Nicolas Louis Lacaille (1713-1762)

Nicolas Louis de La Caille (1713-1762) est né à Rumigny en Thiérache dans les Ardennes. Sa famille est originaire de Paris, où Pierre La Caille (le premier du nom) était orfèvre vers 1540. Son fils qui se nommait également Pierre eut treize enfants dont douze garçons. L’un de ces garçons qui partit s’installer à Rumigny était le grand père de Nicolas. Le père de Nicolas avait servi dans la garde royale puis quitté son poste pour étudier les sciences et la mécanique, avant de s’établir à son compte et de tenir un moulin à papier. Ses affaires étaient loin d’être florissantes. Le jeune Louis Nicolas passe ses premières années à Rumigny et entre au collège de Mantes sur Seine, où il étudie les sciences humaines. A l’âge de seize ans, il se rend à Paris au Collège de Lisieux (collège parisien fondé en 1335 par l’évêque de Lisieux Guy d’Harcourt, appelé également du nom de son fondateur) où il diversifie ses études en abordant la rhétorique, l’histoire, la mythologie et la littérature latine. Son père meurt lorsqu’il a dix huit ans et le laisse sans ressources, avec pour tout héritage de lourdes dettes. Nicolas  peut achever ses études grâce à la protection du Duc de Bourbon. Brillant élève, il s’inscrit au collège de Navarre, car il envisage de rentrer dans les ordres. Il étudie les mathématiques et, à titre privée, l’astronomie. En 1736, il obtient une maîtrise ès arts et un baccalauréat de théologie. Certains historiens affirment qu’il n’a jamais été ordonné prêtre, mais qu’il fut seulement diacre rattaché à la chapelle du collège Mazarin, bien que plus tard, il devienne connu sous le nom de l’abbé La Caille. A la fin de ses études, Nicolas fait la connaissance de Jacques Cassini et de Jean-Dominique Maraldi (mathématicien et astronome) qui lui proposent un emploi en 1739.

Pour achever les travaux de mesure du méridien que son père avait dû interrompre, Jacques Cassini (Cassini II) missionne son propre fil, César François (dit de Thury) et l’envoie, avec La Caille, effectuer repérages et des mesures entre Paris et Perpignan. En 1641, de retour à Paris, La Caille est élu à l’Académie des sciences et intègre un poste de professeur de mathématiques au collège Mazarin ( appelé aussi collège des Quatre-Nations). Il y installe un petit observatoire qu’il dote de bons instruments. Il tient méthodiquement ses carnets d’observations, dont il rend compte à l’académie. Il travaille plus particulièrement sur l’orbite de la Terre et des planètes, la parallaxe et les catalogues d’étoiles existants. Il rédige également des manuels de mathématiques, mécanique, optique et astronomie qui connaissent un certain succès, au point d’être traduits en plusieurs langues. Je reprends quelques détails de son Abrégé d’astronomie de mathématique et de physique (éd.1764), dans une présentation du menu "Livres anciens d'astronomie" de ce site. La Caille devient correspondant des académies de Berlin, St Petersbourg, Bologne, Londres et de quelques autres. Il commence alors à envisager le projet qui le rendra célèbre: la cartographie du ciel austral, qui jusqu’alors n’avait été que partiellement décrit par Edmond Halley, au retour de sa mission scientifique à l’ile de Saint Hélène entre 1676 et 1678. A l’automne 1750, La Caille se fixe trois objectifs que je livre ici tels qu’il les a définis lui même:

1°: « Déterminer les positions des plus belles étoiles australes ainsi que toutes celles de la 1, 2, 3 et 4ème grandeur, qui sont voisines de l’écliptique. »

2°: « Observer la parallaxe de la Lune, de Mars périgée, et de Vénus en conjonction inférieure .»

3°: « Établir la position du Cap de Bonne espérance, qui est un des points les plus importants de la géographie.»

