Joseph Nicolas Delisle (1688-1768)

Louis Joseph Nicolas Delisle dit « le cadet » (1688-1768) est né à Paris. Il est le fils de Claude Delisle (1644-1720) qui eut onze ou douze enfants, dont seulement cinq (quatre fils et une fille) atteignirent l’âge adulte. Claude Delisle était cartographe et occupait en outre la charge de « censeur royal ». Il était chargé de lire des ouvrages en attente d’impression et de se prononcer quand à l’autorisation de publication et l’attribution de privilèges royaux. La famille Delisle se distingue en matière d’histoire et de géographie. Un des frère de Nicolas, Guillaume (1675-1726) fut premier cartographe du Roi Louis XV, un autre, Simon-Claude (1676-1726) fut historien; le troisième, Louis (1687-1741) cartographe, disparut au Kamtchatka avec l’expédition Béring. Le jeune Joseph Nicolas passa son enfance au sein d’une famille recomposée. Ayant perdu sa mère durant sa tendre enfance, il grandit en compagnie de la seconde épouse de son père, fille d’un avocat. Il fait ses études au Collège Mazarin de Paris et s’oriente rapidement vers l’astronomie. Jean baptiste Delambre (p.164 et 165) raconte que la vocation de Delisle est née en 1706, suite à l’observation d’une éclipse de Soleil qui lui aurait donné envie d’être capable de prédire ce genre d’évènements. Delisle fait son apprentissage d’astronome auprès de Jacques Lieutaud (1660-1733), adjoint à l’Académie des sciences et principal rédacteur de la Connaissance des temps de 1702 à 1729. En 1710, il est autorisé à habiter le dôme situé au dessus de l’entrée du Palais du Luxembourg, il y installe son premier observatoire. A partir de 1712, il effectue des observations astronomiques régulières. Âgé de vingt six ans, il entre à l’Académie des sciences comme élève astronome, sous la tutelle de Maraldi. Il fréquente également l’Observatoire de Paris où Jean-Dominique Cassini requiert son aide pour l’élaboration de  tables astronomiques.

Avide de connaissances, il acquiert un savoir encyclopédique dans divers domaines scientifiques. Il correspond avec de nombreux savants et conforte de ce fait sa renommée à travers l’Europe. En 1717, il devient professeur au Collège de France, lorsqu’il rencontre Pierre 1er de Russie, alors en visite à l’Observatoire de Paris. L’astronome fait parvenir au Tsar un mémoire comprenant le détail d’un programme d’étude à conduire en astronomie et en géographie. En 1721, Pierre 1er qui œuvre pour la grandeur et le rayonnement de son pays, invite Delisle à rejoindre l’Académie de Petersbourg, avec pour mission d’y équiper un observatoire astronomique. A une époque où prévaut encore le cartésianisme, Delisle affiche ses positions favorables aux théories de Newton, ce qui, compte tenu de sa condition modeste, lui interdit d’envisager de faire carrière en France. Acceptant l’invitation du Tsar, il signe donc en 1725 un accord avec le Prince Boris Kourakine, représentant de la Russie à Paris. Le Tsar meurt la même année, mais son épouse Catherine II, maintient tout le crédit qu’accordait son défunt époux à Delisle. Louis XV lui donne l’autorisation de, je cite: « Passer en Russie et d’y exécuter les ordres de la Csarine ». 

Delisle arrive à Petersbourg en Mars 1726, pour un séjour qui va durer seize ans. En 1727, il devient membre de l’Académie de Petersbourg où il dispose de crédits pour la mise en place de l’observatoire, ainsi que pour financer ses multiples déplacements et ses recherches. L’observatoire devient vite renommé. Voici ce qu’en dit Jérôme de la Lande: « L’observatoire de Petersbourg, bâti en 1725, est un des plus magnifiques de l’Europe: il a 131 pieds, 4 pouces, de hauteur, avec trois étages propres à observer, et il tient le milieu du bâtiment superbe de l’Académie Impériale de Petersbourg. M. de l’Isle y a fait pendant vingt ans une quantité prodigieuse d’excellentes observations qui sont encore manuscrites, mais dont j’ai parlé plusieurs fois dans cet ouvrage…».

