Jules Janssen (1824-1907)

Pierre Jules César Janssen (1824-1907) est né à Paris. Enfant, il est victime d’un accident qui perturbe sa scolarité et le fera claudiquer toute sa vie. A seize ans, il est employé de banque et profite de son temps libre pour rattraper son retard scolaire. Il étudie les matières scientifiques et cultive son intérêt pour la peinture. En 1852 et 1855, il obtient ses licences de mathématique et de physique puis enseigne au lycée Charlemagne. Deux ans plus tard, le ministère de l’Instruction Publique l’envoi au Pérou, où il se rend accompagné par les naturalistes Ernest et Alfred Grandidier, chargés de l’aider pour des mesures visant à localiser l’équateur magnétique. Malheureusement la mission tourne court, lorsqu’au bout de cinq mois, Janssen contracte une dysenterie qui l’oblige à regagne la France. Il continue ses études et obtient un doctorat ès-sciences physiques, appuyé par une thèse sur l’absorption des rayonnements de la chaleur dans l’œil. Il y explique comment cet organe parvient à absorber la chaleur rayonnante obscure pour ne laisser arriver vers la rétine que les rayons lumineux visibles. Il travaille alors à la faculté de médecine où il conçoit des instruments médicaux destinés à l’ophtalmologie. Il est ensuite nommé professeur de physique générale à l’École Spéciale d’Architecture de Paris.

En 1862, il découvre les travaux de Kirchhoff et Bunsen et entreprend ses propres expérience spectrographiques. Il se rend dans les Alpes pour effectuer des relevés sur les raies telluriques du spectre solaire et s’aperçoit que certaines raies sombres sont causées par la vapeur d’eau contenue dans notre atmosphère. Dès lors, il voyage sans relâche en dépit de son infirmité. Il revient dans les Alpes en 1864, en 1867 il se rend à Trani dans le sud de l’Italie pour observer une éclipse. La même année, il est sur l’ile grecque de Santorin, où il assiste à une éruption volcanique, puis aux Açores où il effectue des relevés topographiques et magnétiques. L’année suivante, on le retrouve à Guntûr dans le golfe du Bengale. Avec d’autres chercheurs, il observe une éclipse solaire d’une durée inhabituelle de prés de dix minutes, qui lui permet de relever la présence, dans le spectre de la chromosphère, d’une raie jaune lumineuse jamais détectée auparavant. Il pense qu’elle révèle la présence d’un élément inconnu sur Terre. Dans un premier temps il n’est pas pris au sérieux car, jusqu’alors, tous les éléments découverts sur des spectres stellaires ont été identifiés à partir d’éléments présents sur notre planète. Janssen attend plusieurs mois avant que Sir Joseph Norman Lockyer, astronome et fondateur de la revue Nature , observe à son tour la même raie spectrale et en tire des conclusions similaires.

Il nommera « hélium » ce nouvel élément qui fut le premier à être découvert sur un monde extraterrestre. Il tire son nom de Hélios, dieu grec personnifiant le Soleil. En 1868, une éclipse permet à Janssen de prouver la nature gazeuse des protubérances solaires et de mettre au point une méthode permettant de les observer dans des conditions ordinaires; ce qui dispense les astronomes d’attendre des éclipses, pour pouvoir établir leurs spectres. Pour ces travaux, l’Académie des sciences lui décerne le prix Lalande. En 1870, Janssen est bloqué à Paris, alors assiégée par l’armée de Bismarck et coupée du monde extérieur. Le seul moyen de quitter la ville est de s’enfuir par les airs. Pour se rendre à Oran, afin d’observer une éclipse, Janssen brave les tirs de barrage de l’armée prussienne et sort de Paris en ballon. Durant son bref voyage, il invente un instrument qui permet de situer à tout moment la position d’un aérostat sur une carte. Après l’éclipse d’Oran, Janssen entreprend un voyage en Inde pour y observer l’éclipse solaire de 1871. Quatre ans plus tard, il est à Nagasaki et à Kobe au Japon, où il dirige l’expédition française qui doit observer un transit de Vénus prévu pour le 9 décembre. Il réalisera des photographies de l’évènement grâce à un instrument de son invention, le pistolet photographique (gravure ci-dessus à droite).

