Alexandre Guy Pingré (1711-1796)

Alexandre Guy Pingré (1711-1796) est né à Paris. Je n’ai pas trouvé d’information sur son enfance. Il n’apparait qu’à l’âge de seize ans lorsqu’il entre, pour ses études, dans la congrégation des Génovéfains (de Sainte-Geneviève). Huit ans plus tard, il enseigne la théologie mais, en 1745, ses positions en faveur du jansénisme lui valent d’être exilé en province. En 1748, le chirurgien rouennais Claude Nicolas Le Cat (1700-1768) participe à la fondation dans sa ville d’une Académie Royale des Sciences, Belles Lettres et Arts, dont il fut vice-directeur en 1744 et directeur en 1745. Ami de Pingré, il l’intègre à son académie en tant que professeur d’astronomie. En 1749, Pingré observe une éclipse de Lune et remarque une erreur dans les calculs établis par La Caille, il entre alors en contact avec ce dernier. En 1753, il observe depuis Rouen un transit de Mercure et rédige un compte rendu remarqué qui lui vaut de devenir correspondant de l’Académie des sciences de Paris. Sur ces entrefaites, il est appelé à la capitale où on lui propose le poste de bibliothécaire de l’abbaye Sainte-Geneviève. Il y effectuera un travail remarquable. Lorsque cette bibliothèque fut fondée au XIIème siècle, elle ne comptait guère que deux cents volumes. Après une période de décadence au XVIème siècle, elle s’enrichit de nouveau durant le siècle qui suivit, en particulier grâce à l’évêque de Senlis, le cardinal François de La Rochefoucauld (1558-1645). Elle connut sa période la plus faste durant les Lumières où elle s’agrandit à deux reprises. Signalée dans l’almanach royal à partir de 1756, elle figure également dans de nombreux guides destinés aux voyageurs et aux érudits. Elle fut une des premières à être régulièrement ouverte au public. A l’approche de la Révolution, Alexandre Guy Pingré est parvenu à en faire une importante bibliothèque qui ne compte pas moins de cinquante huit mille ouvrages imprimés et deux mille manuscrits (gravure ci-dessous à droite).

Il fut aidé dans sa tâche par le bibliographe Barthélemy Mercier de Saint-Léger qui s’occupa des échanges avec d'autres bibliothèques conventuelles ou avec des particuliers, et qui fréquenta assidûment les ventes publiques. On peut mettre au crédit de Pingré d’avoir probablement sauvé cette institution qui, par son entremise, devint une propriété nationale en 1789. A ce titre, elle recevra une partie des confiscations révolutionnaires et des prises de guerre napoléoniennes qui ajouteront à ses fonds près de vingt mille ouvrages. En 1756, Pingré entre à l’Académie des Sciences en qualité d’associé libre. Le chapitre de Sainte-Geneviève lui fait alors bâtir un petit observatoire doté d’un matériel d’observation qu’il utilisera pendant une quarantaine d’années. En 1760, il s’embarque pour l’océan Indien afin d’aller y observer un transit de Vénus prévu le 6 juin 1761. Les scientifiques devaient affronter maints dangers lors de leurs expéditions, Pingré ne fut pas épargné. Il se heurta a une suite de fâcheux contretemps. Antoine Fantin Des Odoards (1738-1820), historien, vicaire général d’Embrun, fait état de détails de la mission de Pingré en ces termes:

« Le père Pingré qui devait se rendre à l’île Rodrigues, partit le 29 novembre 1760; dès le port de L’Orient où il devait embarquer, il éprouva des difficultés. Le directeur de la compagnie le reçoit mal et refuse d’embarquer ses ballots… il prétend qu’ils sont remplis de marchandises prohibées: ils ne contenaient que des instruments nécessaires à son observation, et les hardes convenables à un religieux. Le directeur et le père écrivent à Paris: un ordre arrive au directeur de faire embarquer le père Pingré avec tous ses effets, et de lui fournir dans l’Inde tout ce qu’il demandera, sans exiger de lui autre chose qu’un simple reçu, faveur dont ce savant ne fit aucun usage. Un autre désagrément l’attendait sur le vaisseau. M. Marion qui le commandait, très bon marin à force de pratique, n’avait aucune idée de la théorie, il était même prévenu contre elle. Il regarda le père Pingré comme un censeur incommode, qui n’était sur son bord que pour contrôler sa manœuvre. Il le lui dit avec franchise et fut bientôt  désabusé. C’est ce même Marion qui depuis ayant été reconnaitre les iles de la nouvelle Zélande dont le capitaine Cook a le premier fait le tour, fut pris par les farouches habitants de ces rivages et dévoré par eux. A peine le navire qui portait le père Pingré fut en, plein mer, que des vaisseaux anglais le poursuivirent; les manœuvres habiles du capitaine le sauvèrent…»

