Georges Lemaître (1894-1966)

Georges Lemaitre (1894-1966) est né à Charleroi en Belgique. Il est issue d’une famille aisée. Sa mère Marguerite est la fille d’un brasseur et son père Joseph, qui est docteur en droit, possède également une carrière et une verrerie, baptisée « verrerie de l’étoile ». En 1908, alors qu’il vient d’installer un nouveau four pour sa fabrique, un incendie se déclare et détruit l’ensemble des ateliers. Mal assuré, Joseph Lemaitre est ruiné, il met son entreprise en liquidation et démantèle ce qui reste de ses installations pour rembourser ses créances. Il est obligé de vendre sa maison, ce qui conduit la famille à déménager à Bruxelles où le père de Georges a trouvé un poste d’avocat-conseil à la Société Générale. Le couple aura quatre fils dont un disparaitra en bas âge. Georges qui fait ses études au collège jésuites du Sacré Cœur, pressent sa vocation religieuse et montre parallèlement un vif intérêt pour le domaine scientifique. A dix sept ans, il entre à l’école des mines de l’université catholique de Louvain, mais la première guerre mondiale éclate et il interrompt ses études pour rejoindre le cinquième corps des volontaires de Charleroi. Il participe à la bataille de l’Yser. A la fin des hostilités, il quitte l’armée avec le grade d’adjudant et reçoit la médaille de la croix de guerre avec palme. Il reprend alors ses études et se concentre sur les disciplines physiques et mathématiques. En 1920, il soutient sa thèse Sur l’approximation des fonctions à plusieurs variables et obtient son doctorat. Il obtient également un diplôme de philosophie. Marqué par la guerre, il décide de poursuivre dans sa vocation et entre au séminaire de Malines pour devenir prêtre. Il n’abandonne pas pour autant ses études scientifiques et prépare seul une nouvelle thèse inspirée des récents travaux d’Einstein sur la relativité et la gravitation. En 1923, il est ordonné prêtre et obtient une bourse d’étude du gouvernement Belge. Il peut alors se rendre à l’université de Cambridge où il devient un des élèves de Sir Arthur Eddington.  L’année suivante, il s’inscrit aux cours d’Harlow Shapley à l’observatoire de Harvard pour passer un doctorat en sciences.  

De retour à Louvain en 1925, il est nommé professeur deux années plus tard. Cette même année, il obtient un doctorat en philosophie. Durant son séjour aux États-Unis, il avait pu opérer une première synthèse des connaissances et théories existantes sur la nature de l’Univers. Il avait rencontré d’éminents scientifiques comme Edwin Hubble ou Robert Andrew Millikan (prix Nobel de Physique en 1923) et avait déjà perçu le caractère non-statique de l’Univers. En 1926, il travaille sur une thèse ayant pour sujet le Calcul du champ gravitationnel d’une sphère fluide de densité homogène. En se basant sur les travaux de Hubble faisant apparaître qu’il existe des galaxies extérieures à la nôtre, et en conciliant la théorie d’Einstein (univers stable, homogène de masse finie mais sans limites) et celle de Willem de Sitter (univers instable de volume croissant dans l’espace et le temps), il écrit un article qualifié de « génial » en 1927, dans lequel il émet sa théorie d’un univers en expansion. Cette même année, il rencontre Einstein au congrès de Solvay à Bruxelles. Les scientifiques qui étudient sa théorie, soutenue par Arthur Eddington, vont lui apporter une première confirmation expérimentale grâce aux découvertes de Hubble reliant la vitesse d’éloignement et la distance des galaxies lointaines. En 1931, Eddington publie une traduction anglaise de l'article de 1927, ainsi qu'un long commentaire. Lemaître est alors invité à Londres pour participer à une réunion de la British Association, ayant pour thème la relation entre l'univers physique et la vie de l'esprit. C'est à cette occasion qu'il propose une nouvelle théorie concernant l’origine de l'univers. Il présente son concept de l‘atome primitif. Cette proposition est moins bien reçue que sa théorie de l’univers en expansion et même Eddington s’en désolidarise, allant jusqu’à la qualifier de «rébarbative». Lemaitre y compare l’univers à un gigantesque atome dont l’explosion marquant le début temporel de l’Univers, justifierait la structure du cosmos.


