Jacques Cassini (1677-1756)

Comme je ne reviendrai pas sur les Cassini qui ont succédés au premier du nom, j’ai isolé, malgré l’anachronisme, quelques extraits d’un ouvrage que Jacques Cassini (1677-1756), fils de Cassini Ier,  publia. Cassini Ier avait effectué un compte rendu des observations de Saturne à ses collègues de l’Académie des Sciences, que son fils crut utile d’enrichir par des commentaires, lorsqu’il les intégra en 1740 dans Elémens d’astronomie. Ce texte, parfois rébarbatif, permet de se faire une idée des qualités nécessaires aux astronomes, à commencer par une nécessaire connaissance des travaux de leurs pairs.

Je le cite: «Saturne est de toutes les planètes, celle qui est la plus éloignée du Soleil et de la Terre, et dont le mouvement est le plus lent ». Peu de temps après la découverte des lunettes, Galilée crut voir autour de cette planète deux étoiles qui la joignent de côté et d’autre, et qui étaient immobiles, ainsi qu’il s’en explique dans sa lettre du 13 novembre 1610, écrite à Julien de Médicis, où il rapporte qu’ « il a observé avec un grand étonnement que Saturne n’est pas une étoile seule, mais qu’il est composé de trois étoiles qui se touchent presque, et sont immobiles entre elles, disposées de sorte que celle du milieu est plus grande que celles qui sont à ces deux côtés. Ces étoiles sont placées en ligne droite, l’une à l’orient et l’autre à l’occident, non pas précisément suivant la direction du zodiaque, mais de manière que l’occidentale s’élève un peu vers le nord. En les regardant avec une lunette qui n’augmente pas beaucoup les objets, elles ne paraissent pas trois étoiles distinctes et séparées, mais l’on voit Saturne sous la figure d’une étoile longue en forme d’olive; au lieu qu’avec une lunette qui augmente la surface des objets de plus de mille fois, on voit trois globes qui se touchent presque, en sorte qu’il n’y a plus qu’un filet obscur fort délié qui les sépare.»

Cassini II, parlant de Galilée, reprend: «Cet habile astronome ne fut pas long à s’apercevoir que ces étoiles qu’il croyait accompagner Saturne, étaient sujettes à quelques variations… il remarque qu’elles avaient diminué de grandeur depuis le mois de juillet jusqu’au temps qu’il écrivait; et enfin vers la fin novembre de l’année 1612, il reconnut qu’elles avaient entièrement cessé de paraitre, en sorte qu’il n’aperçut que le globe de Saturne seul, parfaitement rond. Divers astronomes après Galilée donnèrent à Saturne diverses figures qui sont représentées dans le « système de Saturne » imprimé en 1659 par M.Huyghens, qui découvrit enfin la vraie figure de cette planète et prouva que ce qui formait les apparences qu’on avait remarquées jusqu’alors, était un anneau circulaire et plat, détaché du globe de Saturne de toutes parts, qui, étant regardé obliquement de la terre, devait, suivant les règles de l’optique, paraitre en forme d’une ellipse plus ou moins ouverte, suivant que notre œil est plus ou moins élevé sur son plan, qui est incliné à celui de l’écliptique d’environ 30 degrés; d’où il résulte conformément aux apparences, que lorsque notre œil est dans le plan de cet anneau, il doit cesser entièrement de paraitre si son épaisseur n’est pas suffisante pour nous renvoyer une assez grande quantité de rayons du Soleil pour être aperçue... nous n’avons jusqu’à présent aperçu aucune tache sur le globe de Saturne… on y voit seulement en des temps différents, une ou deux bandes faibles, à peu prés disposées en ligne droite, et dans la direction du grand diamètre de l’anneau… Vers la fin mars 1719, temps auquel l’anneau avait cessé de paraitre, et que Saturne paraissait exactement rond, nous aperçûmes sur le disque de cette planète, par une lunette de 114 pieds, trois bandes obscures disposées en ligne droite et parallèles entre elles; celle du milieu, qui était la plus faible, était formée par l’ombre que fait l’anneau sur le disque de Saturne, les deux autres étaient beaucoup plus sensibles, et la méridionale était plus large que la septentrionale. La disposition de ces bandes et leur figure comparées à celles que l’on a remarquées en différents temps, peut servir à en découvrir la nature. La méridionale et la septentrionale de ces trois bandes paraissaient en ligne droite, et en même temps parallèles à celle du milieu, qui était formée par l’ombre de l’anneau sur Saturne; ce qui prouve qu’elle étaient dans un plan parallèle à celui de l’anneau, et que leur figure est semblable et par conséquent circulaire… Au moi d’août 1696, on avait remarqué dans Saturne deux bandes à peu près semblables à celles que l’on voyait en 1719, à la réserve qu’elles étaient beaucoup plus étroites; elles paraissaient exactement parallèles à la circonférence extérieure de l’anneau du côté du midi, et avaient un peu de courbure dont la convexité regardait la partie antérieure de l’anneau, suivant la figure qui en fut décrite alors…»