Une véritable compétition internationale fait rage dans les milieux scientifiques concernant la photographie, alors naissante et qui devient un enjeu politique. La qualité des résultats obtenus attesterait de la suprématie d’un des pays en lice. Il se trouve que la France était alors nettement distancée par l'Angleterre pour la photographie astronomique. Ci-après, je donne quelques extraits du rapport que Jules Janssen expédie le 10 décembre 1874 à Monsieur Dumas, président de la commission du passage de Vénus. L’auteur relatera par ailleurs et au jour le jour chaque épisode de l’aventure nippone. «Vous avez appris, par mes deux télégrammes du 9 et 10 décembre, que nous avons observé le passage. Je vous dirai maintenant, monsieur le Secrétaire perpétuel, que bien que le temps n’ait pas été complètement favorable et que nous n’ayons pas obtenu autant de photographies qu’il eût été désirable, nous devons nous estimer très heureux d’avoir pu observer les deux contacts intérieurs, et obtenu en somme le plus important. Cette année a été exceptionnellement pluvieuse au Japon…»

Il poursuit: «J’ai rassemblé sur les diverses villes pouvant nous offrir les chances les moins défavorables tous les documents météorologiques… Yokohama nous offrait bien peu de chances favorables. Kobe, dans la mer Intérieure et Nagasaki au sud-ouest, nous étaient indiquées comme jouissant en hiver d’un meilleur climat, et, à cet égard, tous les avis compétents étaient unanimes…Nous fîmes le voyage sur l’aviso à vapeur le d’Estrées, commandé par M. le capitaine de frégate Joncla… Entre Kobe et Nagasaki, la différence était faible, cependant Nagasaki paraissait préférable, et c’est ainsi qu’en avaient jugé les Américains qui s’y étaient établis. D’un autre côté, les circonstances astronomiques du passage y étaient plus avantageuses ( Soleil plus élevé qu’à Kobe et surtout qu’à Yokohama). Je me décidais donc pour Nagasaki; mais le beau temps n’étant nullement assuré, même dans cette dernière ville, je résolus d’avoir aussi un poste d’observation à Kobe. Ce partage, qui était possible en raison de notre personnel et de nombreux instruments, nous assurait toutes les chances possibles de succès. Le 24 octobre 1874, le d’Estrées nous débarquait à Nagasaki… Nous nous occupâmes de l’emplacement de notre observatoire. Nous l’établîmes à Kompira-Yama, sur une haute colline qui domine la rade. Cette situation était convenable sous tous les rapports. Site élevé au dessus des vapeurs de la ville, route existante, proximité des habitations et ressources en tout genre. La grande difficulté était de transporter à cette hauteur les deux cent cinquante caisses ou colis formant notre bagage. Cinq cent porteurs environ effectuèrent ce travail. En même temps une centaine de charpentiers et de terrassiers préparaient le terrain, y élevaient des cabanes, et notre installation marcha très rapidement. Le temps beau d’abord se gâta ensuite tout à fait. Des orages violents, des rafales venaient contrarier nos travaux et compromettre même notre établissement. Pendant une violente bourrasque, l’équatorial de M. Tisserand fut renversé, sa lunette et son micromètre brisés. Heureusement j’avais sur moi ma lunette de 6 pouces, qui me servait dans l’Inde en 1868, lunette que je destinais à des observations spectrales pendant le passage. En sacrifiant ces observations, je fus heureux de pouvoir mettre M. Tisserand en état de réparer ce malheur, qui l’eût mis hors d’état d’observer… Après cette période fâcheuse, le temps se remit… Dès le milieu de novembre je préparais l’expédition de Kobe. Les instruments qui devaient y être envoyés étaient essayés, réglés et les observateurs exercés… Le gouvernement japonais nous donna la franchise télégraphique, et fit construire à ses frais, des bouts de ligne nécessaires pour mettre directement en rapport l’observatoire de Nagasaki et celui de Kobe. Cette facilité nous permit de régler les chronomètres de Kobe sur ceux de Nagasaki où se trouvent nos instruments méridiens. J’arrive maintenant au jour du passage… Dans l’équatorial de 8 pouces, dont la lunette est très bonne, l’image de Vénus se montra très ronde, bien déterminée, et la marche relative du disque de la planète, par rapport au disque solaire, s’exécuta géométriquement sans aucune apparence de ligament ni de goutte. Mais il s’écoula un temps assez long entre le moment où le disque de Vénus paraissait tangent intérieurement au disque du Soleil, et celui de l’apparition du filet lumineux…»

«Il y a là une anomalie apparente qui, pour moi, tient à la présence de l’atmosphère de la planète. J’ai fait prendre une photographie au moment ou le contact paraissait géométrique, et sur cette épreuve le contact n’a pas encore lieu… je compte discuter ces résultats qui me paraissent conduire à d’importantes conséquences… Après le premier contact M. Picard et M. Arens prirent chacun à leurs instruments autant de photographies qu’il leur fut possible, mais les nuages y mirent grand obstacle… Pendant le même passage nous recevions des nouvelles de Kobe, nous savions que les deux contacts y avaient été observés, qu’une quinzaine de photographies y avaient été prises…Je ne dois pas terminer sans vous parler… d’une observation qui se rattache à la couronne et à l’atmosphère coronale du Soleil. Avec des verres d’une coloration bleu violet, particulière et très pure, j’ai pu voir Vénus avant qu’elle eût touché le disque solaire. Elle se détachait comme une petite tache ronde très pâle.» (ci-dessus, images réalisées avec le revolver photographique la flèche jaune montre Vénus devant le disque solaire).

