Pierre Méchain (1744-1804)

Pierre François André Méchain (1744-1804) est né à Laon. Il est le fils de Pierre François, architecte, qui le destine à lui succéder.  Le jeune Pierre se montre si doué qu’il intègre l’école des Ponts et Chaussées. Suite à la ruine de son père, il est pourtant forcé d’interrompre ses études et de gagner sa vie en donnant des cours. Comme il s’intéressait à l’astronomie, il avait fait l’acquisition d’une lunette dont il doit se séparer pour aider à solder les dettes de la famille. En cherchant un acheteur, il tombe sur Jérôme de La Lande qui trouve en lui un garçon brillant et prometteur. La Lande le prend sous sa protection et lui enseigne l’astronomie. Pierre devient un de ses meilleurs élèves. Le grand astronome lui confit la relecture de la seconde édition de son Astronomie qui doit paraitre en 1771 et lui trouve une place de calculateur au Dépôt Général des cartes de la Marine à Versailles. En 1774, Méchain rencontre Charles Messier qui travaille à l’Hôtel de Cluny, également pour le Dépôt des Cartes, il s’en suit une longue amitié et collaboration. En 1777, Pierre se marie avec Barbe-Thérèse Marjou qui met au monde deux garçons et une fille. La même année, il est nommé astronome-hydrographe. Sa mission est de consulter les récits de voyages et d’en extraire tous les éléments qui pourraient permettre une amélioration des cartes existantes.
Devenu excellent calculateur, il est capable d’entreprendre de longs et fastidieux travaux. Il montre tout son talent et trace des cartes côtières, en exploitant les données géodésiques d’autres cartographes ou navigateurs. Il ne va en mer qu’à deux reprises, pour effectuer des relevés entre St Malo et Newport. Lorsque son bureau déménage à Paris, il peut enfin quitter le modeste observatoire qu’il s’était aménagé à Versailles, rejoindre son maître La Lande et observer avec lui depuis l‘observatoire du Collège Royal. Il fait à cette occasion  la connaissance de Delambre.

En 1782 l’Académie des sciences propose un prix relatif aux comètes de 1532 et 1661. Méchain, rompu au calcul le remporte et devient membre associé de l’Académie. Il a déjà découvert deux comètes et calculé leurs périodes. En 1784, il est affecté à la rédaction de la revue Connaissance des temps. Reconnu dans la communauté scientifique, en 1787 il participe au rapprochement des observatoires de Paris et de Greenwich. Avec Cassini IV et Legendre, ils se rendent en délégation en Angleterre. Ils sont rejoint à Calais par Giuseppe Piazzi. Il montrent aux anglais leur nouveau « cercle répétiteur », conçu par Borda et fabriqué par Lenoir (ci-contre), qui simplifie les mesures terrestres en permettant une correction des différences d’altitudes. Anglais et Français effectuent leurs mesures à partir d’une triangulation établie entre Fairlight (Douvres) et Montlambert (Calais). Les résultats conjointement communiqués en 1789, enregistrent quelques faibles écarts. Méchain profite d’un séjour en Angleterre pour rendre visite à William Herschel et visiter son observatoire de Slough. De retour, il observe toujours avec assiduité; en trois ans, il trouve une trentaine d’objets nouveaux et concurrence son ami Messier qui les enregistre sur son catalogue. Méchain est un des plus grands découvreurs de nébuleuses. A son actif, on peut également compter treize comètes nouvelles et sept dont il est codécouvreur. Il en a observé, calculé et résolu environ quarante durant toute sa vie. Méchain reste pourtant attaché à une autre aventure scientifique qu’il présente en ces termes dans l’ouvrage Base du système métrique décimal (éd. 1806), qu’il signe avec Delambre : « Les deux questions de la grandeur et de la figure de la Terre, qui exercent depuis si longtemps les astronomes et les géomètres, paraissent de nature à n’être jamais épuisées. Les anciens ne se sont guère occupés de la première; la seconde leur avait semblé résolue aussitôt que posée. Dès l’instant où l’on se fut démontré la courbure de la Terre et la convexité des mers, on se hâta de conclure que la Terre était un globe. Dans un temps où on ne voulait voir dans le ciel que des cercles, quand on ne pouvait concevoir que des mouvements rectilignes ou circulaires… »

