François Arago (1786-1853)

François Bonaventure Arago est né à Estagel. Orphelin de père à l’âge de 18 mois, il est pris en charge par un oncle prêtre qui veille à lui donner une bonne éducation et, bien que destiné à être agriculteur comme l’étaient ses parents, il devient bachelier en droit à l’université de Perpignan. Diplôme en poche, il revient dans son village natal où il s’établit et fonde une famille qui comptera onze enfants (dont trois filles mortes à la naissance). En 1781, François Bonaventure est élu consul puis, cinq ans plus tard, premier consul.
C’est dans ce petit village catalan que nait Dominique François Jean Arago (1786-1853). Après la révolution, la population témoigne sa confiance à son père en l’élisant maire le 7 février 1790. Les Arago traversent la tourmente révolutionnaire non sans heurts; les excès du pouvoir parisien et la déchristianisation laissent des traces dans cette famille où la religion a son importance. Lorsque Napoléon prend le pouvoir, les Arago sont établis à Perpignan. François Bonaventure est fonctionnaire et occupe le poste de caissier de la monnaie. Son salaire ne lui permet pas de subvenir aux besoins de sa progéniture, bien que l’éducation qu’il a lui-même reçue influence probablement son désir de faire faire des études à ses enfants. Dépourvu de moyens, il n’a donc d’autre recours que de tenter de développer son réseau relationnel. Ainsi, il rencontre Pierre Méchain venu faire des relevés topographiques dans la région et se lie d’amitié avec le mathématicien Jean-Nicolas Hachette (1769-1834) qui accueillera son fils François à Paris. La vie de François Bonaventure Arago fut bien remplie, comme le rappelle François Sarda dans une biographie consacrée à la famille Arago, dans laquelle il écrit que François Bonaventure fut, tour à tour: « citoyen paysan, maire royaliste, militant du renversement de la monarchie, combattant révolutionnaire, fonctionnaire établi sous le Consulat et l’Empire », mais surtout, toujours soucieux et prêt à tous les sacrifices pour assurer à ses nombreux enfants les meilleures chances de réussite. Il meurt d’ailleurs d’épuisement en 1814, alors que Napoléon vient de céder son trône aux Bourbons. Son épouse Marie vivra, quant à elle, jusqu’à l’âge de quatre-vingt dix ans.

D’après les rares témoignages de l’époque, il semble que François Arago ait rapidement appris à lire et à écrire à l’école d’Estagel. Lorsque ses parents s’installent à Perpignan, vers 1796, il entre comme externe au collège et étudie la littérature, domaine dans lequel il apparait toutefois comme un élève assez ordinaire. Sa vocation pour les études vient d’une rencontre fortuite qu’il fait en se promenant du côté de le citadelle de Perpignan où il interpelle un jeune officier (Jacques François Célinie de Cressac) et l’interroge à propos de l’épaulette galonnée qu’il porte sur son uniforme. Le jeune officier lui répond alors: « je sors de l’École Polytechnique ». Il n’en faut pas plus pour que François se renseigne sur les programmes d’études de cette institution, fondée quelques années auparavant sous le nom « d’École centrale des travaux publics » et qu’il décide sur ces entrefaites d’abandonner ses études littéraires pour se consacrer aux mathématiques en vue de préparer le concours d’entrée à Polytechnique. En 1802, François a seize ans et se sent prêt à affronter les épreuves; mais le concours qui devait se passer à Toulouse est finalement déplacé sur Paris, en raison de l’état de santé de l’examinateur, Louis Monge (frère du mathématicien Gaspard Monge qui contribua à la mise en place de l’École Polytechnique sur les directives du Comité de Salut Public) Malheureusement, les parents de François ne disposent pas de l’argent nécessaire pour financer le voyage de leur fils qui se voit contraint de renoncer à l’épreuve, jusqu’à l’année suivante. En 1803, Pierre Méchain, membre de l’Académie des sciences, de retour des Baléares où il travaillait à la mesure du méridien, profite de son passage à Perpignan pour venir saluer le père de François dont il avait fait la connaissance quelques années auparavant. Bonaventure Arago lui parle des projets de son fils et ose lui demander une lettre de recommandation. Méchain lui avoue avec franchise qu’il pense que la préparation du jeune homme est insuffisante. Malgré cet avis, François ne renonce pas et, le 1er octobre 1803, il se rend à Toulouse pour passer le concours auquel il est reçu.