"«Le petit diamètre de l’ellipse que l’anneau fermait par son apparence, était un peu moins de la moitié de son grand diamètre, et l’élévation de l’œil sur le plan de cet anneau était d’environ 26 degrés… De là il résulte, que si les bandes qu’on a observées en 1696, eussent été adhérentes au globe de Saturne, elles auraient paru en forme d’ellipse dont la largeur aurait été un peu moins de le moitié de leur longueur, ce qui ne s’accorde point à l’observation, suivant laquelle on n’aperçut qu’un peu de courbure dans ces bandes, telle que serait celle d’une ellipse dont le diamètre aurait été à peu près égal à celui de la circonférence extérieure de l’anneau. En diverses autres occasions, où l’on a aperçu une bande sur Saturne, comme dans les années 1675, 1683 et 1708, on n’y a pas non plus observé de courbure telle que le demanderait l’élévation de l’œil sur le plan de l’anneau. Ainsi nous avons jugé que ces bandes ne sont point adhérentes au globe de Saturne mais qu’elles en sont éloignées à une grande distance; en sorte que nous ne distinguons sur cette planète qu’une partie de leurs deux circonférences, dont la courbure doit être suivant les règles d’optique, beaucoup moins sensible que celle d’une ellipse semblable qui serait adhérente au globe de Saturne.»

«Le surplus de la circonférence de ces bandes ne pouvant pas s’apercevoir par les lunettes, doit être d’une manière peu propre à réfléchir les rayons du Soleil, ce qui nous a fait conjecturer qu’elles ont quelque analogie aux nuages qui environnent la terre, lesquels interceptent une partie du Soleil, sans pouvoir le réfléchir. Ces nuages ayant une courbure semblable à celle de la circonférence extérieure de l’anneau, doivent être à peu près à la même distance, et par conséquent l’atmosphère dans lequel ils sont placés, doit embrasser entièrement cet anneau. A l’égard de l’anneau de Saturne, sa lumière qui est presque aussi vive que celle du globe de Saturne, nous fait connaitre que c’est un corps solide propre à réfléchir la lumière du Soleil, mais dont l’épaisseur est peu considérable par rapport à sa largeur, puisqu’il disparait entièrement lorsque nous le voyons suivant cette direction, quoiqu’il soit éclairé de ce côté là par le Soleil; on observe aussi que la partie qui est la plus proche de Saturne est plus lumineuse que celle qui est la plus éloignée. Toute cette masse se tient ainsi suspendue autour de Saturne, dont elle est entièrement détachée, semblable à un anneau large et plat, qui environnerait la terre, dont le plan passerait par son centre. Cette apparence dont nous ne voyons aucun exemple dans les autres corps célestes, nous a donné lieu de conjecturer que ce pouvait être un amas de satellites disposés à peu près sur un même plan, lesquels font leur révolution autour de cette planète: que leur grandeur est si petite qu’on ne peut les apercevoir chacun séparément, mais qu’ils sont en même temps assez près l’un de l’autre. On pourrait opposer à cet hypothèse, que ces satellites doivent observer, de même que tous ceux qu’on a découvert jusqu’à présent, la règle de Kepler, suivant laquelle les carrés des temps des révolutions, sont comme les cubes des distances au centre de la planète; d’où il suit que la quantité de leur mouvement n’est pas proportionnée à leur distance, et qu’il leur arriverait ce que l’on observe dans les autres satellites qui se trouvent souvent tous, ou du moins la plus grande partie, d’un même côté: qu’ainsi l’anneau paraitrait plus souvent plus large et plus éclairé en des endroits que dans d’autres, et serait sujet à de grandes irrégularités dans sa figure; mais cette difficulté se trouve levée. Si l’on suppose différents cercles tous formés de satellites autant qu’il en faut pour faire la largeur de l’anneau. Les satellites disposés sur chaque cercle, feront tous leur révolution  en même temps, puisqu’ils seront à même distance du centre de Saturne et par conséquent ne changeront point de situation entre eux. Un autre cercle entier quelconque, fera sa révolution selon la règle de Kepler, c’est çà dire, que le temps de cette révolution sera au temps de la révolution du premier cercle dans le rapport que demandent les distances des deux cercles au centre de Saturne: mais quoique par là les mêmes parties du premier cercle ne répondent pas toujours aux mêmes parties du second, il n’y aura rien de changé dans l’ apparence totale, et ce sera exactement la même  chose à cet égard, que si deux cercles concentriques avaient fait leur révolution en même temps, ce qui doit être de même de tous les cercles pris ensemble.»

Enfin en 1785, Jean sylvain Bailly commente dans Histoire de l’astronomie moderne: «On voit comment de légers indices conduisent à des découvertes et quel empire a la raison qui double ses connaissances par des conclusions justes et hardies ! »