Nicole-Reine Lepaute (1723-1788)
Nicole-Reine Hortense Étable de la Brière Lepaute (1723-1788) est née à Paris au palais du Luxembourg, où réside son père alors au service de Marie-Louise-Élisabeth de Bourbon-Orléans, épouse du jeune Louis de Bourbon-Savoie qui fut un éphémère roi d’Espagne. On dispose de peu d’information sur la jeunesse de Nicole Reine Lepaute, si ce n’est qu’elle est assurément bien moins mondaine que sa contemporaine, Émilie du Chatelet, que j’ai déjà évoquée. A l’image de cette dernière, Nicole Lepaute est curieuse et studieuse. C’est une « femme savante » dans le domaine scientifique, ce qui était rare au XVIIIème siècle. Nicole Reine rencontre Jean André Lepaute lorsque ce dernier, devenu horloger du roi, vient de s’installer au palais du Luxembourg. Elle a vingt sept ans lorsqu’elle l’épouse, le 27 aout 1749. Nicole-Reine s’affaire au calcul des tables d’oscillations du pendule, en vue de compléter un traité d’horlogerie à la rédaction duquel elle aide son mari. Jérôme de Lalande vient d’installer son matériel astronomique dans le petit observatoire situé sur le dôme, juste au dessus du porche du palais. Delisle qui l’occupait juste avant de le lui céder venait en effet d’installer son nouvel observatoire au palais de Cluny. Lalande rend visite à son voisin, Jean André Lepaute, afin d’examiner pour l’Académie des sciences une horloge horizontale que ce dernier vient de fabriquer. Il rencontre Nicole Reine. Lalande aidera Lepaute à publier son ouvrage et prendra toute la mesure des capacités de son épouse en matière de calculs. En 1657, Clairaut qui vérifie les prévisions de Halley au sujet des comètes, a bien besoin de collaborateurs pour l’assister dans les nombreuses opérations de calcul que nécessite son entreprise. Lalande, lui propose pour l’aider de s’adjoindre les services de Reine Lepaute. Dés lors, tous deux vont travailler d’arrache-pied pendant un an, à partir des modèles mathématiques sur lesquels Clairaut travaille.
Ils déterminent, pour une période de cent cinquante ans, les distances de Jupiter et de Saturne à la comète. Clairaut prédit le passage de cette comète pour le 13 avril 1758. En réalité, la comète (de Halley) passera à son périhélie le 13 mars, un mois avant la date annoncée. J.B. Delambre, dans Histoire de l’astronomie au XVIIIème siècle, vante les mérites de Reine Lepaute : « On attendait la fameuse comète de 1759, dont le retour avait été prédit par Halley. Clairaut cherchait de combien de jours les perturbations planétaires devaient altérer ce retour. Lalande lui fournit tous les calculs purement astronomiques dont il avait besoin pour son analyse. En rendant compte de ce travail, il convient lui-même que cette suite immense de détails lui eût semblé trop effrayante, si Mme Lepaute, appliquée depuis longtemps, et avec succès, à ce genre de calculs, n’en eût partagé la fatigue ». L’évènement validera les travaux de Clairaut, qui publie juste après sa Théorie des comètes .
On peut noter qu’il ne cite pas Nicole Reine Lepaute dans la liste des calculateurs qui l’ont aidé, probablement pour ne pas froisser la susceptibilité de son amie du moment, une certaine mademoiselle Goulier. Il froissera en revanche Jérôme de Lalande qui ne collaborera plus jamais avec lui. Lalande engage Nicole-Reine pour l’aider à la réalisation de divers éphémérides, en particulier ceux qui vont être utilisés pour le transit de Vénus de 1761 et qui mobilisa tant d’astronomes. Nicole-Reine Lepaute écrit ensuite quelques mémoires pour l’Académie Royale de Béziers, qui en retour l’élit en tant que membre associé. Son président, De la Rouvière d’Eyssautier, fera son éloge le 13 février 1762 : « Cette savante astronome nous ayant offert les pénibles calculs qu’elle avait faits, avec une table très exacte du lever et du coucher de Soleil sur notre horizon… Nous crûmes devoir admettre cette Dame au nombre de nos associés… Sa lettre de remerciement pleine d’esprit et de modestie, fut lue et applaudie… ».
