Ptolémée (90-168 env.)
La dynastie des pharaons Ptolémée (homonymes) s’est éteinte depuis trente deux ans. l’Empereur Trajan règne sur l’Égypte devenue province romaine, lorsque né à Thébaïde Claude Ptolémée, astronome mathématicien et géographe grec qui vécut à Alexandrie. Nous ne savons quasiment rien de sa vie bien qu’il n’en soit heureusement pas de même pour ses écrits. L’astronome Jean-Dominique Cassini, déclare à propos de "l’Almageste", œuvre majeure de Ptolémée: «Sous le règne de ce sage empereur*, l’astronomie prit une nouvelle face, Ptolémée en rassembla les principes et les démonstrations dans un ouvrage excellent auquel il donna le titre de composition mathématique ». Astronome du premier millénaire, il compile six cent ans de savoir accumulé par les Grecs, dans le « Livre très-grand », au sein duquel il décrit le système qui porte son nom et qui restera en usage pendant plus d’un millénaire. Seulement, comme je l’évoque dans la page précédente, Ptolémée victime des dogmes y sacrifie parfois la réalité au profit des apparences. Ainsi commet-il des erreurs en niant par exemple, le double mouvement de translation et de rotation de la Terre, en positionnant cette dernière au centre du monde, en occultant, par commodité, les inégalités de la course du Soleil, ou en persistant sur la circularité des mouvements des astres…
Nos actuelles connaissances nous poussent à garder un regard critique sur son œuvre, mais il serait injuste de la réduire à ses seules inexactitudes, sans souligner sa contribution indiscutable au progrès de l’astronomie, en particulier concernant l’étude de la Lune et l’établissement de tables de données sur les différentes planètes. Sur le plan anecdotique, on relèvera que lorsqu’on parle aujourd’hui de la course, du lever ou du coucher du Soleil, au lieu d’attribuer ces mouvements à la Terre, on ne fait que reprendre la représentation Ptolémaïque qui traverse le temps pour s’inscrire dans notre langage usuel. Trois cents ans après Aristarque, déjà oublié, Ptolémée l’astronome triomphe.
Ptolémée, le géographe nous lègue aussi une œuvre importante, en particulier une cartographie de la Terre utilisée par les navigateurs jusqu’au XVème siècle (en bas de page on peut voir une carte issue de la Bibliothèque Apostolique du Vatican. Donnus Nicolaus Germanus.1482, dessinée d’après la cartographie de Ptolémée). Il rédige un traité dans lequel il dresse un inventaire de plus de deux mille cinq cents lieux de la Terre et indique leurs coordonnées ainsi que certaines de leurs configurations physiques (par exemple il distingue pour l’Europe cent dix huit villes et trente quatre régions ). Ptolémée a également écrit Apparition des fixes et recueil des prédictions, dans lequel il note les levers et couchers d’étoiles qui servaient d’autant de repères pour l’annonce des saisons ou les « pronostics climatiques » qui ne sont autres que les ancêtres de nos actuelles prévisions météorologique. Ptolémée est aussi l’auteur du Tétrabiblos, livre d’astrologie comportant toutes les indications astronomiques nécessaires, quand à la position des sept planètes par rapport aux signes zodiacaux. Ptolémée n’est cependant pas crédule, il déclare à propos de l’astrologie: « Il ne faut pas croire que tout arrive aux hommes par une cause céleste... Les choses inférieures changent par un destin naturel et muable, bien qu'elles prennent du ciel même les premières causes de leurs changements, lesquels leur arrivent après par quelque conséquence ».
