Giordano Bruno (1548-1600)

Felipe Bruno (1548-1600) est né à Nola en Italie. Tout comme Nicolas de Cues, un de ses inspirateurs, il n’est pas astronome. Je souhaite pourtant évoquer ce philosophe et théologien en raison de sa ligne de pensée, sa manière d’appréhender le monde et le prix qu’il dût payer pour pouvoir, jusqu’à la fin, revendiquer sa liberté intellectuelle. Fils d’une famille honorable mais peu fortunée, il se rend à quatorze ans à l’université publique de Naples. Il y étudie les auteurs classiques, la grammaire et suit des cours privés de philosophie. A dix sept ans, il entre dans l’ordre des dominicains au monastère de San Domenico Maggiore où la qualité de l’enseignement est renommée. A cette occasion, il change son prénom de Felipe pour celui de Giordano. Astreint au régime monacal, il passe dix années exemplaires à approfondir ses connaissances en théologie, philosophie, dialectique, rhétorique et métaphysique, mais cette exemplarité dissimule un désir d’émancipation qu’il n’a d’autre choix que de taire auprès de ses supérieurs. Il est ordonné prêtre en 1573, mais sa liberté de pensée s’affirme au point de le conduire à rejeter les principes trop orthodoxes d’une théologie qui l’étouffe. Accusé d’hérésie par son ordre, il doit abandonner sa communauté. Sous le coup d’une telle accusation, il est contraint de se dissimuler sans cesse. Il vagabonde alors de ville en ville et doit se contenter pour survivre d’enseigner la grammaire ou l’astronomie à de trop rares élèves.

Il quitte finalement l’Italie et rejoint Genève où il embrasse la religion calviniste. Son tempérament curieux, ses goûts éclectiques et son indépendance d’esprit ne lui permettent pas de supporter davantage les sermons des protestants que les prêches des pères dominicains. Il entre donc une fois de plus en conflit avec sa hiérarchie qui, à son tour, ne tarde pas à l’excommunier. Il se réfugie cette fois en France, à Toulouse puis à Lyon, où il fait paraitre un livre novateur sur les techniques de la mnémotechnique, ouvrage qui sera remarqué par Henri III. Le roi de France le prend aussitôt sous sa protection et le fait venir à Paris. Bruno y passe cinq années à côtoyer les philosophes de la Cour et à enrichir en toute quiétude sa propre pensée, tout en s’adonnant à la pratique plus obscure de l’alchimie. En 1583, il se rend en Angleterre avec une recommandation d’Henri III, mais l’accueil qu’il y reçoit est des plus froids; sa réputation sulfureuse l’a précédé. Il y reste cependant trois années et trouve le moyen de se heurter, cette fois, à l’Église anglicane qui le bannit à son tour. De retour à Paris, le roi ne souhaite plus le remettre dans ses bonnes grâces, craignant désormais de froisser son clergé. Bruno est contraint de rejoindre Venise, à l’invitation du prétorien Giovanni Mocenigo, qui lui propose de l’héberger. Mais ce dernier le trahit en le livrant à l’Inquisition. L’histoire dit que Bruno avait refusé de lui révéler les supposés secrets de sa mnémotechnique. Il est conduit au Saint-Siège pour y être jugé. Son procès dure sept longues années, ponctuées d’interrogatoires et de séances de tortures au cours desquelles il ne cesse tour à tour d’avouer et de se rétracter. On lui reproche essentiellement d’avoir bafoué la cosmologie en vigueur et combattu sans relâche la philosophie d’Aristote, en défendant un univers infini « La puissance infinie de Dieu produit un univers infini ». Bruno approuve sans réserve le système de Copernic et pressent, avant Newton, que l’univers est mu par des forces physiques. Autrement dit, ce n’est pas une main divine qui se charge d’animer les astres, mais bien une force naturelle. Comme pour aggraver son cas, il prétend qu’il existe une infinité de mondes habités, rejetant de ce fait la Création, au sens où la religion l’entend. Bruno défend d’autres thèses encore plus insoutenables et blasphématoires, ainsi pense t’il que Marie, la mère de Jésus, n’est pas vierge et que Jésus n’est pas Dieu, ou encore que l’Esprit Saint n’est autre que l’âme d’un monde qu’il compare à une gigantesque créature vivante. Il est finalement condamné et brulé vif. Il laisse une œuvre originale. Dans De immenso, il développe sa cosmographie tandis que dans De minimo, il explore l’infiniment petit, sur les traces de Démocrite. Le sort tragique de Bruno ponctue un siècle marqué par son obstination. Il a sacrifié sa vie, au nom de sa liberté intellectuelle. Ne s’écria t’il pas lors de son procès «Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n’y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j’aurais à rétracter» montrant tragiquement toute sa détermination? L’écrivain et historien Jacques Attali dit de lui: «Il a toujours su qu'il aurait à payer cher pour avoir compris que l‘Univers ne se résumait pas à une théologie prise au pied de la lettre, pour avoir eu, avec d'autres, mais bien avant ceux à qui on en attribue aujourd'hui la paternité, l'intuition de ce qui est devenu l'épistémologie, la cosmologie, la théorie générale de l‘Univers, la relativité, la chimie, la génétique; pour avoir perçu, avant même Pascal, l'importance de la beauté comme source d'accès à la vérité ; pour avoir reconnu à chaque homme tous les droits sur lui-même et aucun droit sur le reste de l‘Univers».