« Le père Pingré avait demandé un passeport à l’amirauté anglaise, et cette amirauté le lui avait envoyé avec les égards que méritaient son savoir et son entreprise, mais on assure que ce passeport était inutile. Un peu au-delà du Cap de Bonne Espérance, le capitaine Marion, rencontre un vaisseau Français. Le capitaine Blin qui le commandait, avait un grade supérieur à celui de Marion, et le droit de s’en faire obéir; il lui ordonna de l’escorter jusqu'à l’île de France (actuelle Ile Maurice), où il allait. Marion allégua l’ordre qu’il avait de déposer le père Pingré à l’île Rodrigue; il ne put rien obtenir. Cet astronome se plaignit; il remontra qu’en allongeant son voyage on lui ferait manquer son observation; Blin répondit: qu’on le jette à la mer. Il fallut se taire. M. des Forges gouverneur de l’île de France réprimanda Blin; mais le mal était fait; il fit armer promptement une petite corvette de six canons, pour conduire l’astronome à Rodrigue. Cette île n’est qu’à cent vingt lieues de celle de France; mais la direction du vent toujours contraire, oblige à prendre des détours si considérables pour y parvenir, qu’on est quelquefois six semaines à faire cette traversée… »

« Le père Pingré n’était arrivé que le 6 mai à l’île de France, il en repartit le 8; et malgré cette promptitude, il n’avait pas un mois jusqu’au Jour de l’observation. Le vent ne fut pas si contraire qu’on le craignait; on découvrit Rodrigue le 26, et soudain un calme plat arrêta le vaisseau. Il fut deux jours sans pouvoir avancer; enfin le vent s’éleva, et on aborda le 28, au coucher du soleil. Rodrigue est une île de quatre lieues de long sur deux de large; elle est déserte et sans culture; dix ou douze esclaves nègres y ont été transportés. Un blanc qui a le titre de commandant, les occupe à rassembler des tortues de terre, dans un parc; des tortues de mer dans un autre, où à veiller sur quelques bœufs et quelques vaches transportés des Indes ou d’Europe sur ce rocher, comme ces nègres l’ont été eux-mêmes de l’Afrique. Une des grande cabane de planche mal jointes, qui laissent circuler le vent de toutes parts, séparée par une cloison en deux parties, dont la plus grande pavée de pierres brutes, servait de salle à manger, dont la plus petite était la chambre à coucher de M. le gouverneur et de sa famille, était le plus beau ou plutôt le seul bâtiment de l’île. Un mat fort élevé, et surmonté d’un pavillon de France, était le seul monument royal qu’on y vit. Quelques mauvais canons pour saluer les vaisseaux qui abordaient, faisaient toute la défense de l’île. En vain Pingré chercha un lieu plus commode pour faire son observation; les montagnes escarpées de cette île, et le peu de temps qui lui restait, ne lui permirent pas d’en trouver un autre. Des pluies survinrent. La nuit qui précéda l’observation, fut très obscure. Des nuages empêchèrent de voir entrer Vénus sur le disque du soleil; bientôt ils devinrent assez rares pour que le père Pingré pût suivre le cours de ce globe sur cet astre. Il vit très bien le commencement de la sortie de Vénus; un nuage survint, et lui déroba le moment où le planète acheva de se détacher des bords du disque. En vérifiant ses calculs, il se trouva d’accord avec les autres observateurs; ainsi malgré les nuages, son observation fut bien faite. Quelque jours après, les Anglais arrivent, prennent le vaisseau qui avait amené l’académicien, et un autre qui se trouvait dans le port. Ils tirent cent coups de canon contre l’île. Les boulets passaient par dessus la cabane du gouverneur, d’où le père Pingré les entendait siffler sur sa tête. Bientôt les Anglais descendent, coupent le mât, emportent le pavillon français, enclouent les canons, pillent les bœufs, les tortues de terre et de mer, la farine, et surtout le vin. Ils mettent à terre les officiers des deux vaisseaux qu’ils ont pris; ils leur font jurer d’être dix-huit mois sans combattre, et ils brûlent les deux vaisseaux; les nègres s’étant enfuis dans les montagnes et dans les bois. Cependant les Anglais traitent fort bien le père Pingré; ils ne pillèrent pas ses effets, ils lui laissèrent ses instruments et partirent bientôt. Neuf jours après arrivent deux autres vaisseaux Anglais; ils achèvent de piller ce que les premiers avaient laissé. Mais toujours ils traitent avec égard l’astronome Français et sa suite...Séparés du reste du monde par l’océan, à quatre mille lieues de leur patrie, enfermés dans une très petite île, le père Pingré, le gouverneur et les nègres se hâtèrent de semer du blé et du riz, afin de se suffire à eux même. Ensuite ils se hasardèrent de communiquer avec l’île de France, en construisant une chaloupe pontée. Elle était presque finie lorsqu’on découvrit un vaisseau français. La joie fut vive. Le vaisseau ne voyant plus le pavillon de France, n’osait aborder; on alla au devant de lui dans un pirogue…». Le bateau qui ramena Pingré en France tomba aux mains des Anglais qui le débarquèrent à Lisbonne. Il dût emprunter les routes pour rejoindre la capitale.