«Quand elle commença à mordre le disque solaire, cette tache complétait le segment noir qui se trouvait sur l’astre radieux. C’était une éclipse partielle de l’atmosphère coronale; Cette observation prouve d’une manière toute naturelle et bien concluante l’existence de cette atmosphère lumineuse et l’exactitude de mes observations de 1871. J’ai vu Vénus depuis environ 2 à 3 minutes de distance du bord solaire…» Jansen continue son périple et, à son retour du Japon, il observe une éclipse sur la presqu’ile de Malacca en Malaisie. En 1883, il participe à une expédition sur l’ile Caroline, dans l’océan Pacifique, d’où il observe une éclipse à l’aide d’un télescope de 50 cm de diamètre. Mais Janssen, infatigable globe trotteur observe aussi depuis la France. Un de ses objectifs est de pouvoir découvrir si le Soleil contient de l’oxygène. Pour cela il lui faut faire disparaitre les raies en absorptions, dues à l’oxygène contenu dans l’atmosphère terrestre, en trouvant un lieu suffisamment élevé pour pallier, au moins en partie, à cet inconvénient. Cette nécessité lui fera concevoir un ambitieux projet qui prend forme en 1888.

Dans le prolongement de travaux effectués au Pic du Midi, Janssen effectue une première ascension aux Grands Mulets (3.050 m) dans le massif du Mont Blanc, afin d’observer le spectre solaire. Il a soixante six ans et son handicap lui impose de se faire transporter à l’aide d’une « chaise échelle » (ci-dessous à gauche). Deux années plus tard, il réitère l’expérience et monte cette fois jusqu’à l’observatoire « Vallot »  situé à 4.350 m et où il séjourne trois nuits. A cette époque, il envisage d’installer un observatoire au sommet du Mont Blanc. L’ingénieur Gustave Eiffel prépare un projet comportant une structure métallique qu’il prévoit de sceller sur la roche, à douze mètres de profondeur sous les glaces du sommet. Ce projet sera abandonné en raison de l’importance des travaux nécessaires. Janssen lui préfère une structure en bois, qu’il fait pré-assembler à Meudon et qui sera acheminée en pièces détachées au camp de base, pour être disposée au sommet, directement sur la glace. L’ensemble est doté d’un système de vérins qui permettent des rattrapages de position en cas de dérive du glacier. En 1892, les premiers éléments sont stockés aux Rochers Rouges (4.500 m). En 1893, à la reprise des travaux, les caisses de matériel seront retrouvées sous huit mètres de neige ce qui n’empêchera pas l’ouverture de l’observatoire la même année.

Dans cet observatoire, qui sera durant des années le plus haut du monde, Janssen met en place un météorographe capable d’enregistrer automatiquement la température, l’hygrométrie, la pression atmosphérique et la vitesse du vent et sur une durée de huit mois. En 1896, il installe une lunette astronomique polaire de 33 cm et un sidérostat de 60 cm. Durant une dizaine d’années, la station permet la conduite de diverses expériences scientifiques. Au total, elle donne lieu à une cinquantaine d’expéditions, mobilisant environ vingt cinq chercheurs, astronomes mais aussi météorologues et biologistes. En 1904, un spectrographe disposé au foyer de la grande lunette permet d’étudier les spectres des atmosphères planétaires. La même année sont réalisées les premières tentatives de photographie de la couronne solaire sans éclipses.

Mais en 1906, l’observatoire nécessite déjà des manœuvres sur ses vérins, car il commence à basculer et à s’enfoncer dans les glaces. Janssen meurt en 1907, sans avoir le désagrément de voir son observatoire se disloquer sous l’effet d’une crevasse qui vient de s’ouvrir dans le glacier. En 1909, l’observatoire jugé trop dangereux est abandonné; il sera totalement englouti sous les glaces. Seule la tourelle dernier vestige de cette épopée pourra être démontée et conservée dans un musée de Chamonix.

En 1863, Janssen avait confirmé l’absence d’atmosphère sur la Lune et évoqué la possibilité de présence de vapeur d’eau à la surface de Mars. Reconnu par ses pairs et par la nation, il reçoit la Légion d’Honneur. En 1873, il est élu membre de l’Académie des sciences. L’année suivante, il entre au Bureau des Longitudes. En 1875, il entre à la Royal Society et propose la restauration du château de Meudon pour y créer un observatoire d’astronomie physique (ci-contre). L’année suivante, il reçoit la médaille Rumford, décernée tous les deux ans à des scientifiques européens pour leurs travaux ou découvertes exceptionnels, en thermique ou en optique. Pour son projet de Meudon, Il obtient un crédit de plus d’un million de francs qui lui permettra de le mener à son terme. Il devient directeur de cet observatoire à partir duquel il obtient, en 1879, de remarquables clichés du Soleil. Il préside la Société Française de Photographie et l’Union Nationale des Sociétés photographiques de France. Il meurt à l’âge de quatre-vingt-trois ans. En 1960, la Société Astronomique de France crée le prix Jules Janssen.