Harlow Shapley (1885-1972)

Harlow Shapley, (1885-1972) est né dans la ferme familiale, à Nashville dans le Missouri. Il fréquente l’école de son village durant cinq ans et parfait ses connaissances en étudiant à la maison et à Pittsburgh où il prend des cours orientés vers les affaires. A seize ans, il subvient à ses besoins grâce à un emploi de reporter au journal local de Chanute dans le Kansas puis, l’année suivante, à Joplin dans le Missouri. A 22 ans, il s’inscrit à l’université du Missouri pour suivre une formation de journaliste. Malheureusement, cette année là, les cours ne peuvent être assurés. Shapley qui décide de ne pas quitter l’université, se renseigne sur les autres matières pour lesquelles il a la possibilité de s’inscrire. Une anecdote relate qu’il s’est alors procuré une liste des cours disponibles et qu’il y trouva comme première matière, l’archéologie. N’arrivant pas à prononcer correctement ce mot, il choisit de s’inscrire au cours arrivant en seconde position sur la liste: l’astronomie. Il semble, si cette histoire est véridique, que ce hasard fut pour lui de bon augure car, en 1910, il décroche un diplôme en physique et en mathématiques et obtient de ce fait un poste à l’observatoire astronomique de l’université de Columbia à Laws. L’année suivante, il reçoit une bourse d’étude qui lui permet de rejoindre l’université de Princeton. Son professeur n’est autre que le brillant astronome Henri Norris Russell, avec lequel il collabore dans des recherches sur les étoiles binaires à éclipse. En 1914, Shapley soutient sa thèse de doctorat qui traite des orbites de quatre vingt dix étoiles binaires à éclipse. Son diplôme en main, il rejoint l’équipe des astronomes du Mont Wilson en Californie. La chance lui sourit lorsque Georges Ellery Hale lui propose un des rares postes de chercheur disponible. L’histoire nous apprend qu’il en fit bon usage. En effet, en 1918, il y découvrira comment mesurer les dimensions au sein de notre galaxie.

En ce début de siècle, alors qu’il est toujours impossible de connaître l'éloignement réel d'un objet du ciel profond, Henrietta Swan Leavitt met en évidence une propriété intrinsèque des étoiles céphéides. Propriété totalement indépendante de leur distance, qui permet d’ouvrir une première perspective de progrès en ce domaine. Compte-tenu que les étoiles céphéides les plus proches de nous sont encore bien trop éloignées pour envisager de mesurer leur distance avec la méthode de la parallaxe, il reste à imaginer un nouveau moyen. Ce que parvient à faire Shapley, qui sera le premier à évaluer la distance séparant certains amas stellaires. Pour comprendre comment il a procédé, il me semble utile de reprendre ici les grandes lignes qui conduisirent à sa découverte. En exploitant la découverte de Henrietta Swan Leavitt, qui met en évidence la relation entre la luminosité absolue et la période des étoiles de type céphéide et, sachant que si l'on connaît à la fois les luminosités absolues et apparentes d'une étoile céphéide donnée, il est possible de calculer son éloignement. Il ne reste plus ensuite qu’à trouver comment déterminer la luminosité absolue de l’étoile en question. En supposant maintenant que si l’on observe deux céphéides de même période (donc, d’après la relation de H. Swan Leavitt, de même luminosité absolue), l’une située dans le nuage de Magellan et l’autre située dans une région indéterminée du ciel, la différence d’éclat que l’on peut constater entre ces deux étoiles ne saurait qu’être le fait d’une différence de leur éloignement. Il suffit ensuite d’appliquer la loi de décroissance lumineuse (diminution de luminosité en raison inverse du carré de la distance), pour calculer la distance séparant le Nuage de Magellan, où se situe la première céphéide, et le lieu où se trouve la seconde. Ce faisant, Shapley est le premier à comprendre à quel point les échelles dimensionnelles en jeu au sein de la voie lactée, dépassent amplement celles que l’on imaginait alors. Il lui reste néanmoins un problème majeur à résoudre. La distance réelle des Nuages de Magellan demeure inconnue. Toutes les mesures de distance restent par ailleurs relatives. Harlow Shapley surmonte la difficulté en exploitant le fait que certaines céphéides présentent un déplacement angulaire mesurable, à condition de réaliser ces mesures sur une période de temps suffisamment longue. Il s’appuie sur un argument statistique simple, pour déduire de ces déplacements angulaires la distance réelle de certaines céphéides, donc, par voie de conséquence, leur luminosité intrinsèque. Il peut ainsi établir la relation exacte qui lie la période d'une céphéide à sa luminosité absolue. Dorénavant, il suffira de déterminer la période d'une céphéide pour en déduire sa luminosité intrinsèque. En comparant cette valeur à l'éclat apparent de l'étoile, on pourra calculer la distance de l'astre.