Méchain et Delambre, justifient: « Depuis longtemps, l’étonnante et scandaleuse diversité de nos mesures avait excité les réclamations des bons esprits; plus d’une fois on avait présenté des projets de réforme au gouvernement, qui les avait fait examiner: mais malgré les rapports les plus favorables, malgré la bonne volonté des ministres, et particulièrement du contrôleur général des finances Orry, ces projets avaient toujours été repoussés ou mis en oubli. En 1788, le vœu d’une mesure uniforme fut consigné dans les cahiers de quelques baillages; quelques savants firent entendre leur voix. Les esprits étaient alors disposés à recevoir avec enthousiasme toutes les réformes utiles, Le système incohérent de nos mesures, outre ses inconvénients réels, avait un vice originel qui en fit hâter l’abolition: la confusion qui y régnait était en grande partie l’ouvrage de cette féodalité que personne n’osait plus défendre, et dont on travaillait à faire disparaitre jusqu’aux moindres vestiges. Ce concours unique de circonstances valut un accueil favorable à la proposition faite en 1790 à l’Assemblée constituante par M.de Talleyrand… ». Le décret de l’assemblée nationale mentionne entre autre: « Nous proposerons donc de mesurer immédiatement un arc du méridien depuis Dunkerque jusqu’à Barcelone, ce qui comprend un peu plus de 9°1/2…. Cet arc serait d’une étendue très suffisante, et il y en aurait environ 6°1/2 au nord et 3° ½ au midi du parallèle moyen. A ces avantages se joint celui d’avoir les deux points extrêmes également au niveau de la mer… ». Les conditions sont idéales. Sans entrer dans le détail de la mise en place du système métrique décimal, il faut savoir qu’il régnait avant la révolution une totale anarchie dans l’utilisation des poids et mesures et qu’il devenait urgent que la nation utilise les mêmes.

Une loi du 7 avril 1795 instaure le système métrique décimal. Son second article mentionne: « Il n’y aura qu’un seul étalon des poids et mesures pour toute la France; ce sera une règle de platine sur laquelle sera tracé le mètre, qui a été adopté pour l’unité fondamentale de tout le système de mesures » Quand à ce mètre, il sera égal à la dix millionième partie de la distance séparant le pôle à l’équateur, soit un quart de la circonférence terrestre. (ci-contre, les « stations de la triangulation » entre la France et l’Espagne. Un budget de cent mille écus est attribué. L’ingénieur Tranchot a déjà fait des repérages pour les stations qui serviront à positionner les balises. Delambre mesurera la portion nord de Rodez à Dunkerque soit 380.000 toises et Méchain la partie sud de Rodez à Barcelone, soit 170.000 toises. Cet écart est du à un relief défavorable comportant de sérieux obstacles et l’absence de triangulation existante. Méchain prépare un équipage constitué de deux voitures, une pour les hommes, l’autre pour les instruments. Il emporte avec lui un cercle répétiteur de Borda, des règles pour la mesure des bases, des hygromètres, des thermomètres et des lanternes. Il emporte aussi de l’or, divers laissez-passer, des lettres de crédits et des assignats. Tranchot se joint à lui et le 25 juin 1792, les attelages quittent Paris en direction du Sud. Une semaine plus tard, il arrivent à la frontière où une équipe espagnole se joint à eux. Méchain arrive à Barcelone et doit seul organiser les moindres détails. Il se plaint à Borda resté à Paris; ce dernier répond: « vous ne devez pas attendre de décision de notre part, et vous n’avez pas d’autre parti à prendre que de choisir ce qu’il y a de meilleur… réfléchissez pendant une heure ou un jour sur ce qu’il convient de faire, le parti que vous aurez pris est le parti que je vous conseille de prendre… ». Les mesures avancent cependant, lorsque le 7 mars 1793, une guerre éclate entre la France et L’Espagne. En avril, comble de malchance, Méchain a un grave accident, le bras droit désarticulé, l’épaule fracassés et les cotes brisées, il tombe dans le coma.

Tranchot écrit à Paris et ne laisse aucun espoir sur le sort de Méchain qui émerge miraculeusement du coma et entame une cure thermale. N’ayant pas retrouvé l’usage de son bras, il continuera pourtant ses relevés. La guerre ne l’empêche pas de progresser car il connait Don Antonio Ricardos, le commandant de l’armée espagnole, qui l’autorise à traverser le territoire. Vers novembre 1793, Méchain est bloqué à Barcelone et, Mont Jouy, sa base, est occupée par l’armée. Il révise ses calculs, et remarque qu’il a commis une erreur de 3‘ dont il n’arrive pas à déterminer l’origine et qu’il décide de taire. Cette erreur le minera jusqu’à sa mort.

