Subrahmanyan Chandrasekhar (1910-1995)
Subrahmanyan Chandrasekhar (1910-1995) est né à Lahore dans les Indes britanniques (actuellement le Pakistan). Issu d’une famille aisée de la caste des Brahmanes, il est le neveu du physicien Chandrasekhar Venkata Raman, professeur à l’université de Calcutta et prix Nobel de physique en 1930. A dix-huit ans, Subrahmanyan étudie à Madras, où il fait la connaissance du physicien Arnold Sommerfeld qui se rendait à un cycle de conférences. Selon Chandrasekhar, cette rencontre sera déterminante pour son avenir. Il obtient un entretien avec le physicien dont il a lu le dernier livre ( qui date de cinq ans) et lui fait part de son enthousiasme. Le physicien allemand lui répond que son contenu est totalement dépassé et qu’il existe une nouvelle approche de la physique, nommée « mécanique quantique », et qui vient de faire son apparition. Un peu dépité, Chandra (c’est le nom que lui donnent ses collègues) s’exclame: «Tout ce que j’ai appris est donc faux !». Heureusement, ses solides bases de physique classique lui permettront d’avancer rapidement. Sommerfeld remet au jeune homme le dernier article qu’il vient de rédiger et dans lequel il fait référence à deux autres chercheurs. Arthur Eddington, prenant l’exemple de l’étoile compagnon de Sirius, une naine blanche de la taille de la Terre mais de la masse du Soleil, se demande comment l’énorme densité de cette étoile, qu’il attribue à un affaiblissement de la pression thermique liée au refroidissement de cette dernière, serait capable de résister aux effets de son propre poids, si elle continuait de refroidir. Pour lui, il s’agit là d’une véritable énigme qu’il craint de ne pouvoir résoudre.
Finalement, c’est un de ses collègues de Cambridge, Ralph Howard Fowler, qui apporte les premiers éléments de réponse, grâce au concept de « pression de dégénérescence ». Ce dernier vient en effet de publier un article décrivant le comportement des électrons lorsqu’ils sont soumis à un fort confinement et qu’ils sont alors saisis d'une agitation frénétique. Un gaz très comprimé, aussi froid soit-il, finit par opposer une solide résistance à tout effort supplémentaire pour le comprimer. La naine blanche ne s'effondrera donc pas indéfiniment sur elle-même, car cette pression de dégénérescence interviendra pour la soutenir, quelle que soit sa température. Chandra dévore les articles des deux astrophysiciens.
Deux ans après cet épisode, il obtient une bourse et embarque pour l’Angleterre afin de continuer ses études au Trinity College de Cambridge (ci-contre). Entre temps, il s’est préoccupé du problème soulevé par Eddington et commence à rédiger un article dans lequel il évoque le cas de l’effondrement de la naine blanche en notant que, d’après ses calculs, la vitesse des électrons au cœur de cette naine blanche soumise à de telle conditions, doit avoisiner la moitié de la vitesse de la lumière. Il remarque alors, à juste titre, qu’à ces niveaux de vitesse, on ne peut plus ignorer les effets de la relativité d’Einstein. Chandra est en cela le premier à utiliser la relativité en astrophysique. Il perçoit que si la masse de la naine blanche continue de croitre, la vitesse des électrons finira par approcher celle de la lumière qui représente un mur infranchissable. Il traduit ce problème en équations qu’il parvient à résoudre. La réponse apparaît alors clairement: Il ne saurait exister une naine blanche dont la masse dépasse 1,4 fois la masse solaire. Sandra arrive à Cambridge et montre son travail à son directeur de thèse qui n’est autre que Sir Ralph Howard Fowler. Convaincu par la première partie de l’exposé de son élève, il se montre plus circonspect par sa conclusion. Durant son séjour à Cambridge, le fait que Chandra soit indien n’est probablement pas étranger à un certain rejet feutré auquel il doit faire face. Personne ne lui permet vraiment de défendre ses thèses, au point qu’il envisage pendant un temps de se détourner de l’astronomie pour se consacrer exclusivement à la physique théorique. Il effectue des séjours à l’université de Göttingen puis à Copenhague, où il travaille avec Niels Bohr. Quelques temps après son retour à Cambridge, il obtient son doctorat. Il se rend à l’observatoire de Poulkovo en Union soviétique à l’invitation d’un ami rencontré au Danemark, qui lui avait parlé de la révolution dans son pays. Il fait la connaissance de jeunes astronomes soviétiques qui, non seulement, portent un regard intéressé à son travail mais qui lui suggèrent également de pousser ses travaux au delà, en l’occurrence de ne pas se limiter à définir une masse maximale, mais plutôt d’établir une loi prenant en compte toutes les valeurs de masse de cette étoile et de déterminer le rayon que devrait posséder cette dernière. Ragaillardi, il revient à Cambridge avec l’intention de reprendre ses recherches. On regrettera en revanche que la majeure partie de ces astronomes soviétiques a qui il eut à faire durent affronter le goulag.
