Nicolas Copernic (1473-1543)

«Le trait de lumière qui éclaire aujourd’hui le Monde », nous dit Voltaire à propos de l’œuvre de Copernic. Sans équivoque, ce commentaire occulte cependant les difficultés qui attendent le savant, à ce point conscient de l’impact que va avoir ce qu’il se propose de révéler, qu’il ne patientera pas moins d’une dizaine d’années après l’achèvement de son travail, pour se décider à le publier. Il prend également les devants, lorsqu’il dédicace son ouvrage composé de six livres, en le plaçant sous la protection du pape Paul III: «Il m’est permis de croire qu’aussitôt que l’on saura ce que j’ai écrit dans ce livre sur les mouvements de la Terre, on criera haro sur moi… Je ne suis pas tellement amoureux de mes idées, que je ne veuille point tenir compte de ce que d’autres en penseront… Mais des amis parmi lesquels, le cardinal Schönberg, et Tidemann Gisius, évêque de Kelm, sont parvenus à vaincre ma répugnance à publier ce livre…». Copernic se doutait il seulement que soixante treize ans après sa mort, le 5 mars 1616, cet ouvrage « de revolutionibus orbium celestium » serait condamné sans appel en tant que «renfermant des idées données pour très-vraies sur la situation et le mouvement de la Terre, idées entièrement contraires à la Sainte Écriture». Ce verdict fera postérieurement réagir Blaise Pascal : «Ce n’est pas le décret de Rome sur le mouvement de la Terre qui prouvera qu’elle demeure en repos, et, si on avait des observations constantes qui prouvassent que c’est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l’empêcheraient pas de tourner et ne s’empêcheraient pas de tourner avec elle». Mais quel est donc l’auteur de ce livre qui suscite tant d’acharnement, de suspicion ou d’admiration? Nicolas Copernic (1473-1543) est né à Thorn en Pologne. Son père boulanger épouse la sœur de Lucas Wasselrod évêque de Warmie. A l’âge de dix ans, le petit Nicolas perd son père, il est  alors placé sous la protection de son oncle qui prend en charge son apprentissage des belles lettres et des langues anciennes, avant qu’il se rende à Cracovie pour y apprendre la médecine, la philosophie, les mathématiques et l’astronomie.

A vingt trois ans, il part pour l’université de Padoue, où la Renaissance fait rayonner le dessin et la peinture auxquels il s’initie également. En 1499, on le retrouve à Rome, enseignant les mathématiques et approfondissant ses connaissances en astronomie. Il y fait la connaissance de Regiomontanus. L’historien Bertrand Joseph dans «Les fondateurs de l’astronomie moderne » nous dit à son propos: « déjà digne d’être recherché pour son propre mérite, il ne fut pas traité en étudiant qui vient recevoir des leçons, mais en astronome qui peut en donner… on le fit asseoir à coté de ses maîtres ». En 1503, un an après son retour à Cracovie, il rentre dans les ordres et sept ans plus tard, devient chanoine de Frauenburg où il finira sa vie, « paralysé de corps et d’esprit», quelque jours seulement après la première édition de son ouvrage. Pendant la trentaine d’années suivant son retour en Pologne, il exerce la médecine mais sans goût particulier pour cette discipline, ce qui lui vaut de n’avoir qu’une clientèle réduite à qui d’ailleurs il prodigue ses conseils «gratuitement mais toujours avec le plus grand soin». En revanche, et avec beaucoup plus d’assiduité, il se consacre à la rédaction du livre qui révèle sa conception du Monde et dont les grandes lignes semblent avoir été déjà ébauchés dés son retour en Pologne. Dans sa demeure, il installe un petit observatoire simplement doté d’un instrument rudimentaire de sa fabrication qui permet des mesures de parallaxes. Les historiens nous présentent Copernic comme un homme plutôt sérieux et pas très rieur de nature. Il n’apprécie pas les moqueries que suscite parfois, auprès d’un public néophyte, sa vision du Monde, mais il sait les supporter et ne s’irrite ou ne s’emporte nullement. On le décrit également comme un homme sans aucun esprit de domination, ne se mêlant pas d’affaires qui ne seraient pas siennes. Il sait gagner la confiance de ses confrères, tout autant que celle de ses supérieurs. On lui confie quelques missions, comme celle de remettre de l’ordre parmi les pratiques malhonnêtes des grands maîtres teutoniques, en particulier concernant leurs abus sur le titre des monnaies. Ses supérieurs se reposeront aussi sur lui pour l’administration du diocèse de Warmie pendant la vacance de l’évêque. Peu soucieux des dignités et des emplois prestigieux, il est fort satisfait de pouvoir mener une vie plutôt paisible et retirée. Pour clore ces commentaires sur sa vie, je citerai encore Bertrand Joseph: «La réputation du chanoine de Frauenburg se répandait cependant peu à peu, et son nom était prononcé avec honneur, quoique sans bruit d’un bout de l’Europe à l’autre, des avis et des prières venaient de toute part l’inviter à publier le livre que sa prudente modestie semblait depuis vingt sept ans envier au public».