Delisle, convaincu que la connaissance de l’histoire de l’astronomie peut permettre de faire progresser cette science, écrit au président de l’Académie de Petersbourg: « L’astronomie est remplie d’un grand nombre de belles imaginations et d’inventions singulières, dont la peinture peut de beaucoup contribuer à inspirer le génie qu’il faut pour la perfectionner  par de nouvelles découvertes … J’ai dessein de composer un traité complet d’astronomie pour servir d’instruction à ceux qu’une pareille ardeur que celle que j’ai pour l’étude des choses célestes portera à aller plus loin que moi… »  A cet effet, il entreprend de réunir un grand nombre de livres et  manuscrits, provenant de toutes les régions du monde. Vers 1738, il réalise cependant que l’entreprise, telle qu’il l’avait imaginée initialement est trop lourde pour un seul homme. Il se résout alors à ne publier qu’une série de Mémoires. Dans la préface de son ouvrage, il manifeste le souhait que son travail puisse, je le cite:  « aider à composer dans la suite un traité complet d’astronomie ». Au Collège de France, il eut pour élèves Grandjean de Fouchy (1707-1788) qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, ainsi que Charles Messier ou Jérôme de Lalande. Ce dernier saura d’ailleurs exploiter une partie des documents laissés par son maitre. On notera à cette occasion que deux élèves de Lalande, Jean Sylvain Bailly (1736-1793) et Jean Baptiste Delambre perpétueront à leur tour cette même démarche en publiant chacun des ouvrages de référence sur l’astronomie. Nombre de biographes paraissent davantage attachés à la seconde partie de la carrière scientifique de Delisle et de ce fait tendent à minimiser ses travaux durant la « période russe  ». Delambre porte un jugement critique sur cette période, écrivant à propos de son travail de collecte et de documentation: «Il paraît avoir eu par-dessus tout le goût des collections et des manuscrits, qu'il prisait plus à raison de leur rareté que de leur mérite réel». Ce même biographe n’est guère plus tendre en ce qui concerne l’œuvre de l’astronome: «Tout ce qui est resté de lui, c'est sa manière de calculer le lieu héliocentrique des taches, sa manière de calculer les passages de Mercure et de Vénus et de déterminer par la projection stéréographique les courbes d'entrée et de sortie pour tous les lieux de la Terre, méthode que Lagrange a depuis soumise au calcul, quoiqu'elle ne soit qu'approximative et qu'elle ne soit même bonne que pour faire des cartes…». Grandjean de Fouchy, semble être beaucoup moins critique envers son ancien professeur. Ainsi, dans son éloge, publié en 1768 on peut lire : «C'est à lui, que l'Académie doit la plus grande partie des Astronomes qui ont contribué, et qui contribuent encore à sa gloire : M. Godin, M. Buache... Mrs l'abbé de La Caille, Le Gentil, de La Lande, Messier et plusieurs autres, ont été formés par lui ou par ses élèves. J'hésiterai à joindre ici mon nom à ceux que je viens de prononcer, si la reconnaissance me permettait de taire qu'il avait bien voulu me rendre à moi-même ce service et m'ouvrir l'entrée de la carrière astronomique...». Un article intitulé «Joseph Nicolas Delisle», rédigé par Mme Nina Newskaja, chercheur à l’université de St Petersbourg (ex Leningrad) et publié dans la Revue d’histoire des sciences (1973), évoque ainsi la période où Delisle a travaillé en Russie.  