La grande mutation

Les astronomes ont établi des cartes célestes qui n’ont cessé de s’affiner au fil des époques, au rythme des perfectionnements techniques de leurs instruments. Il aura fallu attendre quelques siècles pour que les relevés effectués parviennent à répertorier avec fiabilité l’essentiel des objets visibles depuis la Terre. A partir de ces observations, Huygens put établir des théorèmes que Newton exploita avec génie pour proposer de nouvelles perspectives à l’astronomie qui, jusqu’alors, ne savait pas justifier les mouvements célestes observés, autrement que par des suppositions. Dans "Astronomie des dames" , Jérôme de Lalande écrivait: «Toute l’astronomie est fondée sur la mesure des angles…», semblant réduire cette discipline à la seule géométrie, alors qu’il savait fort bien qu’une page venait de se tourner, pour avoir lui-même soutenu ces nouvelles thèses. La découverte des lois de la gravitation permet à la mécanique céleste de devenir une branche majeure de l’astronomie. Elle atteint son apogée et montre à la fois ses limites, à travers les travaux d’astronomes comme Urbain le Verrier. Dès lors, que pouvait-on en attendre de plus ?

Les progrès technologiques, une fois encore, autorisent d’ambitieux projets de construction de télescopes géants, avec lesquels l’observation, tout en confirmant la véracité des lois de la mécanique céleste, permet de compléter les classifications existantes en y introduisant d’autres critères que les seules coordonnées des objets célestes. On savait désormais différencier étoiles, planètes, nébuleuses et comètes. Herschel, Lord Rose ou Lassel, nous révèlent encore l’existence de nouveaux objets comme les étoiles multiples ou les astéroïdes, tout en amorçant une distinction, jusqu’alors méconnue, entre galaxies, amas stellaires et nébuleuses. Mais les télescopes, si perfectionnés soient-ils, atteignent leurs limites en matière de résolution. Pour progresser encore il faudrait pouvoir déterminer les dimensions, masses, températures, compositions chimiques et distance des astres. Malheureusement, les mesures, comme celles de la parallaxe annuelle, ne peuvent s’appliquer aux étoiles, en raison de l’insignifiance des angles à mesurer. Hormis pour quelques planètes de notre système, les résultats obtenus sont trop aléatoires. Quand à déterminer, pour les étoiles, d’autres caractéristiques que leur luminosité ou leur position, cela n’est tout simplement pas envisageable en l’état des connaissances de l’époque. Newton pourtant ne s’était pas contenté d’apporter les seules lois de la gravitation à la communauté scientifique. Il avait également mis en évidence différentes composantes de la lumière solaire. William Herschell, mesurant la température de ces différentes composantes, découvre l’existence de rayonnements invisibles. Cette voie ne fut pas immédiatement exploitée, les astronomes n’y voyant en l’état qu’une curiosités scientifiques. L’observation atteignait ses limites. L’astronomie évita pourtant l’impasse, grâce à des chercheurs, davantage physiciens qu’astronomes, qui s’engagèrent dans un type de recherche qu’on nommerait de nos jours « théorique » ou « fondamentale ». C’est ainsi que les remarques de Fraunhofer sur les raies spectrales du Soleil trouvent un écho dans les travaux de Kirchhoff et Bunsen, permettant aux astronomes de comprendre tout l’intérêt qu’ils peuvent tirer de l’analyse spectrale. Il aura donc fallu que certains pensent que le déplacement de la lumière était un phénomène instantané, pour que d’autres, comme Römer, observant méthodiquement des éclipses, lèvent le doute à ce sujet et pour qu’enfin des physiciens tentent d’évaluer avec précision la vitesse de la lumière. Doppler, Fizeau ou Foucault abordent ces mesures par l’expérimentation qui révèle une vitesse finie de la lumière et qui permet d’envisager des « excursions » dans le passé de l’univers. En effet, les objets les plus lointains ne nous apparaissent pas tels qu’ils sont mais tels qu’ils étaient il y a des millions ou des milliards d’années, compte tenu de la durée du trajet que parcourt leur lumière pour parvenir jusqu’à nous. Les flux d’ondes électromagnétiques venus des profondeurs du ciel, dont la lumière visible n’est qu’une composante, offrent aux chercheurs de multiples informations. On ne doit pas perdre de vue que la quasi-totalité de nos connaissances sur les objets situés au-delà de notre système, vient des mesures effectuées à partir de leur rayonnement. Il nous permet de connaitre, leur composition chimique, leurs éloignement, leur vitesse radiale, leur âge, leur dimensions et certains évènements ou transformations qu’ils ont subis. Leur analyse révèle de surcroit l’existence de nouvelles étoiles multiples, d’exo-planètes ou d’autres phénomènes stellaires. L’astrophysique a ébranlé l’astronomie à l’équivalent de la révolution newtonienne, en son temps. A partir de la fin du XIXème siècle, son émergence est telle, qu’elle devient une composante incontournable. Les personnages évoqués dans les articles qui suivent vont donc tous s’engager dans cette voie. On peut juste s’interroger sur ce qu’il adviendrait si leurs successeurs parvenaient un jour à exploiter tout ce que l’astrophysique peut révéler. Vers quelle direction se tourneront ils alors ?