La guerre continue et, à Paris, la Terreur sévit. Méchain autorisé à rentrer en France, ne peut franchir la frontière. Il doit passer d’abord en Italie mais parvenu à Gêne, il décide d’y rester avec Tranchot. A Paris, le 25 juin 1795, une loi de la Convention crée le Bureau des Longitudes. Parmi ses membres on trouve: Jérôme de Lalande, Jean-Baptiste Joseph Delambre, Pierre-François-André Méchain et Jean-Dominique Cassini ainsi que des géomètres et des cartographes. On ne sait pourquoi, Méchain n’a pas voulu rentrer. Delambre pense qu’il a simplement peur de subir le même sort que bon nombre de ses amis, qui ont perdu leur tête sous la guillotine révolutionnaire. Il a probablement raison. Méchain, est missionné pour reprendre ses travaux depuis la frontière espagnole, cette fois en territoire français. Il quitte l’Italie en 1795, fait escale à Marseille et embarque pour Port-Vendres. Il reprend ses mesures mais il semble qu’il doute de ses propres capacités. Il écrit à Delambre avec qui il entretient une abondante correspondance: «  Votre grande expérience et votre habileté feront que 10 de vos observations donneront des résultats plus forts que 100 des miennes ». Serait-il encore obsédé par son erreur « espagnole »?

Méchain n’est pas au bout de ses peines, il affronte un relief hostile et progresse moins vite qu’il ne l’espérait. Il est intéressant de noter cet extrait d’une lette qu’il envoie à Delambre: « Vous ne pouvez vous faire une idée des difficultés que nous éprouvons pour avoir du bois et des ouvriers, pour le transport et l’établissement des signaux sur le sommet des montagnes; nous sommes obligé d’aller à pied presque partout : d’ailleurs impossibilité physique de faire autrement pour certaine stations, telles, par exemple, que celle de Bugarach, où l’on ne peut arriver qu’en s’accrochant aux buis, aux broussailles, et en gravissant les rochers. Cette marche est de quatre à cinq heures. La descente est encore plus pénible et plus scabreuse. Vous pouvez juger la commodité du séjour, à plus de 600 toises de hauteur sur un pic qui n’a pas deux toises d’étendue, et bordé de précipices…  Nuit et jour on est exposé aux orages, ayant pour lit un peu de paille, et pour abri une simple tente, souvent interrompu et tourmenté par les nuages qui enveloppent une des stations et y restent accrochés des journées entières… ». En octobre 1795, Méchain se repose à Estagel chez le maire, un certain citoyen Arago dont un des fils, François, deviendra le célèbre mathématicien et astronome. Méchain refuse toujours de rejoindre Paris, malgré les invitations pressantes qui lui sont faites, il préfère en finir avec ses mesures. Ce n’est qu’en octobre 1798, que Delambre va revoir son ami à Carcassonne, après plus de six années de séparation. Il le convainc de l’accompagner à Paris où ils se rendent en Décembre. Ils sont reçus lors d’un grand diner avec le Président du Directoire et différents ministres. Les commissaires se mettent aussitôt au travail pour exploiter les données relevées sur les cent quinze triangles de la chaine. L’arc entre Dunkerque et Montjuic mesure 9°40’ 25’’ 40’’’. La distance entre ces deux points est de 551.584,72 toises. Les astronomes prenant en considération l’aplatissement de la Terre, concluent que le mètre a une longueur de « 443 lignes 296/1000ème à la température de 16° ¼ ». Sept ans de travaux ont été nécessaires pour un seul chiffre ! Méchain est promu directeur de l’observatoire où il remplace de Lalande. Il y découvre sa dernière comète le 26 décembre 1799. Mais il n’a qu’une obsession, celle de revenir en Espagne où il souhaite poursuivre sa mesure du méridien jusqu’aux Baléares. Il quitte Paris le 26 avril 1804, accompagné de son fils Augustin et il se remet à la mesure des triangles. Atteint par la fièvre jaune, il meurt au travail le 20 septembre de le même année, à Castellon de la Plana. En 1799, Méchain avait participé à une conférence internationale qui saluait son œuvre scientifique. Il cachait toujours son erreur, ce qui a eu pour conséquence de donner au mètre étalon deux dixièmes de millimètre de longueur en trop. Sa « dissimulation » sera découverte par Delambre en 1806, après qu’il eut consulté les manuscrits légués par Méchain. Il comprend alors comment la vie de son ami s’est transformée en un véritable calvaire. L’histoire pardonnera l’erreur et inscrira durablement l’astronome  comme un des pères de notre unité de mesure, le mètre.