiasme poétique, il fait jouer Vénus avec la Terre en majeur à l’aphélie, en mineur au périhélie; il dit que les tons les plus élevés de Jupiter et de Vénus doivent, en s’unissant, former un accord mineur… ». Fort heureusement pour l’astronomie, Kepler ne s’obstinera pas dans cette voie.