Le prix des pensions à Paris dépasse les moyens de la famille Arago, c’est alors que Jean Nicolas Hachette, accueille le jeune homme chez lui, tout en l’aidant à aborder ses études. François fait la connaissance de Siméon Poisson (1781-1840) un co-pensionnaire qui, lui aussi, étudie à l’École Polytechnique et qui deviendra un des plus grands mathématiciens de son siècle. Les deux hommes qui travaillent ensemble deviennent amis. Un concours de circonstances permet alors à Arago d’approcher Pierre Simon de Laplace, auteur de la Mécanique céleste, alors au sommet de sa gloire et maître à penser du monde scientifique. Ce dernier se montre particulièrement prévenant à l’égard du jeune étudiant et lui propose un poste, certes modeste mais rémunéré, à la bibliothèque de l’Observatoire. Arago partage désormais fréquemment la table de Laplace; ainsi, en quelque mois, se retrouve t’il du statut de simple lecteur à celui de protégé de l’illustre astronome. Il fait la connaissance de toute une communauté d’hommes de sciences et en profite pour étudier leurs travaux et effectuer lui-même ses premiers investigations personnelles. D’autre part, la Mort de Méchain avait interrompu les mesures de la méridienne, visant à établir une unité de mesure unique (le mètre, défini comme la quarante millionième partie du méridien terrestre). Arago et Biot (1774-1862). Physicien astronome et mathématicien, précurseur dans l’utilisation de la lumière polarisée), collègues et amis, se proposent d’achever la tâche de Méchain. L’Empereur Napoléon 1er décide de financer l’opération et confie à Laplace le soin de s’occuper de la mettre en œuvre. Ce dernier désigne Biot et Arago pour effectuer les opérations. Après de longs préparatifs, la mission débute en septembre 1806. Comme des relevés doivent être effectués sur le territoire espagnol, le gouvernement de ce pays désigne deux commissaires pour accompagner les Français et garantir leur sécurité. Arago est loin d’imaginer que cette expédition durera trois années et qu’il manquera à plusieurs reprises d’y perdre la vie. Durant cette expédition, Biot se rend à Paris pour restituer les avancées de la mission. Le travail remarquable qu’effectue Arago lui vaut d’être nommé au poste d’adjoint au Bureau des Longitudes en remplacement de Jérôme Lalande. Arago est à l’ile de Majorque lorsque la guerre éclate entre la France et l’Espagne. Les feux de triangulation qu’il allume pour effectuer ses mesures sont pris, par les Majorquins, pour des signaux à l’attention des navires militaires français. Arago considéré comme un espion est pourchassé. Il est retenu prisonnier durant six mois et, bien qu’il ne soit pas maltraité, il apprend qu’en France on le croit mort. Il parvient alors à s’enfuir dans un bateau en partance pour Alger d’où le consul de France lui octroie un passeport et le fait embarquer sur un navire marchand algérois pour rejoindre Marseille. Malheureusement les mésaventures d’Arago ne sont pas finies. Un corsaire espagnol s’empare du bâtiment peu avant son arrivée à Marseille et Arago se retrouve une nouvelle fois emprisonné au fort de la Trinité à Figueras. Par miracle, il parvient à préserver ses précieux cahiers de relevés. Une multitude de péripéties vont encore lui arriver qui le conduiront de nouveau en Algérie, à Bejaïa (Bougie), où il devra faire croire à sa conversion à la religion musulmane pour regagner Alger sans encombre. Il rentre enfin à Marseille le 2 juillet 1809 où il est maintenu en quarantaine. Durant ce séjour forcé, il reçoit un courrier d’Alexandre Von Humboldt qu’il ne connait encore que de nom, mais auquel il va vouer une amitié indéfectible. De retour à Paris, il remet ses précieux travaux au secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, Jean Baptiste Delambre. Le 18 septembre de la même année, il est élu membre de l’Académie des sciences et reprend sans attendre ses travaux sur la vitesse de la lumière et l’aberration des étoiles. Le 11 septembre 1811, il épouse Lucie Besombes, originaire de Rivesaltes, qui lui donne trois enfants. L’année suivante, il est nommé professeur-adjoint à Polytechnique puis, en 1816, il devient à part entière «professeur d’analyse appliqué à la géométrie, de géodésie et d’arithmétique sociale ». Les postes et fonctions qu’il occupe permettent à Arago d’entretenir un important réseau relationnel et d’asseoir sensiblement une position de plus en plus influente.