Pingré rédigea un récit de voyage dans lequel j’ai relevé ces quelques lignes anecdotiques, à propos de son alimentation: « En trois mois et demi de temps que j'ai passé dans cette île, nous ne mangions presque rien autre chose: soupe de tortues, tortues en fricassée, tortues en daube, tortues en godiveau, œufs de tortue, foie de tortue… sans oublier le célèbre plat de tripes desséchées. Tels étaient presque nos uniques ragoûts; cette chair m'a paru aussi bonne le dernier jour que le premier… ». Ce long voyage scientifique ne fut pourtant pas parmi les pires qui soient; celui entrepris par l’abbé Chappe d’Auteroche pour observer le même évènement depuis la Sibérie, fut bien plus éprouvant. Alexandre Guy Pingré effectua encore trois séjours aux Indes et en Amérique en 1767, où il collabora avec Charles Messier puis en 1768-1769, et en 1771-1772, où il travailla avec le mathématicien Jean Charles de Borda. Pingré s’intéresse aux comètes, il publie en 1783/1784 Cométographie ou Traité historique et théorique des comètes, dans lequel il s’inspire de d’Alembert et de Euler pour exposer différentes thèses sur la nature des comètes, dont il retrace l’histoire depuis trois mille cinq cent ans et propose des méthodes de calcul d’orbites. Il entreprend également la rédaction d’un ouvrage qui retrace l’histoire de l’astronomie depuis Tycho Brahé , en compilant un grand nombre de relevés d’observations. Il n’achève ce travail qu’à l’âge de quatre vingt ans. La publication, qui traine en longueur, est victime de la chute du cours des assignats et les travaux d’impression ne peuvent être conduits au-delà de la page 364, en dépit d’un crédit de trois mille francs que Lalande lui avait fait octroyer par l’Assemblée Constituante. Pingré meurt sans que son œuvre n’ait vu le jour (Bien plus tard l’astronome Guillaume Bigourdan, reconstituera cet ouvrage en réunissant la partie imprimée et le complément manuscrit de Pingré).

Au début du livre de Pingré, dont je propose quelques extraits au menu "Livres anciens " de ce site, j’ai trouvé une inscription à la plume (ci-contre) qui évoque l’appartenance de ce dernier à une loge maçonnique. On note que le «  V:.F:. » (Vénérable Frère) Pingré, occupe la fonction de premier surveillant à la chambre des provinces du « G.O. » (Grand Orient) et qu’il appartient à la loge des « Cœurs Simples de l’Etoile Polaire ». L’abbaye Sainte Geneviève se trouvait confrontée à une situation nouvelle. Les échanges avec les érudit qui fréquentaient la Sorbonne toute proche et venaient consulter les ouvrages, renforçaient la curiosité et l’engouement des notables Génovéfains pour les sciences. Ainsi, « l’esprit des Lumières » entra à l’abbaye qui devint un haut lieu d’échange et de réflexion. Ce qui conduisit des condisciples de Pingré, comme par exemple le Père Viallon, à prendre certaines libertés vis-à-vis des textes religieux. Ce dernier publiant une Philosophie de l’Univers qui évoque le déluge comme résultant d’une collision entre la Terre et une comète. Les recensements d’ouvrages effectués peu avant la révolution, font apparaitre que plus de la moitié des fonds de la bibliothèque était d’origine profane.

A cette époque, certains chanoines s’intéressent à la franc-maçonnerie. En 1766, Pingré est orateur de la loge « Les arts Sainte Marguerite » une des premières loges parisiennes crée en 1729, lorsqu’il fonde la loge « l’Etoile Polaire » qui, en 1774  devient « Les cœurs Simples de L’Etoile Polaire » et qui existera jusqu’en 1789. Cette loge qui regroupe des officiers militaires, des personnalités du monde des arts et quelques savants, était surtout constituée d’hommes de loi, de conseillers au Châtelet (alors, grand palais de Justice), conseillers au Parlement, notaires et huissiers. En 1776, la loge dont Pingré est «Vénérable » (président), compte 32 membres puis, 46 l’année suivante. Parallèlement, le Grand Orient (fondé en 1773), dont le grand maître était Louis Philippe d'Orléans (1747-1793), qui fédérait les loges maçonniques de France, permit à Pingré d’accéder aux plus hautes responsabilités. En premier lieu, il fut substitut, puis second surveillant et enfin premier surveillant, de janvier 1776 à décembre 1778. A la révolution, il cessera ses activités maçonniques. En 1792, il bénéficie d’une reconnaissance officielle pour ses services rendus à la science. On lui attribue une pension annuelle de mille huit cents  livres. Il meurt quatre ans plus tard.