Jean Buridan (1300-1358)
Jean Buridan (?1300-1358) est né à Béthune. Disciple de Guillaume d’Ockham*, il est un des grands nominalistes du XIVème siècle. Procureur de Picardie, il enseigne également à l’Université de Paris. En 1345, il devient député au service de Philippe de Valois pour demander l’exemption de la gabelle. Deux ans plus tard il est nommé recteur de l’université. La tradition populaire raconte que Buridan a échappé par miracle au sort que la reine Jeanne, épouse de Philippe Le Bel (ou, selon d’autres historiens, épouse d’un de ses trois fils) avait fait subir à plusieurs écoliers de Paris. Elle faisait secrètement venir ces derniers dans ses appartements pour des ébats amoureux puis, par la suite, les faisait précipiter dans la Seine pour dissimuler tout témoin de ses rapports adultérins. On prête à Buridan, relativement à ses supposés écarts libertins, d’avoir professé: « qu’il est permis de tuer une reine, si c’est nécessaire… ». François Villon s’empare de cette péripétie écrivant: « semblablement où est la reine qui commanda que Buridan, fut jeté en un sac en Seine, mais où sont les neiges d’antan… ». Le nom de Buridan est attaché au sophisme connu sous le nom de « l’âne de Buridan ». Le philosophe aurait supposé un âne affamé laissé par son maître entre deux balles d’avoine. Demeurant immobile entre ces balles identiques qui l’attirent autant l’une que l’autre, il est dans l’incapacité de choisir vers laquelle il va se diriger pour apaiser sa faim. Tant est si bien, qu’il meurt en raison de son indécision. En réalité, Buridan n’aurait jamais utilisé un tel exemple qui ne serait que le produit d’auteurs satyriques postérieurs.
Buridan, philosophe, défend un déterminisme où la personne ayant à choisir parmi deux comportements possibles doit toujours opter pour celui qui procure « le plus grand bien ». Il pense que la volonté peut entraver ou retarder le meilleur choix possible, excepté pour celui qui est ignorant ou « embarrassé ». Jean Buridan, à l’origine du scepticisme religieux, remet à jour vers 1340 la théorie de l’impetus condamnée par la censure. Il étudie l’œuvre d’Aristote et reprend ses travaux pour en contredire certains, en particulier ceux traitant du mouvement des projectiles.
Il écrit: « Tandis que le moteur meut le mobile, il lui imprime un certain impetus, une certaine puissance, capable de mouvoir le mobile dans la direction même où le moteur meut le mobile, que ce soit vers le haut, ou vers le bas, ou de côté, ou circulairement. Plus grande est la vitesse avec laquelle le moteur meut le mobile, plus puissant est l'impetus qu'il imprime en lui... Mais par la résistance de l'air, et aussi par la pesanteur qui incline la pierre à se mouvoir en sens contraire... Cet impetus s'affaiblit continuellement... Toutes les formes et dispositions naturelles sont reçues en la matière et en proportion de la matière; partant, plus un corps contient de matière, plus il peut recevoir de cet impetus; or dans un corps dense et grave (pesant), il y a, toutes choses égales d'ailleurs, plus de matière qu'en un corps rare et léger. Une plume reçoit un impetus si faible que cet impetus se trouve détruit aussitôt par la résistance de l'air ». Plus concrètement, l’impetus reste une notion assez abstraite, dont on peut penser qu’il s’agit d’une description et d’une tentative d’explication de l’inertie.
L’outil mathématique n’est alors pas suffisamment développé pour permettre une modélisation de ce phénomène. Cependant l’impetus ravive les investigations sur la physique des corps en mouvement en général et celle des corps célestes en particulier. Aristote expliquait qu’une pierre lancée en l’air continuait son ascension avant de retomber, en raison d’un « vide » qu’elle laissait derrière elle et qui se remplissant d’air contribuait à la « pousser » encore un certain temps. Buridan réfute cette explication prétendant que cette même pierre se voit en réalité, communiquer un impetus, qu’il nomme impetus violent, au moment où elle est projetée en l’air. Selon lui, c’est cet impetus (impulsion) qui entretient le mouvement et qui, perdant de son intensité le laisse ralentir jusqu’à ce qu’il ne communique plus suffisamment de « force » à la pierre pour qu’elle continue sa course ascendante. C’est alors que la pierre retombe mue par un impetus, qu’il qualifie alors de « naturel » (gravité), qui l’attire vers la Terre comme tout autre objet soumis à cette force. On voit clairement apparaitre les premières pistes qu’étudieront par la suite Galilée, Descartes et Newton.
* Guillaume d’Ockham (1285-1347) est un philosophe et théologien anglais. Il affirme que foi et raison sont d’égale importance, de même qu’il ne saurait y avoir de rapport entre la science et Dieu. Il introduit une distinction entre le mouvement dynamique induit par une impulsion, et le mouvement cinétique qui est le fruit d’interactions. Plus généralement, il est connu pour un principe qui porte son nom: Le «rasoir d’Ockham» et qui énonce «qu’il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité» populairement énoncé par « Pourquoi faire compliqué, lorsqu’on peut faire simple. »