Jean Chappe d'Auteroche (1728-1769)

Jean Chappe d’Auteroche (1722-1769) est né dans le Cantal. Son père Jean, issu de la noblesse auvergnate, est baron d’Auteroche et conseiller du roi. Sa mère, Madeleine, est la fille de Pierre de la Farge, major du Régiment Royal de carabiniers (à titre anecdotique, j'ai très bien connu Guy de la Farge, décédé en 2016 au château de Burc dans le Cantal où il résidait. Il fut très surpris lorsque je lui rendit visite et lui appris son lien de parenté avec Jean Chappe d'Auteroche ).

Jean débute ses études au collège jésuite de Mauriac. Comme Il est doué pour le dessin et les mathématiques, ses maitres l’envoient au collège Louis-le-Grand de Paris, également sous l’autorité des jésuites. Jean y fait la connaissance du Chartreux Dom Germain, qui selon Denis Diderot (œuvre complètes, tome IV p. 142): « fabrique des horloges, des télescopes et effectue des observations météorologiques pour l’Académie ». Ce religieux crée aussi des ballets pour la reine et ne dédaigne pas d’entonner indifféremment, des chants religieux ou profanes. Mesurant les capacités du jeune Chappe, il lui enseigne les mathématiques et l’astronomie. Chappe consacre alors toutes ses nuits à l’étude du ciel. Parallèlement, le père De la Tour, principal du collège qui détecte ses talents, parle de lui à Cassini de Thury à qui il montre certains de ses travaux. Ce dernier lui confie l’exécution de quelques plans de demeures royales. Assuré de ses compétences, il le fait travailler sur la carte de France et sur une traduction des tables astronomiques de Halley. Chappe les publie en 1752 et y adjoint ses propres commentaires. L’année suivante, le roi Louis XV ordonne une levée de plans en Lorraine. Cette fois, l’abbé Jean Chappe dirige les travaux sur le terrain. A son retour il fait un compte rendu à l’Académie, où il est admis en tant qu’adjoint. Il y remplace Jérôme de Lalande promu associé. En 1760, deux comètes font leur apparition, Jean Chappe les observe avec assiduité et en tire une théorie.

A cette époque le passage de Venus devant le Soleil agite la communauté des astronomes. Mais, il y a un inconvénient de taille. Pour bénéficier des conditions optimales, les observations doivent se faire en des points du globe déterminés par les calculs et souvent fort éloignés. Un des ces lieux se situe aux confins de la Sibérie, à proximité de Tobolsk, où règne un des climats les plus froids que l’on connaisse. Chappe, est missionné pour y observer l’évènement. Il quitte la capitale en novembre 1760. Un mois plus tard, arrivé à Vienne, il a une entrevue avec l’empereur puis il rejoint la Pologne où il est présenté au Roi Auguste III. Il continue son voyage vert l’est en direction de St Petersbourg qu’il atteint en février 1761. L’impératrice Élisabeth 1ère le reçoit avant qu’il n’entame un périple en traineau de plus de trois mille deux cents kilomètres, à travers des routes à peine tracées, sous des températures de - 40°C. En lisant ses récits de voyage, on s’interroge sur qui, de l’astronome ou de l’explorateur, put faire preuve d’une telle témérité pour affronter d’aussi hostiles contrées.

Le 10 avril, il arrive enfin à Tobolsk. Le gouverneur Ismaëlof lui fait aussitôt bâtir un observatoire. Chappe installe ses instruments et observe deux éclipses de Lune et de Soleil avant le 5 juin, date où tout est en place pour observer le passage de Vénus. Soudain, au début de la nuit, le ciel se couvre, Chappe désespéré commente dans son journal Voyage en Sibérie fait en 1761, contenant les mœurs et usages des Russes, la géographie, l'histoire naturelle, les observations astronomiques de ces contrées, publié en 1768: « Je ne fus pas heureux longtemps. Étant sorti vers dix heures pour en jouir dans le silence, je fus anéanti à la vue des brouillards qui privaient les étoiles d'une partie de leur lumière. Consterné, je parcours l'horizon: des nuages se forment déjà de toutes parts; ils deviennent plus épais à chaque instant; l'obscurité de la nuit augmente, le ciel disparaît, et bientôt tout l'hémisphère, couvert d'un seul et sombre nuage, fait évanouir toutes mes espérances, et me plonge dans le désespoir le plus affreux ». Il poursuit: « L’observation de ce passage offrait à l'univers pour la première fois, le moyen de déterminer avec exactitude la parallaxe du Soleil. Ce phénomène attendu depuis plus d'un siècle, fixait les vœux de tous les astronomes: tous désiraient d'en partager la gloire ».