Il compte qu’une année sera suffisante pour mener ses travaux à leur terme. Il quitte Paris pour Lorient et, le 21 Novembre 1750, le navire met les voiles en direction du Cap. La Caille, qui n’avait jamais navigué subit le mal de mer pendant trois semaines. Après avoir croisé Madère, il fait route pour Rio de Janeiro où il accoste le 26 janvier 1751. Il y séjourne un mois, pendant lequel il effectue une première série d’expériences et d’observations sur la déclinaison de l’aiguille aimantée, la longitude, la hauteur du pôle et la longueur du pendule. Après avoir repris la mer, l’expédition débarque enfin au Cap en avril. La Caille y installe immédiatement un observatoire à partir duquel, il scrutera le ciel austral dans ses moindres détails. Dans son journal de voyage, il décrit son arrivée au Cap: « Je descends à terre à dix heures du matin: nous allons, M. d’Après* et moi, rendre visite au gouverneur, et aux autres principaux officiers qui nous reçoivent avec beaucoup de politesse. M. le Gouverneur, à la vue de mes Lettres, me dit que je puis rester ici en toute liberté. Nous retournons nous coucher à bord … le matin nous allons voir le gouverneur qui nous retient à dîner; l’après midi nous allons faire quelques visites. Nous logeons chez M. Bestbier, capitaine de cavalerie bourgeoise, chez qui je trouve un endroit propre pour observer, en y faisant bâtir un observatoire pour y placer mes instruments ».

Il poursuit: « Mes caisses viennent du bord le matin, je les ouvre, et monte tous mes instruments pour les arranger dans une salle de la manière dont ils doivent l’être dans l’observatoire. M. le gouverneur ordonne que les ouvriers de le Compagnie Hollandaise y travailleront incessamment. Je continue de mettre en place toutes les petites pièces de mes instruments, et je commence à les faire nettoyer ». La Caille repère ensuite les lieux et installe les signaux qui vont servir pour sa mesure du degré. Il parcourt la région du Cap avec des porteurs esclaves et profite de ses déplacements pour effectuer une étude ethnologique sur les Hottentot, qu’on retrouve dans son ouvrage Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espérance. Il croise également des descendants des cent soixante dix huit familles huguenotes qui avaient fui la France, lors de la révocation de l’Édit de Nantes. A l’issue de sa mission, il remet un mémoire au gouverneur du Cap. Dans sa synthèse, il s’exprime en ces termes : « L’Académie Royale des Sciences a travaillé à la mesure de la Terre, depuis son établissement jusqu’à présent. Toute l’Europe a été informée des opérations que les astronomes ont faites sous le cercle polaire boréal, en France et dans le Pérou, pour s’assurer des inégalités des degrés du méridien: et l’on peut dire qu’il ne manquait plus, pour terminer la question de la figure de la Terre, que de voir, si dans l’hémisphère austral, l’inégalité avait lieu, et suivant la même loi qu’on a observé dans l’hémisphère boréal… Placé dans le lieu de l’Afrique le plus prés du pôle austral, comptant sur la protection de la Nation Hollandaise, dont j’ai été assuré par une infinité de preuves, et surtout par l’empressement avec lequel M. le Gouverneur de cette colonie m’a procuré tout ce qui pouvait contribuer au succès de ma mission, je n’ai pu me dispenser, suivant l’intention de l’Académie, de rechercher les moyens d’exécuter cette dernière mesure. J’ai dû profiter du bonheur de me trouver dans des circonstances si favorables, d’autant plus qu’il semble d’ailleurs que les lieux aient été disposés exprès pour y faire les opérations les plus simples, et par conséquent les plus susceptibles de précision… ». En quittant la colonie hollandaise, La Caille navigue vers l’Isle de France, dont  l’Académie lui a demandé une cartographie.