Chandra se remet au travail mais l’outil mathématique qu’il utilise atteint ses limites. La seule solution qui lui reste est un retour à l’empirisme qui consiste à effectuer ses calculs en prenant en compte différentes valeurs et en établissant une courbe reliant ses résultats. A cette époque les machines à calculer mécaniques sont encore rares. A Cambridge Eddington en possède une qu’il accepte de prêter à Chandra qui se trouve également être son élève. Chandra va donc passer des mois à tourner la manivelle de cette calculatrice et à constituer ses éléments de réponse. Seul Eddington parait bienveillant à son égard et lui rend régulièrement visite sans pour autant faire de commentaire particulier. En janvier 1935, Chandra doit rendre public ses résultats à l’occasion d’une session de la Royal Astronomical Society. Il est tendu car il vient d’apprendre que Eddington a demandé à intervenir juste après lui. A peine a-t-il achevé son exposé qu’ Eddington prend la parole et en quelques phrases parvient à anéantir tout le travail de son élève. Il conclut son intervention: « Je pense qu'il doit exister une loi de la nature qui empêche une étoile de se comporter de façon aussi absurde». En fait, Eddington, tout en reconnaissant l'exactitude des travaux de Chandrasekhar, les rejette en arguant qu'une naine blanche dépassant la masse limite n'aurait d'autre choix que de devenir ce qu'il décrit comme un trou noir (sans utiliser ce terme qui n’existait pas encore), hypothèse qu'il juge trop absurde pour être raisonnable. Chandrasekhar, assommé, quitte la salle. Chandra qui compte quand même quelques relations parmi des personnalité scientifiques reconnues (Paul Dirac, Niels Bohr, Wolfgang Ernst Pauli…) leur fait parvenir le détail des deux interventions en demandant leur avis. Tous sont d’accord avec le jeune homme. Pauli (futur prix Nobel de physique) lui répond: «Votre travail est impeccable, alors que les thèses d'Eddington sont dénuées de sens. Il ne comprend rien à la physique. Il voudrait que ses lois se règlent sur sa vision de la nature».
Malheureusement aucun d’eux ne souhaite démentir publiquement Eddington. Chandra, de nouveau, se retrouve seul confronté à l’alternative de revenir en Inde ou de partir vers les États-Unis. Finalement, il opte pour la deuxième solution, espérant qu’il va pouvoir obtenir un poste permanent de chercheur. Il rejoint Harlow Shapley à Harvard puis Otto Struve à l’observatoire de Yerkes, prés de Chicago. Ce dernier souhaite développer un laboratoire d’astrophysique digne de ce nom, afin de pallier à la concurrence exercé par les observatoires du Mont Wilson et de Palomar. Chandra qui n’a que vingt cinq ans se retrouve associé à Gérard Kuiper et Bengt Strömgren. Il est chargé de mettre en place la section d’astronomie préparant au doctorat. A partir de ce moment, Harvard n’aura plus rien a envier au vieux continent en ce qui concerne l’astronomie théorique. L’équipe de choc ainsi constituée marquera également le départ d’une astrophysique qui ne cessera, dés lors, de progresser et de produire des chercheurs de premier plan.
En 1939, à l’occasion d’un colloque consacré aux novæ et aux étoiles blanches, Chandra voit son vieux professeur Eddington pour la dernière fois, avant que ce dernier ne succombe d’un cancer en 1944. Il semble que la polémique qui les opposait fut exagérée, car Chandra publia par la suite un ouvrage intitulé Eddington, the most distinguished astrophysicist of his time, (Eddington, le plus éminent astrophysicien de son temps). Après avoir publié des ouvrages sur le sujet, Chandra abandonne l’étude des naines blanches et produit des œuvres majeures dont Théorie mathématique des trous noirs, en 1983, ouvrage qui est aujourd’hui considéré comme la bible des astrophysiciens qui étudient les trous noirs. Il continue d’enseigner jusqu’en 1952, où trahi par ses collègues, il est écarté de l’enseignement par le maccarthysme. Il devient alors rédacteur de l’Astrophysical Journal qu’il dirigera pendant vingt ans.
Bien que coupé de la communauté astronomique, il se tient informé des dernières recherches en astrophysique. En 1971, il abandonne son journal pour se consacrer à la relativité et aux trous noirs. Après la découverte des étoiles à neutrons de nombreux chercheurs avaient tenté de travailler sur le sujet, mais bien vite, il s’avéra que seulement deux ou trois personnes au monde étaient capables d’atteindre le niveau nécessaire. Ce qui motiva probablement Chandra qui s’entoure alors d’une jeune équipe de théoriciens. Il reçoit le prix Nobel en 1983, cinquante ans après avoir ouvert en grand la porte de l’astrophysique. Durant sa carrière, il a supervisé les thèses de cinquante et un étudiants de l‘université de Chicago et compta parmi ses élèves nos plus grands astrophysiciens actuels. Il a reçu le prix Rumford, la médaille Bruce, la National Medal of Science, des mains du président Lyndon Johnson (ci-dessus), la médaille Draper et la médaille Copley,