A propos d’astrométrie, elle explique que Delisle fut le premier à instaurer «le service de l’heure» et que: «Depuis, tous les jours un coup de canon signale l’heure de midi aux habitants de Leningrad. Delisle s’occupa de l’organisation des calculs préliminaires et du traitement des observations antérieures concernant l’évaluation de la parallaxe du Soleil et de la Lune… (entreprise au Cap par Lacaille, à Berlin par Lalande, à Londres par Bradley et à Petersbourg par Grishow)… Delisle dirigea l’organisation du passage de Vénus devant le disque du soleil en 1761 et en 1769 ». Pour le premier passage, il dessina une mappemonde qu’il transmit à plus d'une centaine de correspondants (C’est lors de ce passage de 1761 que Jean Chappe de Auteroche effectua un voyage à Tobolsk en Sibérie, en compagnie d’astronomes de Petersbourg). Delisle : «Si nous laissons échapper cette occasion, cela ne saurait être ensuite compensé, ni par les efforts de génie, ni par la constance des travaux, ni par la magnificence des plus grands rois ; moment que le siècle passé nous enviait, et qui serait dans l’avenir, j’ose le dire, une injure à la mémoire de ceux qui l’auraient négligé.»  Delisle évoque l’influence de Kepler en mécanique céleste, un de ses domaines préférés. Nina Newskaya écrit encore: «Les procès-verbaux des séances de la Conférence académique montrent que Delisle y présenta de nombreux rapports qui reçurent un excellent accueil auprès de la jeunesse académique qui appréciait leur profondeur, la variété des faits relatés et leur caractère très vivant. Pendant ses conférences Delisle proposait souvent divers problèmes à résoudre. D. Bernoulli, L. Euler, Ch. Mayer, G. W. Krafft et d'autres participaient régulièrement à ces concours originaux dont les résultats étaient en général discutés en détail...Le registre de prêt tenu par le bibliothécaire de Petersbourg J. D. Schumacher (1690-1761) révèle que les livres de Newton, Kepler, Euclide, Huygens et d'autres étaient les plus fréquemment empruntés par J.-N. Delisle, L. Euler, D. Bernoulli, G. W. Krafït, Ch. Mayer et d'autres. La popularité de Delisle auprès des jeunes contribua certainement à augmenter l'intérêt de ces derniers pour l'histoire, la langue et la culture de la France, ce qui est confirmé par les notes de Schumacher qui mentionnent le prêt de grammaires et de dictionnaires de français, d'ouvrages sur l'histoire de France, d'œuvres de Molière, Corneille et Racine, auteurs préférés de Delisle ».

Delisle attachant une grande importance à l’élaboration d’une théorie du mouvements de la Lune et des planètes, avait placé cette tâche en tête de son programme de travail à Petersbourg. Nina Newskaja précise: «Il est probable que c'est Delisle qui suscita l'intérêt d'Euler pour la théorie du mouvement de la Lune, qui fut également étudiée par Christian Mayer (1697-1729), N. I. Popov et d'autres élèves de Delisle. La théorie du mouvement de la Lune d'Euler permit à Tobias Mayer (1720-1782) d'élaborer ses célèbres tables... Les nombreux travaux consacrés à cette époque à l'étude de la Terre, des planètes et de leurs satellites étaient liés à l'élaboration et à la vérification des tables astronomiques. En 1724, lors d'un séjour de Delisle à Londres, E. Halley lui avait offert un exemplaire de ses tables qui n'étaient pas encore publiées, en le priant de les vérifier. Delisle mit plusieurs années à réaliser ce travail avec l'aide de ses collègues de Petersbourg». Delisle qui ne s’était pas jusqu’alors intéressé aux comètes eut l’occasion d’en observer en 1742 et en 1744 . Aidé de Heinsius, il entreprit d’étudier leur mouvement. Parallèlement, sur les bases d’observations  effectuées par des astronomes de Berlin, Euler conclut que l’orbite de la comète de 1744 était une hyperbole de forte divergence. Il écrivit à Delisle une lettre dans laquelle on peut lire: «Je soupçonne que M-r Halley se soit trompé assez sensiblement par rapport à quelques comètes, qu'il a calculées dans l'hypothèse parabolique… » Delisle répondit : «J'ai de la peine à croire... que l'on puisse à présent par les observations d’une seule apparition d'une comète de montrer qu'elle décrive plutôt une ellipse ou hyperbole qu'une parabole».  