Christian Huygens (1629-1695)
Christiaan Huygens (1629-1695) est né à La Haye dans une famille en charge de hautes fonctions auprès des princes d’Orange. Très jeune, il étudie le grec le latin la musique et la géographie, mais ne souhaite pas s’engager dans la même voie que son père Constantin et son frère Lodewijk, tous deux diplomates. Il est instruit jusqu’à l’âge de seize ans par des précepteurs, dont son propre père qui entretient des relations suivies avec Marin Mersenne (religieux français qui anime un réseau d'échange d'informations scientifiques à travers l’Europe et qui regroupe, entre autres, de prestigieux correspondants comme Descartes, Gassendi, Fabri de Peiresc, Pascal, Fermat ou Torricelli). A l’âge de seize ans, Huygens se rend à Leyde pour poursuivre des études de mathématique, de mécanique théorique et de droit. René Descartes, ami de la famille, n’est peut être pas totalement étranger à l’orientation du jeune Huygens dont les premières recherches portent sur les calcul de surfaces, l’équilibre des solides, l’étude des mouvements, la chute des corps et leur comportement lors de chocs. Il réfutera pourtant les erreurs de Descartes dans ce dernier domaine, en découvrant la relation entre les masses et les vitesses de deux corps qui entrent en collision l’un avec l’autre. S’engageant dans l’étude de la cycloïde, tout comme Nicolas de Cues l’avait fait bien avant lui, il rectifie les résultats de Galilée sur l’isochronisme présumé du pendule circulaire, en remplaçant son mouvement par un mouvement pendulaire cycloïdal dont l’isochronisme est alors parfait. Il aura l’idée d’exploiter cette propriété dans les mécanismes de régulation des balanciers d’horloges afin d’accroitre sensiblement leur précision qui passera ainsi de +/-15 minutes à +/-15 secondes par jour. Huygens étudie aussi les propriétés de la lumière, qu’il définit comme une onde, alors que Newton lui attribue des propriétés corpusculaires. Ses propriétés ondulatoires restent compatibles avec les lois de la réfraction et de la réflexion qu’avait énoncées Descartes.
Malheureusement, bien que Huygens ait raison sur ce dernier point, le prestige de Newton, son contemporain, sera suffisant pour reléguer au second plan les théories du jeune hollandais. Huygens explique: «La cause de tous les effets naturels s’explique par des raisons mécaniques». En effet, il considère que toute interaction éventuelle, à distance, ne pouvant mécaniquement s’expliquer, il convient de la rejeter. Sur ce point, ses idées seront à leur tour démolies par l’explication newtonienne de la gravitation. Comme on peut le constater, cette époque verra se dérouler de véritables joutes scientifiques dont la conséquence se traduira pour certains par de vaines obstinations, mais également et surtout, par une accélération jusqu’alors sans pareille des découvertes en physique et mathématiques. Le père de Huygens, qui souhaite lui laisser poursuivre ses études, l’envoie plusieurs fois en France. Il y sera docteur en droit de l’université d’Anger et aura surtout l’occasion de découvrir les travaux des mathématiciens Blaise Pascal et Pierre de Fermat sur les jeux de hasard. Dés son retour, il écrit un ouvrage traitant de probabilités "Ratiociniis in Ludo Aleae". Huygens, qui est autant un théoricien qu’un habile technicien, conçoit et réalise sa propre lunette astronomique dont il taille et polit lui même les lentilles. Elle lui permet de découvrir l’anneau de Saturne et son satellite Titan. En 1660, il revient en France où il a l’honneur d’être présenté à Louis XIV. L’année suivante, il entre à la Royal Society de Londres. Il observera un transit de Mercure. Cinq ans plus tard, de nouveau en France, il devient membre de la toute nouvelle Académie des sciences de Colbert et il s’investit dans la mise en place de ses règles de fonctionnement. Colbert lui attribue une rente annuelle de six mille livres. Il aura aussi l’occasion d’effectuer quelques travaux à l’Observatoire de Paris, récemment inauguré. Il dispose d’un laboratoire particulier à la Bibliothèque Royale où il est gracieusement logé. Après quinze années de séjour parisien, il revient en Hollande car, après la disparition de Colbert, la politique de Louis XIV ne lui est plus aussi favorable. Il suit encore son frère lors d’un de ses séjours à Londres et il y rencontre le grand Newton, qu’il respecte tout en rejetant ses théories sur la lumière et la gravitation. A ce propos, on notera que Huygens, bien que rangé aux idées de Kepler et Newton sur les orbites elliptiques, continue de défendre la théorie des tourbillons circulaires de Descartes, pourtant antinomique avec les ellipses. Sur ce point, il est intéressant de lire l’extrait d’un courrier qui accompagne son Traité de la lumière, lorsqu’il l’envoie à son confère Römer et dans lequel il évoque également la pesanteur.
