Astronomie originelle (-9000 à -4500 env.)

« La plupart des sciences sont nées des besoins de l’homme, l’astronomie n’est due qu’à sa curiosité » commente Jean Sylvain Bailly*. Cette affirmation simplificatrice, assénée comme une vérité première par un auteur critiqué pour ses positions parfois radicales, me semble effectivement réfutable, bien qu’elle ouvre une réflexion sur la causalité d’une discipline qu’elle prétend définir. C’est pourquoi elle me servira de point de départ.

Cromlech de Callanish sur l'île de Lewis, dans les Hébrides Extérieures (Ecosse)

On a souvent attribué la maitrise de l'astronomie aux peuples moyen-orientaux. Il est certain que leur maitrise précoce de l'écriture, laisse des traces susceptibles de justifier cette attribution. Cependant, en occident, la présence de mégalithes dont les orientations relatives à la course des astres ne font plus guère de doute, atteste également d'une connaissances du ciel.  

Dans les temps historiques les plus reculés, chaque peuple revendique ses origines ou évoque les fondements de son histoire pour conforter sa propre identité. Il y a environ 9.000 ans, vivaient les Atlantes, dont on ne sait toujours pas avec certitude s’ils appartiennent au mythe ou la réalité. Qui croire à ce sujet, les historiens actuels qui nient leur existence, Platon qui assure que les évènements relatés dans Timée et Critias, sont véridiques ou encore Diodore de Sicile, grand historien spécialiste de l’Antiquité, qui sous le règne de Jules César évoque Atlas, roi éponyme du peuple de l’Atlantide? Je ne peux ici trancher la question du continent perdu, si passionnante soit-elle, d’autant qu’il semble d’après Pierre Vidal-Naquet que Platon lui-même ait imaginé à dessein certains de ces récits dont nous ne faisons que supposer la véracité.

Vers 4.000 av. J.-C. apparaissent les Babyloniens dont des tablettes d’argile attestent de connaissances en astronomie. Le peuple chinois estime quant à lui ses origines à plus de 4700 ans, sous le règne de l’empereur mythique Huang Di. Est-il également nécessaire d’évoquer Bélos père d’Égyptos pour aller à la rencontre des Égyptiens qui, il y a plus de 4.000 ans adoraient Thot, dieu qui arborait sur sa tête un croissant de Lune. Divinité suprême de l’écriture et du calcul, doté de pouvoirs magiques issus de sa connaissance du hiéroglyphe, il est le représentant des scribes, détenteurs du savoir.

Que penser de Zoroastre, le Perse, considéré comme le premier des mages, qui consultait les étoiles, sources de ses prédictions. J’arrêterai ici cette énumération qui pourrait indéfiniment s’allonger. Les historiens qui ont analysé les multiples légendes, mythes et récits qui nous sont parvenus, ont tous rencontré des difficultés pour les situer avec exactitude sur une échelle temporelle. En effet, suivant les civilisations, le balisage du temps a été effectué selon différents repères. Les chercheurs qui ont approfondi cette question furent contraints de reconstituer les échelles temporelles de chaque civilisation, en essayant de comprendre le fonctionnement de leurs calendriers. Au cours de ce travail, non seulement ils en découvrirent les origines, mais également, mesurèrent l’étendue des savoirs nécessaires pour les établir. Ils en vérifièrent la précision, ce qui leur permit de prendre conscience que toutes ces données ne pouvaient être le fait d’une unique culture, mais bien celui d’une accumulation ou d’un partage de connaissances, souvent antérieurs aux civilisations mêmes qui les revendiquent. Ici, peut-être, se situe un lien entre les premières traces écrites et la transmission orale, porteuse depuis la préhistoire de ces sédiments de connaissance évoqués dans mon avant-propos