Delisle ainsi se trouva en étroite liaison avec Euler qui publia sa Théorie physique des comètes, qui eut pour effet de rallier Jacques Cassini à la théorie de Newton, qu’il avait toujours rejetée jusque là au profit des tourbillons de Descartes. Lors d’un voyage qu’il effectua à Londres en 1724, Delisle rencontra Newton qui l’incita à se pencher sur les phénomènes de réfraction observés lors d’éclipses. Ainsi, l’Académie de Petersbourg permit à Delisle de continuer ses recherches sur la théorie ondulatoire de la lumière et des couleurs. En 1738, il publia un article: Expériences sur la lumière et les couleurs, qui reprenait le détail de deux cent cinquante sept expériences montrant sans équivoque l’existence de la diffraction de la lumière pour laquelle il découvrit plusieurs lois. Delisle s’intéressa par voie de conséquence à la structure de l’œil humain, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité optique des lunettes qui présentaient alors des défauts sensibles de chromatisme. Euler tentera par la suite de définir une théorie de l’achromatisme, fondée sur l’idée que l’on put fabriquer un système optique achromatique en le calquant sur celui de l’œil humain. Dans l'article relatif à Urbain le Verrier,  j’évoque la mise en place de stations d’observations météorologiques . Delisle n’est pas étranger à ce programme, en ce qu’il portait une attention particulière à l’étude de l’atmosphère terrestre et en particulier à la réfraction atmosphérique qui engendrait la nécessité d’avoir à faire de nombreuses corrections, concernant l’observation de certains phénomènes ou lors de relevé astrométriques. Nina Newkaya précise ainsi: « Il est intéressant de noter que l'idée d'organiser un réseau permanent de stations météorologiques faisant des observations systématiques avec des instruments identiques, d'après un programme commun et sous la direction d'un centre unique, appartient elle aussi à Delisle. Dans le cadre de ce projet il fournissait des instruments de même type, construits par lui-même, à de nombreux observateurs de tous les coins de Russie qui lui envoyaient ensuite, à Petersbourg, leurs observations . Ces observations étaient ensuite comparées avec celles faites en France (Jean-Jacques Dortous de Mairan) et en Suède (Anders Celsius)  En collaboration avec de Mairan et Celsius, Delisle organisa une sorte de service du Soleil en vue de l'observation systématique des taches solaires… ». Delisle avait également inscrit dans ses programmes de recherche la géographie et la cartographie qui aboutit à la publication en 1745 d’un Atlas de l’Empire russe. Vers 1740, la situation politique devint incertaine en Russie. Delisle inquiet fait état de ses brouilles avec l’Académie. Dans une lettre qu’il écrit à Celsius on peut lire: «Depuis mon voyage en Sibérie, les choses se sont passées de telle manière ici, que j’ai été obligé de me séparer du reste de l’Académie, et d’interdire depuis près d’une année l’entrée de l’Observatoire à M. Hensius ». Souhaitant rentrer en France, il entre en contact avec Maurepas alors ministre de Louis XV. On lui attribue une pension annuelle de 3.000 livres, ainsi qu’un poste d’astronome « En échange de ce qu’il avait recueilli pendant son séjour de vingt ans en Russie ». Compte tenu de ses longues années d’absence l’Académie des Sciences de Paris lui avait retiré une partie de ses droit d’académicien. « Vétéran », il n’était alors autorisé qu’à assister aux séances et à publier ses mémoires aux cotés de ceux des membres à part entière de cette académie. De retour de Russie sans avoir y fait fortune, il s’installa un observatoire sur l’Hôtel de Cluny où deux jeunes astronomes, Messier et Lalande faisaient leurs premières expériences d’observation. Messier deviendra même secrétaire de Delisle à qui on restituera ses droits d’académicien en 1761. Il conservera jusqu’en 1763 sa charge de professeur au collège Royal, mais sera contraint de démissionner pour laisser sa place, ironie du sort, à son ancien élève Jérôme de Lalande. Il mourut dans un tel dénuement que Messier et un de ses collègues durent payer sa sépulture de leur poche, pour lui éviter la fosse commune.