Urbain Le Verrier (1811-1877)

Urbain Jean Joseph Le Verrier (1811-1877) est né à Saint-Lô dans la Manche. Il entre à l’âge de huit ans au collège de sa ville et à seize ans, poursuit ses études au Collège Royal de Caen. Brillant élève, il s’oriente vers les mathématiques et continue dans cette voie lorsque son père vend sa maison pour lui permettre de rejoindre le lycée Louis Le Grand de Paris, avant d’entrer à l’École Polytechnique en 1831. Trois ans plus tard, il obtient son diplôme d’ingénieur et trouve un emploi dans le laboratoire du chimiste Gay Lussac, situé au quai d’Orsay. En 1837, il postule pour un poste de répétiteur de chimie à l’École Polytechnique, mais il ne l’obtient pas. On lui propose celui de géodésie d’astronomie et de mécanique céleste qu’il accepte. Il se spécialise alors dans cette dernière matière, car il préfère les mathématiques à l’observation astronomique. En 1839, il présente à l’Académie des sciences son premier mémoire traitant des variations séculaires des orbites planétaires. En 1781, William Herschel avait découvert la planète Uranus qui depuis, était suivie par de nombreux astronomes qui s’étonnaient de ne jamais la trouver précisément où leurs calculs l’indiquaient. En 1830, Alexis Bouvard avait émis l’idée qu’il pouvait y avoir une autre planète qui perturberait son mouvement. François Arago, alors directeur de l’Observatoire de Paris et un des maitres de Le Verrier suggère à son élève de travailler sur le sujet en s’appuyant sur les nombreuses perturbations relevés dans la course de la planète. En 1841, Urbain Le Verrier se met au travail. En Angleterre l’astronome John Couch Adams vient d’entreprendre indépendamment les mêmes recherches. Chacun de son côté tente de résoudre le problème que posent ces écarts énigmatiques de trajectoire orbitale. En 1846, Adams propose un résultat mais Airy directeur de l’observatoire de Greenwich y attache peu d’importance. De son côté, le 31 août de la même année, Le Verrier expose ses résultats à l’Académie des Sciences. Il ne reste plus qu’à les vérifier.

Environ trois semaines plus tard, le 23 septembre, l’astronome John Galle reçoit, à Berlin, un courrier de Le Verrier. Le soir même, il pointe son télescope dans la direction indiquée par l’astronome français. Il cherche d’abord en vain la planète, jusqu’à ce que son assistant, Heinrich Arrest, lui conseille de procéder autrement et de relever toutes les étoiles présentes dans la zone d’observation pour les comparer avec une carte céleste. Très vite ils repèrent une étoile de magnitude 8 qui ne figurait pas sur leur carte. Encore fallait-il vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un oubli du cartographe. Le lendemain, les deux hommes dirigent de nouveau leur télescope vers la même partie du ciel que la veille. Le constat est sans appel: l’étoile a bougé !

C’est donc bien une planète. Immédiatement la communauté scientifique en émoi porte Le Verrier aux nues. Arago déclare devant les membres de l’Académie: «Mr Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel; il l'a vu au bout de sa plume». Il revient au bureau des longitudes de baptiser cette planète qui portera le nom de Neptune, Le Verrier préférant que la planète ne porte pas son nom. Les éloges et les distinctions, venant de toute l’Europe, pleuvent sur Le Verrier, alors que John Couch Adams qui était arrivé aux même résultats reste quasiment dans l’anonymat. En Angleterre, la réputation d’Airy est altérée, il a laissé passer une opportunité pour la Couronne, qui ne se représentera pas de si tôt. En France, les caricaturistes féroces montrent Adams en train de plagier Le Verrier (ci-dessus), qui pendant ce temps là, auréolé de ses lauriers est propulsé vers la gloire. Sa découverte se transforme en victoire nationale et en un magistral pied de nez aux Anglais. Le Verrier reçoit la légion d’honneur, est élu député de son département, obtient un poste de professeur d’astronomie à la Faculté des sciences et d’astronome adjoint au Bureau des longitudes, est élu à l’Académie des sciences, alors qu’il n’a quasiment jamais posé son œil sur l’oculaire d’un télescope. On raconte qu’il dédaigne même observer « sa » planète.

