Le règne de l'obscurantisme
Les heures sombres:
En effectuant des recherches bibliographiques sur les débuts de l’ère qui vit naitre la religion chrétienne, mon désir d’intégrer cette dernière pour libérer mon jugement de son emprise eut un effet inverse. Effectivement, comment atténuer son influence encore omniprésente sur notre culture? Comment abstraire ce qui conditionne une partie de nous et de la manière dont nous pensons aujourd’hui? Je me résous donc à mieux la connaître afin de m’imposer le recul nécessaire, pour discerner davantage les éléments de l’histoire qu’elle pourrait impacter.
A ce sujet, je mentionne ci-dessous des extraits d’un ouvrage qui m’a paru ne pas manquer de pertinence : "Histoire de l’astronomie dans ses rapports avec le religion" de Frédéric de Rougemont (1808-1876) géographe, historien, philosophe et théologien suisse.
« Le Messie vient juste par sa mort expiatoire de sauver les hommes de l’éternelle condamnation à laquelle les vouaient leurs péchés. Dans leur angoisse et leur ignorance, il n’eurent d’yeux que pour la croix où mourait leur libérateur. Les merveilles des cieux et de la Terre n’existèrent alors plus pour eux. La croix du Christ devint la première et habituelle pensée des fidèles, qui, pour un temps, perdirent complètement de vue la nature ». Ce "nouveau monde" se livre à l’homme, bien plus chargé de promesses, que le souffle du vent ou le pâle scintillement des lointaines étoiles. Les dieux multiples et familiers avec lesquels il entretenait des relations quasi domestiques, ne tiennent plus leurs promesses et se perdent peu à peu dans une indifférence grandissante. « L’âme sauvée recevait de Dieu et sentait naître en elle, un amour divin, une foi, une espérance, un zèle, une sainteté dont elle ne s’était fait jusqu’alors aucune idée ». Notre religion monothéiste, vécut trop longtemps centrée sur elle-même, quand bien même, si ce ne fut son souhait initial, qu’elle en devint totalement hermétique au monde physique. « Elle ne sortit du domaine spirituel, que lorsque des preuves évidentes et accessibles à chacun, la contraignirent à déclarer vrai en astronomie, ce qu’elle n’aurait jamais pu apprendre de la révélation ».
Pendant les premiers siècles de notre ère, les chrétiens, persécutés par le monde païen ne relâchent aucunement leurs efforts pour convertir les hommes. Ils se concentrent sur la contemplation du dieu unique. Sans faillir, ils gagnent du terrain jusqu’à réduire l’idolâtrie à néant. L’église peut désormais librement se tourner vers la beauté de la création: « œuvre de Dieu ». Elle le fait un temps, s’évertue à transcender la nature et, à travers elle, son créateur; mais bien vite elle comprend les risques et les limites de sa démarche. Elle recentre alors fermement l’attention sur le seul créateur. Certains, comme le grec Saint Basile, dans son Hexameron, proposent « D’élever à Dieu les ignorants, par l’étude de la Nature ». L’église occidentale et latine ne l’entend pas ainsi lorsqu’elle adopte pour un temps l’idée d’une Terre plate. Bien que des relectures historiques actuelles caractérisent ces faits d'anecdotiques, il n'en demeure pas moins vrai qu'un cerain Cosmas Indicopleustes, simple marchand converti et devenu moine, propose une cosmologie dans laquelle la Terre est un parallélogramme bordé de murs perpendiculaires avec à l’est, au delà des océans, le paradis. Cette conception fut adoptée jusqu’à ce qu’une Terre et une anti-Terre, toutes aussi obscures l’une que l’autre, vinrent provisoirement la supplanter. Ainsi, pendant plus de six siècles, une bonne part de l’astronomie "scientifique" se vit fortement altérée dans une chrétienté qui rejetait alors tout contradicteur.