Il débarque en avril 1753 et découvre une île au relief accidenté, couverte de forêts impénétrables, de marais et de vallées profondes, qui rendent la tâche si pénible que plusieurs des ingénieurs qui travaillent avec lui l’abandonnent. Sa cartographie sera d’une précision inégale. Il effectue ensuite un séjour à l’ile Bourbon (la Réunion) et enfin sur le chemin du retour, à l’ile de l’Ascension, où il fait quelques relevés pour la navigation. Parti pour un an, il rentre à Paris au terme d’une expédition qui a duré trois années. Il s’est cependant acquitté des toutes ses missions. Il peut travailler à achever sa carte céleste de l’hémisphère austral. Ce sera la plus complète qui soit.  M. Halley avait observé et défini les positions de seulement trois cent cinquante étoiles et avait ajouté une seule constellation à la vieille cartographie de Bayer qu’il avait baptisée du nom de son Roi. La Caille, complète les espaces de ciel encore vierges de toute dénomination, identifie dix mille trente cinq étoiles et rajoute une quinzaine de constellations. Il ne verra pas son ouvrage sous presses. "Coelum australe stelliferum" ne sera publié qu’en 1763, après sa mort. Pour établir cette cartographie, La Caille avait commencé ses observations le 6 août 1751 et les avait terminées en aout 1752. Il resta devant son télescope dix sept nuits entières et cent dix nuits où les séances duraient huit heures chacune. Ce qui représente pas moins de mille quatre vingt quatre heures d’observation.

Ci-dessus, à droite, la gravure du frontispice figurant dans son Éphémérides des mouvements célestes, publié en 1763.

Dans le discours de l’abbé Cartier, qui préface son journal de voyage, on lit « Ce travail lui coûta des peines infinies: il eut d’abord le sommeil à combattre dans des circonstances qui semblaient le provoquer. A l’issue de chaque séance, il lui fallait comparer toutes les étoiles observées, à deux étoiles des plus remarquables, dont il devait déterminer la position par de nouvelles observations. Après quelques heures de repos, il rédigeait pendant le jour les opérations de la nuit… Le 17 février il s’éleva au Cap un brouillard épais et malsain. Ce brouillard fut suivi d’une épidémie générale qui causa des rhumes; des fièvres, des courbatures, des rhumatismes, des maux de tête, et toute espèces d’incommodités qui ont coutume d’annoncer les maladies d’humeur. L’Abbé de la Caille éprouva toutes les suites de cette intempérie… Dans une lettre qu’il écrivit à Maraldi, il parle de deux saignées qu’on lui avait faites, et qui cependant n’avaient pas interrompu le cours de ses observations… Le 23 septembre il fut attaqué d’une dysenterie violente, qui n’interrompit pas le cours de ses travaux; il trouva la santé dans une diète, sans manger ni boire l’espace de cinquante heures ». On imagine aisément le régime qu’enduraient les explorateurs de l’époque. Pour finir, je citerai un extrait de l’éloge de la Caille, lu à l’Académie des sciences par Jean Sylvain Bailly: « Ennemi de la flatterie, il savait qu’elle ne loue guère la vertu. Il a rempli ses fonctions de professeur au collège Mazarin avec le plus grand scrupule Plusieurs accès de goutte ne l’ont point empêché de donner ses leçons, et il n’y a manqué que les dix derniers jours de sa vie, lorsque les efforts réunis de tous ses amis, et l’accablement de la maladie ne lui permirent plus de sortir de son lit. C’est ainsi que sa probité délicate étendait la chaine de ses devoirs. Son père en mourant, n’avait laissé que des dettes. L’abbé de la Caille se crut dans l’obligation de les payer, et ne cessa d’épargner sur ses appointements modiques, jusqu’à ce qu’il eût donné cette marque de respect à la mémoire de son père ».

La Caille restera un des grands astronomes du XVIIIème siècle. Les illustrations de cette page montrent quelques constellation qu’il a crées. 

* Jean Baptiste d’Après de Mannevillette (1707-1780), Hydrographe et navigateur, capitaine du vaisseau de l’expédition « Le Glorieux ».