Pierre Simon Laplace (1749-1827)
Pierre Simon Laplace (1749-1827) est né à Beaumont en Auge dans l’actuel Calvados. Son père, Pierre Laplace, agriculteur aisé, produit du cidre. Il a épousé Marie Anne Sochon, elle-même issu d’une famille paysanne. Pierre Simon effectue ses études primaires à Beaumont dans une école tenue par des bénédictins. A 16 ans, indécis sur son avenir, il hésite entre les ordres ou l’armée. Il commence des études de théologie à l’université de Caen, mais au bout de deux ans, son goût prononcé pour les mathématiques le décide à poursuivre dans cette voie. Sans même attendre l’obtention de son diplôme, il écrit une lettre à d’Alembert le célèbre mathématicien et encyclopédiste parisien. Son professeur, Simon Gadbled, le soutient dans cette démarche. D’Alembert, d’abord sceptique, accepte finalement de recevoir le jeune homme. Dès leur première rencontre, il voit en lui un mathématicien déjà brillant et prometteur. Afin de lui permettre de subvenir à ses besoins, il lui trouve sans peine un poste de professeur de mathématiques à l’ École militaire. Tout en honorant ce poste où il enseigne la géométrie, la trigonométrie, l’analyse élémentaire et la statistique à des adolescents de bonne famille, Laplace travaille sur des projets plus personnels. Alors qu’il n’a que vingt et un ans, il présente à l’Académie des sciences, un mémoire sur les minimas et les maximas des courbes, dans lequel il apporte une amélioration à la méthode mise au point par Lagrange. Il attend une reconnaissance, pourtant, à deux reprises, des mathématiciens bien inférieurs à lui (Vandermonde et Cousin) seront élus. D’Alembert déçu, écrit à Lagrange alors directeur de la section des mathématiques à l’Académie de Berlin, dans laquelle il lui demande de trouver un poste « digne de ses capacités » au jeune Laplace. Lagrange n’aura pas à intervenir. En mars 1773, Condorcet, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, fait remarquer que le mathématicien a déjà déposé plus de treize mémoires importants, en moins de trois ans. Laplace est aussitôt élu adjoint de l’Académie
En 1785, il devient pensionnaire et en 1816, membre de l’Académie française. L’œuvre de Laplace rapproche les mathématiques et l’astronomie et dote cette dernière des outils théoriques dont elle a besoin pour continuer de progresser dans une voie où l’utilisation des télescopes et autres quarts de cercle associée au calcul ne suffit plus. Laplace a également un parcours politique chaotique; initialement il défend les idées républicaines puis, voyant le général Bonaparte rentrer victorieux de ses campagnes pour entamer une fulgurante ascension, il se trouve alors des affinités impérialistes. Après la prise de pouvoir de Napoléon en 1799, il le supplie de lui confier un ministère. Ses vœux sont exaucés, il devient éphémère ministre de l’intérieur. Plus tard, sentant le vent tourner contre l’empereur, il renie ses idées une fois de plus et devient royaliste. Il va même jusqu’à proposer ses services aux Bourbons. Il sera anobli et deviendra marquis en 1817, après le retour au pouvoir de Louis XVIII. Ses collègues ne voient pas d’un bon œil cet évident opportunisme. Certains d’entre eux subissent son ingratitude, son égoïsme et son caractère présomptueux qui apparait dans les commentaires de tous ses contemporains. Le 11 mars1794, un décret du Comité de Salut public met en place une « commission des travaux publics ». En moins de huit mois, une école est créée qui devient, un an plus tard, l’École Polytechnique. Ses professeurs comptent parmi les grands noms de la science et ses élèves sont recrutés par un concours qui se déroule dans toute la France. L'ouverture des cours a lieu en 1794. La même année, la Convention décrète « qu'il serait établi à Paris une École normale, où seraient appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l'art d'enseigner ». Laplace participe à la mise en place de ces deux institutions, il a préparé des cours d’astronomie à l’attention des futurs enseignants, mais il n’aura pas l’occasion de les utiliser. En 1796, il décide de les faire éditer et publie Exposition du système du monde, qui contient l’essentiel des connaissances de son temps en astronomie et où il commente: « De toutes les sciences naturelles, l’astronomie est celle qui présente le plus long enchainement de découvertes. Il y a extrêmement loin de la première vue du ciel, à la vue générale par laquelle on embrasse aujourd’hui les états passés et futurs du système du monde. Pour y parvenir il a fallu observer les astres pendant un grand nombre de siècles; reconnaitre dans leurs apparences, les mouvements réels de la Terre; s’élever aux lois des mouvements planétaires; et de ces lois, au principe de la pesanteur universelle; redescendre enfin de ces principes, à l’explication complète de tous les phénomènes célestes, jusque dans leur moindres détails…»