En 1764, elle calcule l’éclipse annulaire du Soleil prédite pour le 1er avril de la même année pour la totalité de l’Europe. Elle publie à cette occasion une carte qui fait apparaitre, quart d’heure par quart d’heure, l’évolution de l’éclipse ainsi que ses différentes phases. Cette carte est publiée dans la gazette jésuite, les « Mémoires de Trévoux » (juin 1762), et distribuée à Paris à des milliers d'exemplaires. A défaut d’avoir pu la retrouver, je présente (page suivante) la carte de cette même éclipse publiée par Jérôme Lalande dans Abrégé d’astronomie. Elle me semble correspondre dans les grandes lignes à la description qu’il fait de celle de Reine Lepaute, dans La connaissance des mouvements célestes de 1763 (Elle est seulement moins détaillée dans le découpage du temps qui s’y trouve divisé en heures et non en quart d’heure). Ci-dessous, je présente une réduction de cette même carte que j’ai « renversée » horizontalement, afin que l’on y reconnaisse sans difficulté le tracé des continents. Lalande commente: « Pour préparer les astronomes et les curieux à l’observation de cette éclipse, Madame Lepaute a fait graver, d’après ses propres calculs, une carte de l’Europe, depuis le cap Saint-Vincent en Espagne, jusqu’au cap Wardhus en Laponie; on y voit tous les pays de la France en Bretagne, en Normandie et en Picardie où l’éclipse sera centrale et annulaire, tous ceux où le bord de la Lune paraîtra toucher le bord du Soleil, ceux où le Soleil débordera d’un ou de deux doigts, avec la représentation des phases les plus singulières. Cette carte est le résultat d’une très longue suite de calculs faits par la méthode des projections, pour déterminer par longitude et latitude tous les pays de la France où l’on verra cette éclipse sous les différents aspects que je viens d’expliquer. La carte se trouve à Paris, chez Lattré Graveur, rue de la parcheminerie ». Comme on le constate, il s’agit d’une carte dessinée en projection géocentrique sur laquelle il est effectivement difficile de retrouver les contours continentaux, mais où l’on voit très clairement les différentes étapes de l’éclipse, comme elles apparaitront à l’observateur.
Infatigable, Reine Lepaute passe prés de trente années à effectuer des calculs pour Lalande. Comme elle, quelques femmes commencent à se distinguer en Europe. En Italie, les sœurs de l’astronome Eustachio Manfredi, Theresa et Maddalena, aident leur frère à établir les éphémérides de Bologne, tandis qu’à Berlin, ce sont les trois sœurs de Christfried Kirch qui conduisent ces calculs. Dans sa Bibliographie astronomique, publiée en 1803, Lalande témoigne, en ces termes, au sujet de sa fidèle collaboratrice: « Sa société me fut utile et chère; elle m’éloigna des liaisons dangereuses; elle me procura les agréments d’une vie commode avec des gens aimables et instruits, elle supporta mes défauts et contribua à les diminuer. Elle avait assez de caractère pour être impérieuse quand cela pouvait être utile; mais elle avait assez de prudence pour céder, dans les occasions où la résistance eût été dangereuse ». Parmi les contributions de Reine Lepaute à l’astronomie, on peut aussi noter que c’est elle et Lalande qui initient son neveu, Joseph Lepaute D’Agelet, qui devient professeur de mathématiques à l’École militaire. Astronome reconnu, il publiera de nombreuses observations. Élu à l’Académie des sciences en 1785, il embarque en 1788 comme astronome à bord des navires l'Astrolabe et la Boussole, pour un tour du monde avec le navigateur J.F de La Pérouse.
Les deux bateaux sombrèrent à Vanikoro, archipel des iles Salomon, et les membres de l’expédition furent tous portés disparus. Je n’ai trouvé aucun texte remettant en cause quelque qualité de Reine Lepaute. Il semble qu’elle ait été unanimement appréciée et que son travail, bien que demeurant toujours dans l’ombre de grands astronomes, contribua sensiblement à la renommée de ces derniers. Enfin, le plus bel hommage qu’on ait pu lui rendre, fut peut-être celui que le naturaliste Philibert Commerson lui fit en baptisant la rose du Japon, Hortensia , pour rappeler le prénom de cette dernière, dont on dit qu’elle fit tourner, par ses charmes, la tête à plusieurs savants de son entourage. Elle meurt à soixante-cinq ans.