Perte de la mémoire en occident:
Durant les débuts de l’ère chrétienne, les Romains, animés par leur esprit conquérant, ne marquent pas les annales de l’astronomie de leur sceau. Il ne se préoccupent même que très peu de cette discipline. Alors que le savoir des Grecs est encore accessible, l’esthétique ou la poésie leur semblent plus essentielles ou, en tout cas, plus propices à éveiller l’esprit latin. L’astrologie très en vogue, y compris dans les hautes sphères de l’empire, utilise superficiellement des notions d’astronomie. Parfois même, elle en altère le contenu, au point d’ajouter à la confusion. Pourtant, à cette époque, quelques philosophes naturalistes, comme Lucrèce (-98 à 54), Virgile (-70 à 19), Ovide (-43 à 17), Sénèque (-4 à 65) ou Pline l’ancien (23-79) en font mention. La manière dont ils évoquent l’astronomie, laisse entendre qu’ils en ont encore une certaine connaissance, mais rien n’indique qu’ils la considèrent comme une science majeure. On pourra noter que Marcus Manilius, aujourd’hui oublié, compose un poème en cinq tomes, Astronomicon* reprenant un corps de connaissances dans lequel il commente cette discipline, on peut le déplorer, selon le regard de l’astrologue. Un de ses traducteurs, Alexandre-Guy Pingré (1711-1796), astronome et géographe commente: « Le cinquième livre contient une énumération des constellations extra-zodiacales, et des degrés des douze signes avec lesquels elles se lèvent… Leur lever inspire des inclinations, des mœurs, des caractères; porte à s’adonner à des arts, des professions, des métiers, dont les descriptions, vraiment poétiques, occupent presque tout le livre... Le livre est terminé par la distinction connue des étoiles en six différentes grandeurs… Si l’on considère le sujet que Manilius avait à traiter, et qu’on fasse attention qu’il était le premier des Latins qui entreprît de soumettre cette matière aux lois de la poésie, on ne pourra se dispenser d’admirer la variété, la profondeur de génie, la clarté même avec laquelle il a manié ce sujet aussi nouveau que difficile. On dira peut-être que, pour matière de ses chants, il pouvait choisir un objet plus facile et plus intéressant. Nous répondrons d’abord, d’après lui, que les autres sujets avaient déjà été traités, nous ajouterons que l’astrologie était alors autant estimée, qu’elle est méprisée de nos jours ». Sénèque, ancien précepteur de Néron, s’interroge à propos des planètes: « Eh quoi ! il n’y en aurait que cinq auxquelles il fut permis de se mouvoir, tandis que les autres se tiendraient à la même place comme un peuple fixe et immobile »… ou sur le mouvement de la Terre: « C’est un problème digne d’exercer l’esprit humain que de s’enquérir de l’état des choses où nous sommes, que de savoir si la demeure qui nous est échue est inerte, ou si elle se meut très rapidement… » Il poursuit, montrant qu’il n’est point dupe: « Notre esprit a si peu de lumière sur les ouvrages de la nature, qu’il en est à se chercher lui-même… » et rajoute, désabusé, quand à la postérité: « Il n’y a pas 1500 ans que la Grèce s’est occupée d’astronomie. Il existe encore aujourd’hui beaucoup de nations qui ne connaissent le ciel que de vue, qui ne savent pas pourquoi la Lune s’éclipse… Il viendra un jour où, à force de patientes recherches, on tirera au clair ce qui nous est caché aujourd’hui… Que peut-on espérer quand on a reçu en partage une vie si courte fort inégalement répartie entre des préoccupations frivoles et les études sérieuses?… Un temps viendra où nos descendants seront surpris que nous ayons ignorés des choses si patentes ».
Les savoirs ainsi se délitent. La partie scientifique de l’œuvre grecque devient d’abord poétique sous la plume latine, jusqu’à totalement s’effacer. A mesure qu’on s’éloigne de l’Antiquité, on ne retrouve plus que les rares œuvres de compilateurs: Martianus Capella, astronome du Vème siècle dont le «Satiricon». tourne le dos à l’Almageste pour se rapprocher d’Héraclide sur Pont: « Vénus et Mercure, bien qu'ils aient des levers et des couchers chaque jour, n'entourent cependant pas la Terre de leurs cercles, mais ils tournent autour du Soleil en faisant un circuit plus étendu, et placent enfin le centre de leurs cercles dans le Soleil...».
Boèce (470-525), réunit les connaissances scientifiques sous le terme «quadrivium», qui intègre arithmétique, géométrie, musique, astronomie et qui doit faire suite à l’apprentissage du «trivium», grammaire, dialectique et rhétorique. Isidore de Séville (env.565-636) fait encore la distinction entre astronomie et astrologie. Bède «le vénérable» (675-735), moine anglais, s’aperçoit encore que la période dionysienne servant à établir le calendrier chrétien est en avance de deux années sur la "vraie date" de naissance de Jésus-Christ. Enfin, Jean Scot Érigène (env. 810-876) moine irlandais, est un des seul de son siècle à se rattacher à la tradition alexandrine et à envisager un système héliocentrique. Après lui, il ne se passe quasiment plus rien de notable en occident dans le domaine de l’astronomie. Heureusement cette discipline trouvera refuge auprès des Mahométans, chez les princes arabes de la Perse et de l’Espagne andalouse.
* Dans le menu "Livres ancien d'astronomie" de ce site, je présente des extraits de l’édition originale de 1786 de l’ Astronomicon de Manilius, traduit par Alexandre Guy Pingré .