La foi et le savoir

Après avoir survolé la période antique jusqu’à la fin du premier millénaire, je ne peux m’empêcher de témoigner à quel point ces quelques pages m’ont paru difficiles à rédiger. Non pas en raison de l’insuffisance de textes concernant ces époques où des personnages eux mêmes, mais davantage par les choix réducteurs que j’ai du m’imposer. Comme on vient de le voir, les sciences sont aux mains de la civilisation arabo-musulmane. Non seulement les connaissances issues des civilisations antérieures sont conservées et transmises mais elles sont également enrichies par de nouvelles recherches et travaux correctifs. Ces savoirs diffusés dans tout l’orient, rayonnent également autour d’un foyer plus proche de l’occident chrétien; celui de Cordoue, en Andalousie, qui restera sous la domination arabe jusqu’au XVème siècle.
J’ai précédemment évoqué la caverne de Platon pour illustrer une problématique de l’astronomie, qu’est la capacité à bien discerner ce que nous observons. Je ne m’attarderai donc pas ici sur Aristote, son disciple, considéré lui aussi comme un des plus grands philosophes de tous les temps, mais qui pourtant développa une conception erronée du Monde. Aristote, en effet, relaie la pensée de son maître en affirmant que l’univers est sphérique, que le mouvement de tout corps céleste est circulaire et uniforme et que la Terre, immobile au centre du Monde est entourée d'une succession de sphères cristallines (Il en dénombre cinquante cinq, censées lui permettre de justifier le mouvement apparent des planètes). Enfin, il prétend qu’à l'intérieur de l'orbite lunaire, comprenant la Terre et l’air qui l’entoure, se trouve le règne de l’imperfection et des changements, tandis qu’au-delà s’établit une immuable perfection.

Cette cosmologie a si profondément inspiré la dogmatique chrétienne, qu’elle influença durablement la pensée humaine à propos des rapports de l’homme au savoir et à sa vision de la place qu’il occupe dans l’Univers. Aux alentours de l’an mille, on enregistre en Europe quelques indices qui pourraient bien annoncer un changement prochain. Aucun savant ne se distingue encore véritablement, bien que commencent à s’ouvrir des pistes vers un renouveau de la pensée scientifique. Nous ne pouvons ignorer certains érudits du Moyen Age qui jusqu’à la période copernicienne passent trop souvent inaperçus. Ce sont pourtant des personnages en avance sur leur temps qui ont le mérite d’établir des passerelles intellectuelles entre les civilisations d’orient et d’occident. Certains ont consacré l’essentiel de leur vie et de leurs ressources à l’étude et à la diffusion des savoirs. Travailleurs infatigables, ils ne disposent d’aucun instrument d’observation et seulement de quelques rudimentaires outils de mesure angulaire qui suffisent pourtant à les faire progresser dans leur approche de valeurs physiques théoriques devenant peu à peu vérifiables. Progressivement leur exploration du monde physique les éloigne donc de la vérité proclamée (relayée par une religion qui à cette époque a déjà posé ses marques et souhaite encore étendre son hégémonie au-delà de l’occident). Lorsqu’on sait que pour la plupart, ces hommes sont aussi hommes d’église, on comprend à quel point leur esprit va être tourmenté. Leurs successeurs leur devront énormément, même si aujourd’hui, on peut être surpris par le faible niveau de leurs connaissances et par leur cosmologie réductrice (ci-dessus à gauche, reproduction d'une gravure du Moyen Age qui représente les anges actionnant les rouages de la mécanique céleste). Enfin, les noms cités dans ce site ne devront pas occulter le mérite de trop nombreux « savants » que je passe sous silence. En particulier, bon nombre d’astronomes arabes dont les contributions ont malheureusement subies les altérations inhérentes aux multiples filtres à travers lesquels elles ont du se frayer un chemin pour nous parvenir. Je pensais, pour ne m’y être jamais aventuré auparavant, qu’il serait aisé de choisir parmi ces personnages tous aussi fascinants les uns que les autres et de résumer leurs œuvres en quelques lignes. Je réalise désormais les frustrations qu’une telle tâche procure à celui qui s’y emploie.

Les arts « libéraux », que l’on peut distinguer des arts « serviles » ou des « beaux arts » sont au nombre de sept, regroupés en deux catégories, le trivium et le quadrivium. Dans sa doctrine chrétienne"Doctrina Christiana", Saint Augustin, un des pères de l’église latine, considère que de même que la foi est au centre de toute connaissance, les arts libéraux sont la porte d’accès vers l’étude des saintes écritures: la théologie. Il affirme en effet à propos du savoir: « il faut comprendre pour croire ».
 Les arts serviles ont en commun la transformation d’une matière tangible et regroupent les pratiques artisanales comme par exemple la menuiserie et la poterie. Les beaux arts, quand à eux, couvrent les activités manuelles, par opposition aux activités intellectuelles, qui n’entrent pas dans la catégorie précédente et dont la vocation est de mettre en avant la beauté. On y retrouve la sculpture, la peinture, l’architecture, l’orfèvrerie. Toutes proportions gardées, on pourrait assimiler les arts libéraux à notre enseignement secondaire actuel, car ils forment la base d’un enseignement adressé à des novices entre quatorze et vingt ans. Mais il faut également garder à l’esprit que vers l’an mille, dans notre actuelle France, le nombre de personnes sachant lire et écrire ne doit pas excéder une centaine, quand à ceux qui ont étudié au-delà, ils ne sont qu’une maigre poignée. Généralement ils se connaissent entre eux et se fréquentent quand ils le peuvent ou entretiennent au moins une correspondance suivie. Gardons aussi en mémoire que les moines copistes de l’époque passent leur existence à reproduire d’anciens manuscrits qu’ils ne sont souvent capables ni de lire, ni de comprendre, et dont ils se contentent de recopier les lignes comme s’il s’agissait de dessins et non de textes écrits. Le trivium, qualifiable de science du langage, comprend la grammaire, la rhétorique (l’art de bien parler) et la dialectique (raisonnement et logique), il est la première partie, incontournable pour celui qui souhaite aller plus loin dans les études. Le quadrivium, qui regroupe les mathématiques, la géométrie, la musique et l’astronomie, forme le deuxième volet assimilable aux sciences naturelles et à la physique.
Si la philosophie n’apparait pas ici, c’est qu’il est probable que sous l’influence des Grecs antiques et particulièrement celle d’Aristote, elle ait été considérée comme le stade ultime de la connaissance, matière suprême qui engloberait toutes les autres.