« Dans l'affreux désespoir où j'étais, je ne jouissais même pas de la faible consolation de voir quelqu'un qui y prît part. Tout ceux qui m'accompagnaient en avaient été les témoins: ils étaient rentrés dans l'observatoire où je les trouvais dormant du plus profond sommeil. Je les éveillais tous; ils me laissèrent seul; j'en étais moins malheureux » Heureusement, le ciel devient plus clair juste avant l’instant du transit et Chappe put effectuer ses relevés avec toute la précision nécessaire (ci- contre, à gauche). A son retour, il séjourne à St Petersbourg et reçoit une offre de l’Impératrice qui lui propose de diriger une école d'astronomie à l'Académie des sciences de Russie. Il refuse courtoisement la proposition et rentre en France. Son mémoire permet une détermination très précise de la parallaxe du Soleil. Ses carnets de voyage particulièrement documentés sont empreints d’un réalisme qui prête parfois à sourire. On y lit, par exemple, la manière dont les sibériens le perçoivent: « Les habitants de cette ville, peu accoutumés à voir des étrangers, avaient été étonnés de mon arrivée: ils avaient vu mon observatoire s'élever aussitôt; il était d'une forme très différente de celle de leurs bâtiments. Ils y trouvèrent du mystère. Sa situation sur une montagne, d'où je découvrais tout l'horizon, les surprit beaucoup. Il était d'ailleurs à un quart de lieue de la ville. Ils formèrent d'abord des conjectures vagues et fort bizarres: mais à la vue d'un quart de cercle, des pendules, d'une machine parallactique, d'une lunette de dix-neuf pieds, instruments absolument nouveaux pour eux, ils ne doutèrent plus que je ne fusse un magicien. J'étais occupé toute la journée à observer le Soleil pour régler mes pendules et essayer mes lunettes. La nuit j'observais la Lune et les étoiles: je faisais usage surtout d'une petite lampe placée à mon quart-de-cercle, pour voir les fils du micromètre; je ne revenais quelquefois à la ville que le matin, très fatigué; et le désordre de ma toilette, dont je m'étais peu embarrassé, les confirmait dans l'idée qu'ils avaient de moi ».

A Paris, Jean Chappe observa principalement, pendant six années, des éclipses de satellites et la planète Mercure. Il a obscurci les murs de son cabinet et rallongé sa lunette d’un tuyau deux pieds de long sur lequel il adapte un diaphragme de six lignes (1/12ème de pouce) d’ouverture. Il étudie les propriétés du tonnerre et de la foudre et fait sa dernière publication en 1766. Il observe encore l’éclipse de Lune du 4 janvier 1768, alors qu’il prépare déjà un voyage. En effet, il propose à l’Académie de se rendre en Californie mexicaine, au cap San Lucar, à l’occasion d’un nouveau transit de Vénus, prévu le 3 juin 1769, et l’institution venait de lui donner son accord. Il quitte Paris pour Cadix où il embarque sur un navire espagnol en partance pour Veracruz. Aussitôt arrivé, il gagne la Californie grâce à l’assistance du vice roi du Mexique, Don Carlos Francisco de Croix. Il atteint San Lucar dix neuf jours avant la date du transit. Malheureusement, une épidémie de fièvre jaune sévit dans la région, qui ne va pas l’épargner. Trois jours après l’observation, il écrit: « Je sens bien qu’il faut finir et que je n’ai que peu de temps à vivre, mais j’ai rempli mon objet et je meurs content ». (ci-dessus, funérailles de Chappe en Californie).

Les précieux relevés de l’astronome nous sont parvenus, grâce à l’ingénieur et géographe français Pauly, seul survivant de l’expédition. L’abbé Chappe (Oncle de Claude Chappe qui, en 1791, inventa le télégraphe qui porte son nom) était un homme de petite taille, assez bedonnant, au tempérament robuste et vif, doublé d’un cœur noble, franc et naturellement gai. Il avait eu quelques échanges personnels avec le Roi qui exprima ses regrets à l’occasion de sa disparition. Charles Messier occupera son poste d’adjoint astronome laissé vacant.