Napoléon III le nomme sénateur et inspecteur général de l’enseignement supérieur. A ce poste, il met en place une commission qui réforme l'enseignement de l'École Polytechnique en donnant une part plus importante aux sciences appliquées. En 1859, Le Verrier tente de résoudre un nouveau problème. En effet, les astronomes ont détecté des anomalies dans la trajectoire orbitale de Mercure, certains même préviennent Le Verrier qu’ils ont observé des disques noirs passant devant le Soleil. Le Verrier se met au travail et prédit le passage d’une planète (qu’il nomme Vulcain) devant le Soleil et dont il prévoit un passage pour l’année 1877. Au moment venu, l’évènement n’a pas lieu et c’est une déconvenue pour Le Verrier qui pensait réitérer son exploit. A sa décharge, les anomalies qu’il a exploitées pour effectuer ses nouveaux calculs orbitaux, ne trouveront leur explication qu’au siècle suivant grâce avec une conséquence de la théorie de la relativité générale proposée par d’Albert Einstein.
En 1853, au décès de François Arago, Le Verrier lui succède à la direction de l’Observatoire de Paris. Il entreprend alors une réorganisation de cet institut qui devra à l’astronomie française de figurer pour un temps en tête des pays européens. Il donne également une impulsion décisive pour le développement de la météorologique, avec l’installation de vingt quatre stations d’observatoire sur le territoire français et de cinquante-neuf points d’observation sur toute l’Europe. A partir de 1863, parait régulièrement un bulletin météorologique comprenant des relevés et une carte (ci-contre carte datant de l’hiver 1879). La gloire de Le Verrier s’émousse lorsqu’il fait l’objet d’une fronde justifiée par son attitude hautaine et odieuse envers ses employés. En 1862, Camille Flammarion qui travaille à l’Observatoire, publie un ouvrage intitulé La pluralité des mondes habités. Le Verrier qui trouve cette publication indigne d’un scientifique, le met à la porte de l’Observatoire avec grand fracas.

Flammarion soutient ouvertement les quatorze astronomes qui posent en même temps leur démission sur le bureau de Le Verrier qui, imperturbable déclare à leur sujet : «On ne doit pas livrer à la publicité les noms des aides-astronomes qui font des découvertes, dont tout le mérite revient exclusivement au directeur sous les ordres duquel ils sont placés. Du reste, ces jeunes astronomes reçoivent une gratification et une médaille pour chaque découverte.». L’attention du pouvoir est cependant attirée par les troubles d’autant que Le Verrier commit la maladresse de rappeler qu’il ne tenait pas ses promesses, à propos d’une restriction de crédits pour lequel il avait, de surcroit, eu l’outrecuidance d’interpeler son propre ministre de tutelle, lors d’une séance au Sénat. C’en était trop. En 1870 un décret impérial le démet de ses fonctions.

La même année, il démissionne du conseil général. Son successeur à l’Observatoire Charles-Eugène Delaunay meurt en 1873 et Urbain Le Verrier, chassé par Napoléon, bénéficie du nouveau pouvoir en place. Adolphe Thiers, encore Président de la République pour quelque temps, lui redonne son poste à l’Observatoire qu’il conserve cette fois jusqu’à sa mort. Le Verrier a publié sur Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune d'importants mémoires pour lesquels, en février 1876, la Société Royale d'Astronomie de Londres lui décerne une médaille d'honneur. Sa contribution sera reconnue même par ceux qui pourraient par ailleurs lui en vouloir, ainsi Biddell Airy le qualifiera de «géant de l’astronomie moderne». (ci-dessus, lunette méridienne de l’Observatoire de Paris)