Je cite Huygens : «Je ne doute pas que vous ayez vu le livre de Newton dont le titre est Principes Mathématiques de la Philosophie dans lequel règne une grande obscurité. Mais cependant dans lequel beaucoup de choses sont découvertes avec finesse. Mais lorsqu’il forge de toutes pièces des hypothèses il me semble parfois de plus d’audace qu’il n’en faut, ainsi que je n’ai pas pu m’empêcher de le montrer dans l’appendice aux causes de la pesanteur, ces propos de moi dont je penserais volontiers que vous me les accordez». J’ai retrouvé ce Traité de la lumière, dont je reproduis ici un extrait qui me parait significatif pour comprendre comment Huygens considérait le caractère ondulatoire de la lumière.
Dans son courrier à Römer, Huygens évoque l’appendice dans lequel il développe sa conception de la pesanteur. Ce passage illustre la manière dont se manifestaient les doutes ou certitudes qui agitaient la communauté scientifique en pleine effervescence, en ce milieu de XVIIème siècle. Huygens y réfute la gravitation en ces termes: «Il y avait longtemps que je m’étais imaginé, que la figure sphérique du Soleil pouvait être reproduite de même que celle qui; selon moi, produit la sphéricité de la Terre; mais je n’avais point étendu l’action de la pesanteur à de si grandes distances, comme du Soleil aux planètes, ni de la Terre à la Lune; parce que les tourbillons de Mr. Des Cartes, qui m’avaient autrefois paru fort vraisemblables, et que j’avais encore dans l’esprit, venaient à la traverse. Je n’avais pas pensé alors à cette diminution réglée de la pesanteur, à savoir qu’elle était en raison réciproque des carrés des distances du centre: qui est une nouvelle et fort remarquable propriété de la pesanteur, dont il vaut bien la peine de chercher raison. Mais voyant maintenant par les démonstrations de Mr. Newton, qu’en supposant une telle pesanteur vers le Soleil, et qui diminue suivant la dite proportion, elle contrebalance si bien les forces centrifuges des planètes, et produit justement l’effet du mouvement elliptique que Kepler avait deviné et vérifié par les observations, je ne puis guère douter que ces hypothèses touchant à la pesanteur ne soient vraies, ni que le système de Mr. Newton autant qu’il est fondé la dessus, ne soit de même». On ne saurait se fourvoyer plus allègrement, ce qui n’enlève rien aux autres qualités de Huygens.
Pour conclure, je retiendrai une réflexion de Fabien Charreix, maitre de conférence à la Sorbonne, qu’il développe dans son ouvrage La philosophie naturelle de Christiaan Huygens (éd.Vrin.2006). Il y précise que l’héritage de Huygens, ne se réduit pas à une collection de lois et de principes, mais qu’il nous invite à réfléchir à la relation que l’on peut faire entre un principe (fondé et compréhensible) et une loi (qui n’est qu’un rapport). La présence de cette réflexion philosophique chez un des plus grands physiciens de son temps montre le lien étroit qui unit la philosophie naturelle (physique) et la philosophie tout court.