Armé de son nouvel outil, Shapley peut dès lors entreprendre une étude systématique de la distribution des amas globulaire dans le ciel. Sachant que c’est principalement en leur sein que se trouvent les céphéides permettant d’effectuer les mesures. En utilisant les étoiles variables de la Lyre, il détermine la position du centre de notre galaxie, qu’il situe à environ 15 Kpc (1 Kpc = 3.260 al) de nous. Ci-contre, le diagramme qu’il obtient permet de constater que le soleil matérialisé ici par un cercle vert, ne se situe effectivement pas en son centre. Poursuivant ses travaux de mesure des distances, il réalise que notre galaxie atteint des dimensions au moins dix fois plus grandes que toutes les estimations effectuées jusqu’alors par Herschel ou Kapteyn. Il s’avèrera que Shapley faisait une erreur de surestimation par rapport à la valeur réelle, en positionnant le Soleil à 15 000 parsecs du centre de la galaxie. On peut noter, à sa décharge, que le phénomène d’absorption de la lumière par les nuages interstellaires, n’était pas connu à son époque. Les années 1914 à 1921, que Shapley passa au Mont Wilson, marquent l’apogée de sa carrière d’astronome. En 1920, on lui propose la direction de l’observatoire de Harvard où il remplace Edward Pickering. Shapley est un directeur énergique, qui entreprend la modernisation de l’observatoire, tant sur le plan des équipement que sur celui de son administration. Par exemple, pour observer l’hémisphère Sud, il implante un nouvel observatoire à Boyden, en Afrique du Sud, pour remplacer l’observatoire temporaire d’Arequipa qui avait été abandonné.

Enfin, Shapley, bien plus que de son prédécesseur se soucie de former de nouvelles générations d’astronomes et fonde à ces fins la Graduate school of astronomy . Après avoir quitté le Mont Wilson, il ne tarde pas à doter Harvard de réflecteurs aussi performants que ceux dont il disposait sur la côte ouest et il poursuit ses recherches sur la distribution des galaxies éloignées. En 1938, il découvre une nouvelle « galaxie naine » sphéroïdale, dans la constellation du Sculpteur et du Fourneau de l’hémisphère Sud (Cette galaxie qui appartient à notre « groupe local » n’est pas incluse dans notre galaxie, mais en est un satellite). Sa découverte fait considérablement évoluer notre manière d’envisager la population de l’univers extragalactique. Pendant la seconde guerre mondiale, Shapley accueille de nombreux scientifiques en exil. En 1945, âgé de soixante ans, il est considéré comme un vétéran de la science. A ce titre, il doit s’acquitter de nouvelles charges. Il est délégué des États-Unis pour l’élaboration de la charte de l’UNESCO, président de la American Astronomical Society et de la  Sigma Xi Scientific Research Society. Ses fonctions le conduisent à rencontrer les grands hommes de son temps, visite au pape Pie XII (ci-dessus) et chez le président Roosevelt (ci-dessous). Durant ses dernières années à la direction de l’observatoire de Harvard, il ne parviendra pas cependant à enrayer le déclin de cette institution..

En 1952, il prend sa retraite mais continue d’enseigner, d’écrire des ouvrages de vulgarisation et de donner des conférences. Il avait épousé Martha Betz Shapley qui fut sa collaboratrice depuis leur passage à Princeton. C’est elle qui se chargea d’organiser la vie sociale des observatoires où il travaillait, tout en élevant leurs cinq enfants.

En 1920, Harlow Shapley fut un des acteurs du « grand débat » qui l’opposa à Herbert Doust Curtis. Les deux hommes proposaient deux visions cosmologiques distinctes. Dans le troisième tome de ce document j’aurai l’occasion de revenir sur les conséquences de cet échange qui n’eut, en définitive, ni vainqueur ni vaincu.