La Transition

Il revient à Regiomontanus d’être l’un des derniers défenseurs du système géocentrique de Ptolémée dont il traduisit l’œuvre avant qu’une autre proposition ne sème le trouble dans les esprits et vienne engendrer des réactions aussi violentes qu’injustifiées de la part des pouvoirs religieux. Des astronomes, pour la plupart aujourd’hui oubliés, s’acharneront encore à rejeter le « nouveau système » nommé héliocentrique au point qu’ils en imagineront d’autres, tous dérivés de celui de Ptolémée. En effet, l’héliocentrisme parait suspect dans la mesure où avec lui s’effondrent les valeurs qui nourrissent la pensée médiévale. Le clergé érigeait alors ses remparts spirituels et excommuniait à tour de bras, mais que pouvaient de telles menaces, face à l’inexorable évolution qui allait ébranler ses fondements. Arc bouté dans une attitude dogmatique, il s’accommodera bien mal de la controverse. Il n’avait pas eu, depuis longtemps, à mener un combat aussi fondamental que celui qu’il se préparait à livrer et dans laquelle la foi s’opposerait à la raison. Il va s’y fourvoyer et, lorsque ses propres réponses ne suffiront à réfuter la critique, il ira jusqu’à se compromettre en commanditant des travaux à d’obscurs astronomes, leur suggérant même fortement les conclusions auxquelles il souhaitait les voir aboutir.

Si l’on excepte ces remarques et qu’on pose un regard distancié sur la période écoulée depuis l’apparition des premières traces de l’astronomie, jusqu’à la moitié du XVIème siècle, on ne peut que constater les progrès effectués, en dépit de l’évidente rusticité des instruments existants et d’un outil mathématique insuffisant, quoique déjà assez élaboré dans certains domaines, comme la géométrie ou la trigonométrie. Au fil des siècles, de multiples améliorations furent apportées aux appareillages mais leurs limites demeurent encore trop dépendantes de celle que leur impose une technologie de fabrication rudimentaire voire quasiment inexistante, en particulier dans le domaine de l’optique. On imagine qu’il devient nécessaire, pour « réveiller » les savants, qu’un nouvel évènement vienne stimuler leur communauté. Cet évènement ne sera pas le fruit du progrès de l’instrumentation ou de l’outil mathématique, comme on aurait pu le supposer. Il n’en défrayera pas moins la communauté scientifique et religieuse. Comme on va le constater dans les pages qui suivent, il fut essentiellement un produit de la pensée qui commençait peu à peu à savoir cultiver une forme d’indépendance, à travers une approche plus libre du concept. Le résultat de cette émancipation intellectuelle se traduisit, entre autre, par l’idée d’un nouvel agencement de l’univers. Cette idée, imposera une remise en question radicale de la cosmologie « légale ». Véritable bombe à retardement, elle influencera également des sciences autres que l’astronomie, encourageant et normalisant l’utilisation des mathématiques. Il faudra pourtant attendre encore, que l’apparition de l’instrumentation optique permette des vérifications qui ne puissent être contestables, puisque « visibles » par l’œil humain, attestant de ce fait la réalité de cette nouvelle organisation de notre monde. On notera cependant que dans un premier temps, les objets « prétendus célestes », qu’observaient les astronomes dans leur « étranges tubes », ne seront pas considérés comme une réalité par le pouvoir religieux. Les lunettes astronomiques furent effectivement, à leur origine, perçues davantage comme des curiosités tout au plus intrigantes que comme de véritables instruments permettant de percevoir des choses bien réelles.

Concernant mes propos critiques récurrents sur les positions de l’église face aux évolutions de la science, qui peuvent laisser entendre de ma part une aversion marquée envers les principes religieux, je tenais à préciser que si aversion il y a, elle s’exerce davantage contre une incapacité de remise en question, que contre une quelconque foi. Je rappellerai simplement à ce sujet, que l’essentiel des avancées réalisées en astronomie, fut possible grâce à des savants pour la plupart appartenant ou proches de divers ordres ou communautés religieuses; certes quasiment seuls lettrés en leur temps, mais à qui on doit à ce titre rendre hommage. Sans eux, malgré toutes les contradictions qu’ils véhiculèrent, nous n’aborderions pas le XVème siècle avec un tel bagage scientifique, seul capable de rendre enfin possible une accélération vertigineuse des découvertes.

Nicolas Copernic fut l’homme à qui l’histoire attribue la lourde charge de mette en lumière la vérité. Elle avait déjà tenté de s’affirmer à travers la pensée pythagoricienne, mais en vain. Copernic dégagera symboliquement l’humanité des chaines dans lesquelles elle s’était elle-même enferrée. Il marque la fin de l’astronomie ancienne et l’avènement de l’astronomie moderne. Est-ce un hasard s’il fallut attendre que ce soit un fils de l’église qui mette en lumière le refus de cette grande institution d’admettre des évidences, révélant de ce fait un immobilisme tout aussi incompréhensible qu’obstiné. Lorsqu’on connait l’impact des croyances sur la pensée médiévale, on apprécie d’autant mieux la détermination dont il fit preuve. La raison s’affirmera donc, mais ne sera pas suffisante pour endiguer les contradictions des représentants de la parole divine durant encore quelques siècles.