Fondements primitifs
La pratique d’une certaine forme d’astronomie est apparue au cours de l’Antiquité, c'est une réalité historique. Cependant, cette considération n’est elle pas quelque peu réductrice ?
Sans adopter de position définitive, les thèses d’archéo-astronomes comme Chantal Jègues Wolkiewiez paraissent intéressantes, en ce que cette chercheuse indépendante propose une astronomie qui accompagnerait l’évolution de l’homme depuis environ 35.000 ans (paléolithique).
Initialement nomade et chasseur, l'homme primitif migre pour satisfaire ses besoins alimentaires, alors que, sédentarisé, il doit s’approprier de nouvelles ressources. A ces fins, il perfectionne son outillage, ses techniques agricoles ou pastorales et son art mobilier. Il s’adonne parallèlement à des rites sépulcraux particuliers dont l’étude révèle l’émergence de croyances. Si on considère son art pariétal, d’autres indices apparaissent qui rendent envisageable la pratique d’une forme d'astronomie, soulignant l’apparition des premiers repères temporels. Le ciel devient source d’un savoir que l’homme développera. Il entreprend alors une quête qui, dès l’apparition de l’écriture et du calcul, lui permet d’établir éphémérides et calendriers. Si rudimentaires qu’aient été leurs connaissances, on peut supposer que les premiers "astronomes" furent probablement aussi les premiers "philosophes" et "mathématiciens", ce qui donne à penser que ces derniers ont pu pressentir l’existence d’une organisation supérieure des choses, sans comprendre nécessairement ce qu’ils observaient. Depuis cette période, la pratique de l’astronomie sollicite, sans cesse et tout à la fois, la curiosité, l’attention, la réflexion, l’imagination et la sensibilité de l’homme, ce qui lui confère une portée universelle.
Commençons donc par nous situer sur deux échelles temporelles:
La Préhistoire s’étire sur une période relativement longue au sujet de laquelle toute supposition reste permise, quant à la relation entre l’homme et le ciel. Nous n’avons aucune certitude et surtout nous disposons de trop peu d’indices pour que seules des conjectures puissent être avancées à ce propos. En revanche, si nous explorons l’époque qui suivit l’apparition de l’écriture, nous pouvons alors considérer davantage d’éléments avérés, malgré le fait qu’à l’échelle astronomique, cette période ne représente qu’une portion infinitésimale de l’histoire de la Terre.
La période historique ne représente en effet que la fine bande verticale bleue clair située sur la droite de l’échelle préhistorique. Elle commence avec l’apparition de l’écriture et s’achève à la chute de l’Empire romain d’Occident en 476. Nous sommes alors au Moyen Age dont la chute de l’Empire romain d’Orient marque le terme en 1453 pour laisser la place à l’époque moderne dans laquelle nous évoluons aujourd’hui.
Tout porte à croire que l’histoire de l’astronomie s’imbrique profondément avec l’évolution de l’humanité. Le terme "astro-nomie", provient de deux mots grecs signifiant astre et loi, règle ou mesure. A lui seul, il résume l’objet de cette discipline qui étudie les mouvements des objets célestes et les lois qui les régissent. Cette science très ancienne s’appuie sur l’observation. Depuis que les premiers hommes ont scruté les profondeurs du ciel, le résultat de leurs observations a traversé le temps et s’est accumulé, à la manière de sédiments, pour former un socle à partir duquel vont être élaborées les premières hypothèses. Initialement, rien ne vient les distinguer des croyances, tant le chemin à parcourir est immense pour amorcer une description, ou mieux encore, une compréhension du ciel. Au fil du temps, ces sédiments deviendront suffisamment épais et solides pour supporter les assises d’un nouvel édifice, celui de la pensée scientifique et des questions philosophiques qu’elle engendre. Elle deviendra un des principaux moteur de l’évolution humaine. Dés lors, en essayant de répondre au comment d'une chose, l’esprit de l’homme va parallèlement s’interroger sur sa cause. Tenter d’appréhender les éléments qui ont contribué à l’apparition de l’astronomie telle que nous la connaissons aujourd’hui, nécessite que nous fassions au préalable l’effort d’occulter provisoirement ce que nous savons en la matière.