Dans cet article paru dans Popular Science en 1932, un astronome de Harvard explique les grandes lignes de la théorie de Lemaitre.
L’article publié dans la revue anglaise Nature fait de lui l’un des trois pères du « Big Bang » (avec Alexander Friedman et Georges Gamow). Le terme de « Big Bang » ne sera pourtant prononcé pour la première fois que vers 1950 par le physicien anglais Fred Hoyle, lors d’une émission scientifique de la BBC durant laquelle, ironie du sort, souhaitant décrédibiliser le concept, il le baptisa ainsi d’un ton moqueur, sans se douter qu’il allait au contraire l’immortaliser. Dans un premier temps, Einstein lui aussi, bien que reconnaissant les indéniables compétences mathématiques du chanoine Lemaitre, avait éprouvé quelques difficultés pour admettre ses hypothèses concernant un univers en expansion. Comme je l’ai déjà évoqué, il reconnaîtra cet entêtement à considérer l’univers statique, comme l’une des plus regrettables erreurs de sa carrière scientifique. Parallèlement, les nombreuses publications relatives au travaux de Lemaitre, lui donnent une notoriété qui dépasse la communauté scientifique. Il participe à de nombreux congrès et reçoit des récompenses (médaille Mendel, Prix Francqui…). Il ne cesse pas pour autant ses recherches, en particulier sur le rayonnement cosmique qu’il soupçonne porteur de traces d’évènements initiaux de la naissance de l’Univers. Il travaille alors avec le physicien norvégien Carl Störmer et apprend à se familiariser avec les calculateurs électroniques (ci-dessous), qu’il exploite pour analyser les masses de données qu’il recueille.

En 1933, Lemaitre déclare: «Il y a deux voies pour arriver à la vérité. J’ai décidé de suivre chacune d’elles. Rien dans mon travail ou dans tout ce que j’ai étudié des sciences ou de la religion ne me fera changer d’opinion. Je n’ai aucun conflit à régler. La science n’a pas ébranlé ma foi et la religion ne m’a jamais fait douter des conclusions que j’ai obtenues par des méthodes scientifiques».  En 1936, au congrès de Malines: «Le chercheur (chrétien) sait que tout ce qui a été fait, a été fait par Dieu» il rajoute aussitôt: «Mais il sait (le chercheur) aussi que nulle part Dieu ne s’est substitué à sa créature… Il ne pourra jamais être question de réduire l’Être suprême au rang d’une hypothèse scientifique». On comprend pourquoi, Einstein considérant le dogme chrétien comme indéfendable sur le plan de la physique pure, reproche à Lemaitre de trop l’évoquer à propos de la création. Il s’en suit un débat qui prend parfois un ton polémique. Ce qui n’empêche nullement Lemaitre et Einstein de se rencontrer à plusieurs reprises.  En fait, Lemaitre saura distinguer science et foi tout au long de sa carrière.

En 1951, il manifeste son désaccord avec une déclaration du Souverain pontife, Pie XII, qui laisse entendre qu’il est possible de démontrer l’existence de Dieu, en s’appuyant sur les apports de la science et en faisant, sans le nommer, référence à certains travaux de Lemaitre. Ce dernier, en désaccord avec ce point de vue, répondra très respectueusement en suggérant que le discours du pape a put être écrit par un autre. Malheureusement d’autres scientifiques catholiques s’engouffreront dans cette voie sans issue que Lemaitre a su éviter. En 1960, le pape Jean XXIII le nomme président de l'Académie Pontificale des Sciences. Il s’efforce, autant qu’il le peut, de préserver cette institution des influences de la curie. En 1962, un conflit linguistique éclate à l’université de Louvain. Lemaitre fonde une association regroupant le personnel scientifique qui se bat contre l’expulsion des Wallons et des francophones. L’issue du conflit conduira, quatre années plus tard, à la scission de cette université en deux entités distinctes. En 1965, Lemaitre est victime d’un infarctus. La même année, il apprend que deux chercheurs Arno Penzias et Woodrow Wilson ont découvert le rayonnement dont il avait toujours soupçonné l’existence. Ce rayonnement baignant tout l’univers que Lemaitre nommait « l’éclat disparu de la formation des mondes », fut interprété à juste titre comme la trace fossile que l’univers refroidi nous laissait de ses instants initiaux. Elle démontrait de surcroit le bien fondé de la théorie de l’univers en expansion. Malheureusement, Lemaitre ne put profiter de ces moments qui consacrèrent son œuvre scientifique. En 1966, il est emporté par une leucémie et meurt sur son lit d’hôpital. De nos jours, le nom de Lemaitre est occulté par celui de ses contemporains comme Hubble, Einstein ou Eddington. Il n’en fut pas moins un des principaux précurseurs de la cosmologie moderne. Il semble que le fait qu’il ait été prêtre ait joué un rôle non négligeable dans ce relatif anonymat doublé d’une modestie qui ne l’a jamais conduit à rechercher les honneurs. En revanche, on lui reprocha d’avoir été imbu dans ses affirmations en privé, quand à ses capacités de mathématicien. Par ailleurs, il affichait en public un caractère ouvert, une gaieté naturelle et  une remarquable souplesse d’esprit.