. Que nous disent les calendriers antiques? Nous allons les regarder de plus près, en commençant par celui des Chinois et de leur empereur Huang Di, à qui on en attribue l’invention. Il s’agit d’un calendrier construit d’après le mouvement du Soleil et de la Lune qui permit de fixer la durée d’une année à 365 jours 1/4. Là où le problème se corse, c’est qu’à chaque nouvel empereur, ce dernier remet « à zéro », le calendrier en vigueur. Ainsi pour remonter dans le temps, faut-il reconstituer l’histoire des multiples dynasties ayant régné sur la Chine. C’est ce qu’ont entrepris des savants sous le règne des Han (-206 à 220 après J.-C.) qui, remontant jusqu’à Huang Di, ont pu ainsi situer précisément le point de départ du premier calendrier à l’an 2697 av J.-C, soit la 61ème année du règne de cet empereur. L’an 2010 de notre ère correspondrait donc à l’an 4707 de l’ancien calendrier chinois. On peut imaginer qu’un traducteur vivant à l’ère chrétienne qui aurait mal maîtrisé ces particularités calendaires aurait tout à fait pu transcrire un chiffre perdant sa signification sur un calendrier autre. On notera que les Chinois ont exploité leurs observations astronomiques pour établir un comptage précis du temps, mais qu’ils n’ont pas poussé leurs investigations vers une compréhension plus approfondie des phénomènes dont ils furent témoins.

* J. S Bailly (1736-1793): Mathématicien astronome et homme politique décapité pour avoir refusé de témoigner à charge au procès de Marie-Antoinette. Auteur d’une "Histoire de l’astronomie" (ancienne et nouvelle) dont j'ai la chance de posséder d'anciennes éditions .

On ne peut ignorer la relation que les archéologues établissent entre la position des objets célestes et l’ordonnancement de certains sites mégalithiques. La plus répandue des hypothèses consiste à assimiler ces sites à des observatoires. Il me parait utile de mentionner ici, trois d’entre eux. Le premier, Nabta Playa, date de 6.800 ans et se trouve au sud de l’Égypte dans le désert de Nubie. Il renferme le plus ancien mégalithe connu possédant un tel ordonnancement. Dans le magasine «Nature» d’avril 1998, une note de J.Mc Kim Malville « Megaliths and Neolithic astronomy in southern Egypt » nous dit à peu prés ceci: « Ces alignements mégalithiques et cercles de pierres laissent penser que l’on a à faire à une société développée qui s’adonne à des pratiques cérémoniales… L’orientation de ces alignements indique les points cardinaux et la direction du lever héliaque au solstice d’été…Nous sommes probablement face au premier observatoire astronomique connu ».

Plus proche de nous, se trouve le site de Goseck (ci-dessous à gauche) situé en Allemagne. Découvert en 2003, il se caractérise par trois cercles concentriques construits en terre et pieux de bois.

W. Schlosser, un astro-archéologue, date ce site à une époque voisine de celle de Nabta Playa et attribue à l’édifice une utilité qui déborde du cadre de l’astronomie. Il émet en effet l’hypothèse que nous sommes en présence d’une construction sur laquelle les portails, clairement positionnés suivant les solstices d’hiver et d’été, témoignent qu’il s’agit bien d’un observatoire astronomique mais il ajoute que sa fonction est également liée à l’agriculture et à l’astrologie.

Le site de Stonehenge en Angleterre, dont la construction s’étale sur une longue période pour s’achever vers l’âge du bronze (-3.000 à -4.000 ans), montre aussi une orientation spécifique des mégalithes qui indiquent la position du lever héliaque lors des solstices. On considère que la relation entre ces sites, les rites funéraires ou les pratiques agricoles est établie. Elle répond autant à des nécessités alimentaires qu’à des besoins cultuels et marque ainsi l’astronomie originelle tant par son rôle utilitaire que sacré, soulignant une indéniable dimension sociale.

La question que soulève le comptage du temps réside dans la non concordance des cycles lunaires et solaires. Les calendriers élaborés à partir des  mouvements de ces astres se décalent dans le temps avec la réalité des saisons. Bons observateurs, les premiers astronomes découvrent que les solstices peuvent permettent un recalage plus précis de leurs calendriers. A partir de là, ils vont être en mesure de déterminer des périodes fixes de l’année afin d’indiquer aux agriculteurs le début des semences. Ce genre de besoin dépasse déjà à lui seul le cadre de la curiosité évoquée par J.S. Bailly. Il attribue un nouveau sens à ces édifices qui ne nous ont probablement pas encore livré toutes leurs significations.