Ptolémée, ne donne pas beaucoup d’indices permettant de connaitre davantage d’éléments de sa biographie. Retrouver les treize livres de l’Almageste dans leur langue d’origine ou correctement traduits, tiendra tout au long de l’histoire du véritable jeu de piste. En effet, son manuscrit autographe ne nous est pas parvenu, car il est probable qu’il ait été détruit dans l’incendie qui ravagea la bibliothèque d’Alexandrie au XIIème siècle, mais de nombreux savants et disciples grecs avaient pris soin de le copier dans sa langue d’origine pour pouvoir le diffuser en Grèce. Les premières versions de l’Almageste réapparaissent donc à travers ses traductions en arabe au IXème siècle, en particulier celle d’Al Haitham (Alhazen), puis dans une version espagnole du XIIème siècle qui elle-même sera traduite ultérieurement en latin. On dispose toutefois des écrits de Théon d’Alexandrie, mathématicien et dernier directeur de la grande bibliothèque qui, au IVème siècle, entreprend de faire une relecture critique de l’almageste. Au XIème siècle, Frédéric II, empereur dont les connaissances étaient très étendues et qui parlait couramment six langues, commande une traduction latine à partir de l’arabe à Jacob Anatoli. Plus tard, Gérard de Crémone, le célèbre écrivain et traducteur italien du XIIIème siècle, se rend à Tolède pour apprendre l’arabe et retranscrire en latin les manuscrits disponibles; il en traduit plus de soixante, parmi lesquels figure l’Almageste. Malheureusement, il ne dispose pas de connaissances suffisantes en astronomie pour traduire correctement les termes techniques ainsi que certains noms d’astronomes pour lesquels il se contentera de faire une transcription. Pour ne citer qu’un exemple: Hipparque, que nous venons d’évoquer, deviendra Abrachir. Sa traduction sera contestée par la suite en raison du nombre important d’inexactitudes ou d’approximations qu’elle comporte. En 1515, on trouve à Venise la première version imprimée de l’Almageste. Il s’agit d’une nouvelle traduction de l’arabe dont le traducteur nous est inconnu. Il existait encore un exemplaire de cet ouvrage au XVIIIème siècle, à la bibliothèque de l’Académie Royale des Sciences de Paris.
Au XVème siècle, la seule version grecque connue de l’ouvrage était conservée en Suisse, à Bâle. A cette même époque, missionnés par le cardinal Bessarion, Purbach et Régiomontanus son élève, vont entreprendre une nouvelle traduction mais n’étant instruit ni à l’arabe ni au grec, il est fort probable qu’ils ne firent qu’une réécriture de celle de Crémone. Enfin, c’est en 1813 que l’abbé Halma entreprendra d’étudier et de traduire pour le première fois en français des manuscrits grecs de l’Almageste, conservés eux aussi à la Bibliothèque Royale de Paris.
Son œuvre volumineuse, dont je me suis procuré une réédition complète en deux tomes (traduits du grec en français par M. Halma) fait encore référence aujourd’hui. Au total elle se compose de cinq ouvrages, si on inclut les trois livres dédiés à l’étude des commentaires de Théon d’Alexandrie sur l’Almageste. Dans son introduction, l’abbé Halma met en garde le lecteur, sur l’interprétation erronée des données astronomiques qui, selon les traductions antérieures que l’on consulte, ont parfois affirmé une chose et son contraire en raison de confusions sur les dates et lieux des divers évènements traités. A titre d’exemple je reprends un de ses propos au sujet de deux traductions dont il a connaissance: « On voit que ces deux versions disent précisément le contraire l’une de l’autre » car, selon la première: « il n’est pas étonnant qu’Archimède et Ptolémée se soient trompés d’un quart de jour sur le longueur de l’année » et, selon la seconde :« Ptolémée espère que ni lui ni Archimède ne se sont trompés d’un quart de jour ». Toute la difficulté de s’appuyer sur ces vieux textes réside en fait dans l’interprétation que l’on en fait. Ainsi, bon nombre d’astronomes, afin d’exploiter les relevés de Ptolémée (ce qu’il feront couramment, au moins pour amorcer une partie de leurs travaux) devront au préalable effectuer des recalages et des vérifications. Jérôme de Lalande, dans son premier mémoire sur Mercure, mentionne le fait que presque tous les astronomes ont « trouvé Ptolémée en défaut, chacun dans la partie qu’il a approfondie », il ajoute :« N’est ce pas un motif suffisant pour écarter les observations de cet auteur (Ptolémée), lorsque nous nous trouvons dans l’impossibilité de les concilier avec les anciennes qu’il rapporte ? ». Mais bien vite il apparaitra, rajoute Halma que l’Almageste renferme des données fort utiles. Effectivement, malgré les doutes, on constate qu’après avoir vérifié quelques données (très techniques) sur les mouvements de Mercure ou sur des relevés relatifs aux équinoxes, Halma ne peut que souligner toute l’importance de l’Almageste : « Voilà donc les observations de Ptolémée, qui servent à corriger les résultats de celles des astronomes modernes; et non seulement elles les corrigent, mais par leur justesse, elles servent encore à les vérifier ».