Imaginons… Il y a 200000 ans, les hommes vivent avec un cycle qui leur semble immuable, la lumière du Soleil apparait et disparait au rythme du temps qui s’écoule. Cette lumière, venue d’en haut, permet alternativement à ces hommes d’évoluer dans la clarté ou les contraint à l'immobilité lorsque la nuit s'installe. Leurs vies sont synchronisées sur la régularité de cette alternance. Un jour, subitement, alors que la lumière rayonne et que ces hommes chassent, cueillent ou s’affairent à la fabrication d’outils, une ombre imprévue et gigantesque plonge leur paysage dans les ténèbres. Leur équilibre encore fragile se trouve soudainement bouleversé par un phénomène qui les dépasse. Impuissants, abasourdis, gagnés par la panique, ils ne peuvent que se résigner à attendre le pire et attribuer cette privation de lumière à une force extérieure et dominatrice. Cependant, au sein de ce groupe d'individus, un vieillard demeure impassible qui tente d’apaiser la frayeur grandissante de ses congénères affectés par l’évènement... Au bout d’un moment; la lumière revient progressivement, autorisant la vie de la tribu à reprendre son cours ordinaire. Le vieillard parait alors aux yeux des siens comme un "sage". Dès lors, il est respecté et consulté à tous propos. Le cycle de cette lumière venue du ciel n’est donc pas aussi imperturbable qu’il ne semblait l’être...
J'ai imaginé ce court récit pour mettre en exergue l'ignorance et le savoir. Celui qui sait se différencie de ses congénères par l'expérience, il aura précédemment vécu une éclipse et intégré son caractère temporaire. La mémoire qu'il conserve de ce phénomène suffit donc à ce qu’il ne redoute plus ce qui pour lui est devenu un nouveau savoir, sans pour autant qu'il soit capable d'expliquer la raison du phénomène. L’homme ignorant, en revanche, redoute ce qu’il n’a jamais vu. Le vieillard garde ses yeux ouverts sur le monde qui l’entoure et les évènements qui s’y produisent et, à ce titre, pourrait être assimilé à un lointain ancêtre de l’astronome. Quand à l’homme prostré dans l’obscurité, refusant d’ouvrir les yeux sur un phénomène qu’il ne maîtrise pas, il se condamne et s'aliène. Il reste sous l’emprise de cette force qui engendre chez lui une propension à développer toutes sortes de croyances, cultes ou rites divers.
Nous percevons ici les prémices d’une scission qui va profondément diviser les hommes à travers des parcours divergents, les uns se tourneront naturellement vers les lumières du savoir, tandis que les autres s’accommoderont d'obscures croyances. On verra ainsi, qu’au XVIIème siècle, une simple comète (comme celle de 1680) suffisait à paniquer des populations entières qui y voyaient l’annonce de malédictions, alors que simultanément des hommes traquaient ces mêmes phénomènes pour mieux les étudier. L’Elément s’avère donc un tout, à la fois substance du savoir mais aussi substrat d'un mystère qui engendre et nourrit la crédulité.
Dans un lointain passé, alors qu’aucune civilisation majeure n’est encore apparue, l’homme prend donc déjà en compte les phénomènes célestes. Il s’en suit une lente évolution qui accompagne l’apparition de la pensée consciente et l'arrivée du langage articulé qui a pour conséquence de le distinguer de l’animal. Ces facultés lui offrent en outre la possibilité de se dissocier de l’élément pour porter sur lui-même un regard distancié et indépendant. L’homme se satisfait de cette situation durant des siècles, jusqu’à ce qu’il se pose la question de la relativité dimensionnelle de l’Univers, remettant lui même en cause la représentation qu’il s’en était faite. Face à cette interrogation, il construit de nouvelles réponses qui, si élaborées soient-elles, n’en demeurent pas moins toujours à son image. De sorte qu’aujourd’hui encore, même si nous envisageons un quelconque triomphe de l’esprit, nous sommes forcés de reconnaitre que le savoir se heurte toujours aux limites de la raison qui le sous-tend et devons, à ce titre, au moins temporairement, ne pas nous reposer sur l’hypothèse de l’existence d’une intelligence supérieure.