Car Arago est bien sûr un scientifique, mais aussi un homme de pouvoir. Il travaille sur la polarisation de la lumière et met en évidence la « polarisation colorée » et la « polarisation rotatoire » pour lesquelles il concevra et fera réaliser bon nombre d’instruments de mesure optique. Il se rapproche du jeune Augustin Fresnel (1788-1827. physicien, inventeur d’une lentille qui porte son nom et instigateur de la mise en place de l’optique ondulatoire), avec qui il remet en cause les théories de Newton et de Laplace, convaincu que la lumière n’est pas composée de corpuscules mais formée d’ondes. Arago soutient son ami Fresnel qui fera de nombreuses autres découvertes qui lui vaudront son élection à l’Académie de Sciences et à la Royal Society. François Arago est un travailleur infatigable. Vers 1820, il collabore avec André Marie Ampère (1775-1836. Mathématicien et physicien qui laisse son nom à l’unité de courant électrique et énonce la théorie de l’électromagnétisme) et invente avec lui l’électro-aimant (gravure ci-contre).

Vers 1822, ses recherches se portent sur la propagation des sons et la pression. Avec le concours de Louis Joseph Gay-Lussac (1778-1850), chimiste et physicien qui détermine les propriété des gaz, de son ami Alexandre Von Humboldt et de quelques autres scientifiques, il effectue une expérience nocturne qui consiste à tirer des coups de canon à intervalles réguliers de cinq minutes et à demander à des observateurs distants de mesurer les écarts entre les éclairs et les déflagrations produites par les tirs de la pièce d’artillerie. Les résultats font apparaître que les sons parviennent aux observateurs à une vitesse de 340 m/s, lorsque la température est de 15,9°C. Arago est sollicité de toutes part en raison de ses connaissances pluridisciplinaires, il occupe de surcroit une position éminente à l’Académie, au point de décider lui-même lui des publications ou des mises au placards des divers travaux qui y parviennent. Sans titre particulier, il domine de fait cette institution, ce qui n’est pas sans générer des jalousies, y compris de la part de son maître Laplace, à la mort duquel il investira naturellement son poste à la direction de l’Observatoire. Il enseigne l’astronomie et ses cours autant que sa célébrité attirent un large public d’intellectuels et de bourgeois cultivés. Arago voue un véritable culte à cette discipline qu’il définit ainsi en 1842, devant la chambre des députés: « Elle est la science dont l’esprit humain peut le plus justement se glorifier. Cette prééminence incontestée, elle la doit à l’élévation de son but, à la grandeur de ses moyens d’investigation, à la certitude, à l’utilité, à la magnificence inouïe de ses résultats ». La notoriété des cours qu’il donne à l’Observatoire le conduit à occuper une plus grande salle, qu’il trouve au Collège de France, suite à des travaux d’agrandissement (A ce propos, on peut noter que lorsque Urbain Le Verrier succéda à Arago à la direction de l’Observatoire, il fit immédiatement démolir les agrandissements que ce dernier avait fait réaliser à sa salle de cours, afin d’accueillir un plus large public. En effet, Le Verrier préféra s’aménager un appartement privé de 400 m² au détriment des étudiants).Lors des affrontement sanglants de juillet 1830 (Les trois glorieuses) qui secouent Paris et occasionnent le renversement du roi Charles X (successeur de Louis XVIII, son frère, dont le règne fut consacré à concilier