Ci-contre, un fragment du livre qui «en substituant la réalité à l’illusion, fit évanouir des théories fantastiques, et rendit un immense service à la science». Comme malheureusement ce fut le cas pour d’autres grandes révélations, ce n’est pas de son temps que l’étendue de ce service put être reconnue. L’arrivée au grand jour de l’héliocentrisme eut des conséquences aussi importantes, si ce n’est plus pour l’évolution de la science, que la publication par Albert Einstein de la théorie de la relativité et son célèbre E = MC2. Copernic révèle donc au monde que la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil. Les retombées de cette affirmation ne peuvent être appréciées que si l’on se transpose à l’époque où elles sont publiées. Sylvain Bailly, commente l’une d’entre elles: « en restituant à la Terre le mouvement qu’elle a reçu de l’auteur de la nature, l’homme se trouve transporté avec elle; il peut juger de l’étendue du monde par son voyage annuel. Ce ne sont plus de petits intervalles, comme ceux qu’il parcourt sur notre globe de neuf mille lieues de tour; mais une circonférence dont le diamètre est de plus de soixante millions de lieues ». Copernic est également convaincu qu’il existe une solidarité entre toutes les pièces constitutives du Monde; il l’évoque ainsi: «je pense que la pesanteur n’est autre qu’une certaine appétence naturelle dont le divin architecte de l’univers a doué les particules de la matière, afin qu’elles se réunissent sous la forme d’un globe. Cette propriété appartient sans doute également au Soleil, à la Lune et aux autres planètes. C’est à elle que ces astres doivent leur forme sphérique ainsi que leurs mouvements divers». S’appuyant sur ce principe, Copernic s’interroge: Pourquoi ne pas donner une position centrale au Soleil alors qu’il est bien plus grand et pesant que tout astre? Comme on le verra ultérieurement, Kepler et Newton ne feront que traduire en équation ce pressentiment de Copernic. Ce dernier, en revanche, n’osera pas s’aventurer à imaginer des orbites autres que circulaires pour justifier les différences de luminosité des planètes. Ce fut sa première erreur. Pour justifier la rotation de la Terre sur elle-même et, par la même, expliquer le jour et la nuit, il montre que si la Terre devait tourner autour du Soleil en un jour, cela soulèverait quelques problèmes. En effet, tout comme Ptolémée, Copernic est persuadé que si la Terre tourne en vingt-quatre heures autour du Soleil: « les points de sa surface seraient animés d’une vitesse immense, et de cette rotation naitrait une force de projection capable d’arracher de leurs fondements les édifices les plus solides ». Il ne connait pas encore l’effet de neutralisation qu’oppose la pesanteur à cette force de projection. Il faudra attendre plus d’un siècle pour qu’on mesure cette dernière, qui ne fait en réalité qu’alléger les corps sur lesquelles elle s’exerce, dans une proportion de trois pour mille (au niveau de l’équateur terrestre). Il se trompe enfin sur un autre point en affirmant que la Terre, dans sa révolution annuelle autour du Soleil, lui montre toujours la même face, comme le fait la Lune avec la Terre. Mais ces erreurs resteront sans commune mesure avec l’importance de ses révélations.