« L’exposition de ces découvertes et de la manière la plus simple dont elles ont pu naître et se succéder aura le double avantage d’offrir un grand ensemble de vérités importantes, et la vraie méthode qu’il faut suivre dans la recherche des lois de la nature. C’est l’objet que je me suis proposé dans cet ouvrage.» Il publie un autre livre important, Traité de mécanique céleste, dans lequel il donne des méthodes de calcul pour les formes et les mouvements planétaires ainsi que pour les marées. On l’accuse de s’être attribué des travaux qui ne sont pas de lui. Jean Baptiste Biot, son élève, à qui il a confié la relecture d’un de ses manuscrits avant leur impression, avoue un jour que Laplace était parfois incapable de retrouver les détails de ses démonstrations et souvent réduit à réexaminer ses résultats durant plusieurs jours. Devons-nous en déduire qu’il plagiait ? Il n’en demeure pas moins que son œuvre a des répercussions importantes sur l’évolution de l’astronomie. Il a effectué une analyse détaillée des conséquences de la gravitation universelle sur la mécanique céleste. Newton justifie les irrégularités de la course des astres par une intervention divine, Laplace n’a d’autre ambition que de démontrer l’inexistence de ce type d’intervention, en y opposant des réponses concrètes. Lorsqu’il s’intéresse à la stabilité du système solaire, il définit une approche générale qui prend en compte les interactions gravitationnelles de tous les objets significatifs. Il associe dans une démarche méthodique, l’observation et la théorie, en ne laissant plus intervenir le hasard. Dans son Essai philosophique sur les probabilités, on lit: « Les évènements actuels sont, avec les précédents, une liaison fondée sur le principe évident, qu’une chose ne peut pas commencer d’être, sans une cause qui la produise. Cet axiome connu sous le nom de principe de la raison suffisante, s’étend aux actions mêmes que l’on juge indifférentes… Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers, comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre… Une intelligence qui, pour un instant donné, connaitrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ses données à l’analyse, embraserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome: rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé, serait présent à ses yeux ». En 1972, un météorologue nommé Edward Lorenz a fait une déclaration restée célèbre: « Le simple battement d’aile d’un papillon peut déclencher une tempête à l’autre bout du monde ». Laplace l’aurait probablement apprécié. En mathématique, il met au point de nouveaux outils pour aider à la résolution d’équations différentielles utilisées dans l’élaboration des modèles de la mécanique céleste. Il définit une fonction nommée Transformée de Laplace qui permet de traiter des systèmes dynamiques (en mouvement) avec une relative simplicité. Les Transformées de Laplace permettent de réduire les opérations sur une certaine catégorie d’équations différentielles à des multiplications et des divisions, en les ramenant à de simple équations affines de type: y = ax+b. On a souvent fait l’analogie avec l’utilisation des tables de logarithmes qui permettent de remplacer les multiplications et les divisions par de simples additions et soustractions.
En astronomie, Laplace a permis de donner une explication et de prévoir des phénomènes secondaires, comme les perturbations des satellites de Jupiter, la stabilité des anneaux de Saturne, le lien entre l'attraction des sphéroïdes et la forme des planètes, l'action de la Lune sur l'atmosphère et sur les marées, le phénomène de libration de notre satellite, la précession des équinoxes, les orbites des comètes, les variations séculaires des orbites des planètes, etc. Il pressent aussi la possibilité de corps suffisamment massifs pour que leur vitesse de libération soit supérieure à celle de la lumière (c’est le cas des « trous noirs »). En revanche, Laplace ne connait pas la modestie et laisse transparaitre une haute opinion de lui-même. Il sait qu’il dispose de capacités supérieures en mathématique et n’hésite pas à le faire sentir à ses collègues académiciens. Vingt trois ans après sa disparition, jean Baptiste Biot, que j’ai déjà cité, donne lecture à l’Académie d’une anecdote relative au grand mathématicien, qui montre que cet homme n’était peut-être pas aussi ingrat qu’on a voulu le décrire. Un jour, alors qu’il était encore élève de Laplace, Biot lui montre, avec un certain enthousiasme, le brouillon d’un des travaux qu’il vient juste d’achever et dans lequel il pense être le premier à avoir découvert les solutions à un problème fort complexe, auquel personne n’a jusqu’alors su répondre. Laplace le félicite et lui demande quelques précisions. Il l’invite à communiquer sa découverte à l’Académie. Ce jour là, le général Bonaparte rentré d’Égypte, assiste à la lecture en tant que membre de la section de mécanique. Biot fait forte impression et reçoit des applaudissements. Après l’exposé, Laplace l’invite à déjeuner. Arrivé chez lui, Biot voit le mathématicien fouiller dans une pile de vieux documents dont il extrait quelques feuillets qu’il lui tend. Au fur et à mesure qu’il avance dans sa lecture, Biot blêmit. Laplace avait, bien avant lui, trouvé les mêmes réponses au problèmes posé. Il lui explique qu’il aurait juste aimé pousser plus loin ses recherches et qu’il avait préféré les taire plutôt que de les présenter incomplètes. Biot finit son anecdote en s’excusant de trahir la mémoire de son ancien maître, ce dernier lui ayant fait promettre de ne jamais parler de cette histoire à personne…