Il ne sera pas contredit par Lalande qui témoigne: « Nous sommes obligés d’emprunter du grand ouvrage de Ptolémée, toutes les observations anciennes sur lesquelles est fondée la recherche des mouvements célestes ». L’historien et astronome Jean Sylvain Bailly s’exprime lui aussi: « Cet ouvrage fait la communication entre l’astronomie ancienne et moderne. Des observations importantes par leur antiquité y sont conservées. Sans elles, nous ne connaitrions pas les mouvements moyens des planètes aussi exactement que les connaissaient Hipparque et Ptolémée. Ce livre d’ailleurs contient les méthodes ou les germes des méthodes qui sont encore pratiquées aujourd’hui ». La grande erreur de Ptolémée, l’adoption du géocentrisme, resituée dans son contexte sera même « comprise ». Qui mieux qu’un confrère moderne de Ptolémée, le mathématicien Montucla, pouvait l’attester en écrivant dans son histoire des mathématiques: « L’impossibilité qu’il croyait voir, à concilier le mouvement de la Terre avec l’immobilité des pôles, lui fait rejeter le système contraire qui était celui d’Aristarque. Il le connaissait bien cependant, comme on le voit par le raisonnement pour le réfuter. Il crut qu’il était plus simple de faire tourner le ciel et les astres autour de la Terre, que de lancer le Terre dans l’espace autour du Soleil. »…« à ne consulter que les apparences, la Terre occupe le centre du monde et tous les mouvements qui s’opèrent dans le ciel, se font autour de nous.» Il poursuit:
« Le préjugé en faveur de l’immobilité de la Terre, était trop enraciné, trop conforme au témoignage des sens pour céder facilement la place à une vérité que le génie devinait plutôt qu’il ne pouvait le prouver ou la faire comprendre à la multitude. Ptolémée embrassa l’opinion vulgaire. »… « l’Antiquité manqua toujours des secours** et des faits nombreux qui ont été si utiles aux modernes pour établir le vrai système de l’Univers. Ces motifs excuseront facilement Ptolémée d’être resté si longtemps dans une erreur dont il était difficile de se désabuser ». Lalande ne mâchera pas ses mots en ajoutant, au sujet des « orbes » (sphères) que les astronomes du moyen âge utilisaient en les attribuant faussement à Ptolémée : « L’idée ridicule de ces orbes n’est pas de lui, ce sont les astronomes arabes et ceux des siècles de barbarie comme Sacrobosco et d’autres pareils physiciens grossiers et sans génie, qui ont transporté cette absurde physique dans le ciel ». Halma, relevant un propos de Nicolas Fréret, historien des religions contemporain de Lalande, précise qu’il s’avère en effet que les Chrétiens, les Juifs et les Mahométans avaient adopté l’opinion d’Aristote que les sphères célestes étaient solides et en avaient fait une espèce d’article de foi, quoiqu’elle fût absolument rejetée par Ptolémée lorsqu’il affirmait: « Les astres nagent dans un fluide parfait qui n’oppose aucune résistance à leur mouvement ». Inutile d’être un grand physicien pour comprendre alors que le fluide qu’évoque ici Ptolémée, ressemble davantage à ce que les astronomes modernes nommeront l’éther qu’à une quelconque sphère immuable et solide. J’arrêterai ici mes investigations pour conclure sans trop risquer de commettre d’erreur en disant que l’Almageste mérite le qualificatif d’ouvrage fondateur pour l’astronomie.
* Il parle ici de l’empereur Antonin « le pieux » qui régna de 138 à 161 après avoir succédé à Hadrien (règne de 117 à 138) . Antonin fut un empereur pacifiste que l’on qualifierait aujourd’hui d’intellectuel et qui porta un regard bienveillant sur la science grecque, dont Alexandrie était alors le foyer.
* * Instruments optiques, outil mathématique et connaissances de certaines lois de la physique.
Carte de la Terre selon Ptolémée