les héritages révolutionnaires et napoléoniens avec ceux de l’Ancien Régime), Arago joue de son influence sur le maréchal de Marmont, alors en charge de la sécurité de Paris, pour stopper le bain de sang. Louis-Philippe d’Orléans prend le pouvoir et se fait proclamer « Roi des Français ». Arago entretient de bonnes relations avec ce dernier, ainsi qu’avec sa Cour. Un jour, alors que le roi visite l’Observatoire, il évoque le ciel demandant à Arago si: « les choses se passent mieux là-haut que chez nous », ce à quoi l’astronome répond: « Je n’en sais rien malgré mes lunettes, mais si je disais oui, je serais un hôte discourtois, et si je disais non, je serais un flatteur… ». En novembre 1830, Arago est nommé gouverneur de l’École Polytechnique, mais il démissionne deux mois après pour se consacrer exclusivement à son travail de secrétaire perpétuel de l’Académie, dont il souhaite moderniser les fonctionnements. Il se heurte aux réserves de certains anciens qui commencent à trouver son attitude « despotique », ce qui ne l’émeut pas outre mesure. En 1831, à l’occasion de l’élection des députés, Arago annonce sa double candidature à Paris et dans les Pyrénées-Orientales. Il est élu à Perpignan et demeure vingt années durant, député de sa circonscription. A la chambre, il est actif et fait quelques interventions remarquées au cours desquelles il défend, entre autres, la nécessité de donner une bonne instruction au peuple. Il désavoue de plus en plus le régime en place et rallie les rangs de l’opposition. Comme l’écrit François Sarda: « François Arago aime le peuple, flétrit ceux qui lui refusent les chances de l’instruction, ne manque jamais de souligner la part des classes laborieuses dans les découvertes scientifiques et techniques. Il souligne les origines populaires des grands scientifiques comme Monge, Laplace, Fourier, Newton. Il fulmine contre les handicaps sociaux… ». A l’assemblée, il prononce un discours mémorable sur la réforme électorale dans lequel il défend l’élargissement du suffrage. Il est aussi membre du Conseil Général de la Seine, qu'il préside à deux reprises entre 1830 et 1849. Ses convictions le poussent à participer à la Révolution de 1848, au cours de laquelle une insurrection des libéraux et des républicains de la capitale, conduit Louis-Philippe à abdiquer. Après cet évènement, Arago devient membre du gouvernement provisoire, Ministre de la Marine puis de la Guerre. Il promulgue le décret abolissant l'esclavage dans les colonies et préside le Comité Exécutif qui exerce le pouvoir du 9 mai 1848 jusqu'à sa dissolution, le 24 juin. A cette occasion, Arago fut pendant quarante six jours, chef de l'État de la IIème république qui instaura pour la première fois le suffrage masculin. En décembre de la même année, Louis Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, remporte les élections présidentielles et devient Président de la République. Quatre années plus tard il deviendra empereur sous le nom de Napoléon III. Lorsqu’Arago s’éteint, à l’âge de 67 ans, les hommages se multiplient et la communauté scientifique est consterné. Victor Hugo lui rend un hommage émouvant dans une lettre adressée à son frère Etienne: « La mort d’Arago est une diminution de lumière. Son rayonnement sort de sa tombe. Voyant que tout était mort dans le pays, il a dit « mourrons ». Il est allé se coucher dans le linceul à côté de la France qui a tressailli. Votre deuil est celui de la république ! ».